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DIEU

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immédiate (qui est toute gratuite, surnaturelle), c’est lui qu’on aime dans la pratique de la vertu lorsqu’on ordonne à lui et non pas à soi tous ses actes. (Sur cet amour naturel de Dieu, cf. S. Thomas, P, q. 60, a. 5. Sur cette preuve de Dieu, cf. P. Gardeil, V Action, ses exigences obiecties et ses ressources subjectives ; Rev. Tliom., 1898 et 1899 ; voir aussi Sertil-LANGES, Les Sources de notre croyance en Dieu.)

e. Le Premier et somerain Bien, fondement suprême de tout devoir. — Mais le bien n’est pas seulement ce qui est désirable, ce qui est capable d’attirer notre appétit et de nous rendre heureux, c’est aussi ce qui a droit à être aimé, ce qui exige impérieusement l’amour et fonde le devoir.

S. Thomas s’exprime très nettement sur ce point au traité de la Loi. I » ^^, q. 9^, a. 2. l’trum lex naturalis contineat plura præcepta vel unum tantum P II répond que la loi naturelle renferme plusieurs préceptes, mais que tous se rattachent à un seul premier principe pratique : « il faut faire le bien et éviter le mal ». Ce premier principe pratique, remarque S. Thomas, est fondé sur la raison de bien, comme le premier principe spéculatif qui fonde tous les autres est lui-même fondé sur la raison d’être. « Lllud quod primo cadit in appréhensions est Exs cujus intellectus includiiur in omnibus quæcumque quis appreliendit. Et ideo primum principium indenionstrabile est, quod non est simul afjlrmare et negare ; quod fundatur supra rationem¥.^Ti^ et non entis. Et super hoc principio omnia alia f’undantur, ut dicitur in IV Met. — Sicut autem ens est primum quod cadit in apprehensione sinipliciter ; ita bonum est primum quod audit in apprehensione practicæ rationis, quae ordtnatur ad opus. Onine enim agens agit propter (inem, qui habet rationem boni ; et ideo primum principium in rationepracticæst quod fundatur supra rationem boni. » (Ibid.)

A la vérité, ce n’est pas n’importe quel bien qui a droit à être aimé. Le sens commun, comme la raison philosophique, distingue trois espèces de bien : i°le bien sensible ou simplement délectable, 2" le bien utile en vue d’une fin, et 3° le bien honnête. L’animal se repose dans le premier, et par instinct utilise le second, sans en voir la raison d’être dans la On pour laquelle il l’emploie (non cognoscit rationem finis, la Il3<^, q. I, a. 2). L’homme seul, par sa raison, connaît l’utilité ou la raison d’être du moyen dans la lin ; seul aussi il connaît et peut aimer le bien honnête. Ce dernier lui apparaît comme bien en soi, désirable en soi, indépendamment de la jouissance fjui accompagne sa possession et indépendamment de toute utilité ; il est bien et désirable, par cela seul qu’il est conforme à la droite raison et apparaît comme la perfection normale de l’homme comme homme (comme raisonnable, et non pas comme animal). Il est bien en soi, indépendamment du plaisir qu’on } trouve et des avantages qu’on en retire, de connaître la vérité, de l’aimer par-dessus tout, d’agir en tout selon la droite raison, d’être prudent, juste, fort et tempérant. — Bien plus, ce bien honnête, ou bien rationnel, apparaît comme une lin en soi obligatoire : tout liomme comprend qu’jin être raisonnable f/o// avoir une conduite conforme à la droite raison, comme la droite raison est elle-nu^me conforme aux principes absolus de l’être. C’est là l’origine rationnelle de la notion du devoir. « Il faut faire le bien et éviter le mal. » « Fais ce que dois, advienne que pourra.). (Cf. I’, q. 5. a. 6.)

Il n’y a pas là seulement un optatif, mais un impératif. La raison légitime, en eflet, son commandement par le principe de jinalilé ou, ce qui revient au nu-me, nous l’avons vu (col. 998), par la division de l’être en puissance et acte : la volonté de l’être raisonnable

doit tendre vers le bien honnête ou rationnel, à l’égard duquel elle a raison de puissance, parce que toute la raison d’être de la puissance est dans l’acte (poteniia dicitur ad actum). La puissance n’aboutit pas seulement à l’acte ; elle est /JOf<r l’acte, connue l’imparfait pour le parfait, le relatif pour l’absoliu Seul, en effet, l’absolu a en lui-même sa raison d’être. Une volonté, qui est par essence capable de vouloir le bien rationnel et qui est essentiellement ordonnée à ce bien, ne peut refuser de le vouloir sans perdre absolument sa raison d’être ; elle est pour le bien rationnel, et il y a dans le bien honnête un droit imprescriptible à être réalisé par celui qui peut le réaliser et qui existe pour le réaliser.

Voilà ce que dit le sens commun, la raison spontanée, ce que précise la raison philosophique. De ce point de départ, peut-on s’élever à Dieu ? — S. Thomas n’en doute pas plus que S. Augustin. Selon lui, <( la loi naturelle et plus particulièrement son premier principe n’est pas autre chose que l’impression de la lumière divine en nous, qu’une participation de la loi éternelle qui est en Dieu » (I^Ilae^ q. 91, a. a). « Cette loi éternelle n’est autre que la raison de la divine Sagesse qui dirige tous les actes et tous les mouvements des créatures » (I^IIae, q. 98, a. i). « Il n’y a que Dieu et les Bienheureux qui la voient en elle-même, dans son essence. Mais toute Créature raisonnable la connaît selon son rayonnement, qui est plus ou moins éclatant. Car toute connaissance de la vérité est une irradiation et une participation de la loi éternelle, qui est la vérité immuable, comme le dit S. Augustin (De ver. rclig., c. 31). « (P Ipe, q. 93, a. 2.) Rapprocher ce texte de celui de la I », q. 84, a. 5, où est réfuté d’avance l’ontologisme (in rationibus aeternis anima nostra non cognoscit immaterialia objective, ce n’est pas dans l’essence de Dieu que nous percevons les premiers principes), mais où il est affirmé que les raisons éternelles sont le principe de notre connaissance intellectuelle, comme le soleil est celui de notre connaissance sensible.’( Ipsum enim lumen intellectuale, quod est in nobis, nihil est aliud quam quædam participata similitudo luminis increati. in quo continentur rationes aeternae. »

On voit donc que l’argument par lequel on s’élève du premier principe de la loi morale à la loi éternelle qui est en Dieu, ne diffère pas de la preuve par les vérités éternelles, qui s’élève des vérités nécessaires à une vérité suprême. On part ici des principes pratiques au lieu de partir des principes spéculatifs. Cependant le caractère obligatoire du bien ajoute un nouveau reliefà la démonstration. Comme nous le disions plus haut dans la preuve générale qui englobe toutes les autres, si le bien honnête a droit à être aimé et voulu indépendamment de la satisfaction ou des avantages qu’on en retire, si l’être capable de le vouloir doit le vouloir sous peine de perdre sa raison d’être, si notre conscience pronuilgucce droit du bien et ensuite approuve ou condamne sans que nous soyons maîtres d’étouffer le remords ; si en un mot le droit du bien à être aimé et pratique domine notre activité morale et celle des sociétés actuelles et possibles, comme le principe d’identité domine tout le réel actuel et possible, il faut qu’il y ait eu de toute éternité de quoi fonder ces droits absolus du bien ; ces droits nécessaires et dominateurs ne jteuvent avoir leur raison d’être dans les réalités contingentes dominées par eux, pas même dans les biens ou devoirs multiples et //<>n/rc/(/ses qui s’imposent fl/)//’o ; j à la nature humaine ; supérieurs à tout ce qui n’est pas le liien même, ces droits ne peuvent avoir qu’en lui leur fondement, leur raison dernière.

On s’élève ainsi au souverain Bien « maxime