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nota ; q. 9/1, a. a. Qiiæ sint præcepta legis naturalis). On peut s’élever au bien suprême, source d’un bonheur parfait et sans mélange, en partant soit des biens imparfaits et liiérarchisés, soit du désir natui’el que ces biens ne parviennent pas à satisfaire.

Si l’on parle des biens iinis : la santé, les plaisirs du corps, les richesses, les honneurs, le pouvoir, la gloire, la connaissance des sciences, les joies de l’esprit et de l’âme, il faudra insister sur leur multiplicité et plus encore sur leur imperfection, leur limite ; comme le multiple suppose l’un, le composé le simple, l’imparfait le parfait, on sera conduit à un Bien suprême qui est le Bien même, sans mélange de non-bien ou d’imperfection. C’est encore la dialectique de l’intelligence.

Si l’on pai’l du désir naturel que les biens finis ne parviennent pas à satisfaire, on insistera sur l’inquiétude que l’âme ressent tant qu’elle n’a pas trouvé un bien infini ou un bien pur sans mélange « Irrequietiim est cor nostrum donec requiescat in te (Domine) ». S. Augustin, Confess., I. L’âme insatisfaite essaiera de s’attacher à des biens de plus en plus élevés. C’est la dialectique de l’amour. — L’inquiétude que réveille en nous cette dialectique sulUt-elle à prouver l’existence d’un bien infini ? Oui et non. Elle peut engendrer en celui qui l’éprouve une certitude suhjectivement suffisante et ohjectiyement insuffisante, comme la foi morale de Kant. La méthode exclusive d’immanence, si savante qu’elle soit, ne peut conduire plus loin. On n’atteint la certitude objectis-ement suffisante que si l’on dépasse cette méthode, et si l’on reconnaît la valeur ontologique et transcendante des premiers principes rationnels d’identité, de raison d’être, de causalité efficiente et finale (col. 952-956 et io48).

Alors la preuve se présente comme il suit. Cf. S. Thomas, I » Ilae, q. 2, a. 7 et 8. — Notre volonté qui a pour objet le bien universel (non pas tel bien particulier connu par les sens ou la conscience, mais le bien, la raison de bien, connue par l’intelbgence) ne peut trouver sa béatitude dans aucun bien fini ; si parfait soit-il, ce bien est toujours à l’infini du bien pur, sans mélange de non-bien, tel que le conçoit l’intelligence. Une infinité de biens finis ne peut sufiîre, car ce ne sera jamais qu’une infinité successive et potentielle, et non pas une inlinité actuelle, qualitative et de perfection. Cette impossibilité où nous sommes de trouver la béatitude dans un bien fini, ainsi prouvée a priori par S.Thomas, s’établit aussi a posteriori, par l’expérience, comme il est montré par exemple dans les Co/i/e.ss/o «.ç de S. Augustin. — Notre volonté désire donc naturellement (par sa nature même) un bien pur sans mélange de non-bien, comme notre intelligence désire la vérité absolue sans mélange d’ignorance, de doute ou d’erreur. — Ce désir naturel peut-il être vain, comme un désir né de la fantaisie ? Certains théologiens, comme le P. de Muxnynck, Prælectiones de Existentia Dei, soutiennent que le principe « desiderium naturæ non potest esse incine » n’est certain pournous que lorsque nous avons démontré que notre nature est l’œuvre, non pas du hasard, mais d’un Dieu intelligent et bon. Aussi la preuve par l’aspiration de l’âme vers le bien absolu n’aurait-elle que la valeur d’un argument de naturaliste, fondé sur l’induction : Partout dans le règne végétal etanimal nous voyons qu’un objet, un aliment répond au désir, au besoin naturel qui l’appelle, il doit en être de même pour l’homme, son désir naturel ne peut pas être frustré.

Nous croyons, au contraire, que cette preuve de Dieu a une valeur absolue. S’il était nécessaire d’avoir démontré Dieu pour se fier à la tendance naturelle j de nos facultés, on pourrait douter de la valem* objec tive de notre intelligence, aussi bien que de la valeur du désir naturel de notre volonté. De plus, antérieurement à toute démonstration de l’existence de Dieu, nous voyons avec évidence que noti*e intelligence, et notre volonté ne peuvent être l’œuvre du hasard, le fruit d’une rencontre fortuite ; comment un principe simple, un principe d’ordre comme l’intelligence, proviendrait-il d’une multiplicité désordonnée’.' ce serait faire sortir le plus du moins, l’être du néant. Enfin, pour Aristote, S. Thomas et tous les grands philosophes intellectualistes, le principe de finalité est nécessaire et évident de soi, comme le principe de raison d’être dont il dérive au même titre que le principe de causalité. Cf. plus haut, col. 998. Un désir naturel ne peut donc êtrevain, car il serait sans raison d’être ; et nous avons vu plus haut qu’une chose sans raison d’être est contradictoire, le principe de raison d’être se rattache au principe d’identité par réduction à l’impossible (1° Tout ce qui est a sa raison d’être, ce qu’il faut pour être, sans quoi il ne se distinguerait pas de ce qui n’est pas ; 2" Tout ce qui est, sans être par soi, a sa raison d’être dans autre chose, sans quoi il ne se distinguerait pas de ce qui est par soi). Cette raison d’être extrinsèque est nécessairement double ; l’une est réalisatrice ou actualisatrice, elle pose dans l’existence (cause etficiente), l’autre est spécificatrice et explique pourquoi ce qui est posé dans l’existence est tel et non pas autrement (cause finale). La nécessité de la cause finale apparaît plus nettement lorsqu’il s’agit d’un être intentionnel, c’est-à-dire d’un être dont toute la nature est de tendre vers autre chose. C’est le cas du désir naturel dont nous parlons. Ce quelque chose de relatif et d’imparfait est nécessairement pour autre chose, en iie d’autre chose. De même que l’imparfait ne peut être que par le parfait (cause elliciente), de niême il ne peut être que pour le parfait (cause finale), le relatif ne peut être que pouk l’absolu. Seul, en effet, l’absolu a en lui-même sa raison d’être. Potentia dicitur ad actum, une puissance ne peut avoir en elle-même sa raison d’être : le désir naturel de Dieu, l’inclination naturelle vers Dieu serait donc absurde si Dieu n’existait pas, ce serait une inclination qui tendrait vers quelque chose et ne tendrait vers rien. En ce sens on a pu dire :

« Un seul soupir de l’âme vers le meilleur et le parfait

est une démonstration plus que géométrique de l’existence de Dieu. » Hemsterhlys.

Cette démonstration ne diffère pas de la 4 » v/a de S. Thomas, qui s’élève au premier bien, non pas seulement par voie de causalité exemplaire et elliciente, mais aussi par voie de causalité linale. Le désir de Dieu, par cela seul qu’il est quelque chose d’imparfait, de limité, suppose le parfait, comme le relatif suppose l’absolu.

Lorsqu’on présente cette preuve par le désir naturel de Dieu, il importe seulement de bien remarquer qu’il ne s’agit pas d’un désir naturel élicite, conditionnel et inefficace, comme celui qui existe en nous à l’égard du surnaturel, de la vision béatifique ; une pareille velléité, absolument parlant, peut être frustrée, il dépend de la liberté divine d’y répondre ou de n y pas répondre (cf. Banez in I » " », q. 12, a. 1). Il est question ici d un désir naturel inné, absolu et efficace. La volonté humaine, de par son universalité qui dérive naturellement en elle de l’universalité de l’intelligence, antérieurement à tout acte, ne peut se reposer que dans l’amour du principe de tout bien, qui seul est le Bien même. Aussi cet amour du Bien absolu par-dessus toutes choses est-il le principe ou au moins le couronnement des grandes morales spiritualistes de Platon, Aristote, Plotin, Descartes, Malebranche, Spinoza, Leibnitz, etc. Pour aimer ce Bien, il n’est pas nécessaire d’en avoir l’intuitioni