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d’inertie avec le principe rationnel « pas de changement sans cause ».

Le principe d’inertie, en tant qu’il affirme qu’un mouvement communiqué continue sans cause, ne peut d’ailleurs être vérilié par l’expérience. Comme le montre M. H. Poincaké, La Science et l’IIvpotlièse, p. 112 a iig, ce principe n’est ni une vérité a priori (susceptible d’être déduite du principe de raison suffisante), ni une vérité démontrée expérimentalement, comme le croyait Newton. « A-t-on jamais expérimenté sur des corps soustraits à l’action de toute force, et si on l’a fait, comment a-t-on su que ces corps n’étaient soumis à aucune force ? » C’est une hypothèse suggérée par quelques faits iiarticuliers (projectiles) et « étendue sans crainte aux cas les plus généraux (en astronomie par exemple), parce que nous savons que dans ces cas généraux l’expérience ne peut plus ni la confirmer, ni la contredire » (ihicl., p. 119). — On a fait la même remarque au sujet du principe de la conservation de l’énergie :

« Dans un système de corps soustrait à toute action

extérieure, l’énergie totale de ce sj’stème demeure constante. » On n’a jamais pu soustraire un système de corps à des actions invisibles, comme le serait celle de Dieu et de la liberté. Cf. Boctroux, « I)e la contingence des lois de la nature i>, 3’éd., p.’j4. 85 ; De Muxnynck, « La Conservation de l’énergie et la liberté morale » ; lies’. Tlwmiste, 1897, p. 1 1 5, et ici, art.DKTKRMixisMK ; et surtout on n’a pas montré et l’on ne montrera jamais que l’univers entier est un système clos. Cf. E. Naville, La Physique moderne, 2" éd., p. 35-42.

Nous maintenons donc que la définition aristotélicienne du devenir, passage de la puissance à l’acte, s’applique au mouvement local, comme aux autres mouvements physiques (qualitatifs ou d’accroissement ) ; en d’autres termes : le mouvement local n’est pas plus un état que les autres mouvcments, c’est un deenir. Dès lors la preuve de l’existence de Dieu peut le prendre pour point de départ.

Contre ceux qui refuseraient de voir dans le mou^ement local un devenir, on pourrait, il est vrai, argumenter, comme le veut le P. Bulliot, en prenant Ijour point de départ le passage du repos au mouvement, et dire avec Paul Jaxet (Le Matérialisme contemporain, p. 51) : si les corps sont inditTérents au repos comme au mouvement, il faut une raison pour expliquer comment ils son t plutôt en mouvement qu’en repos, et il faut une cause autre que les corps. Bien plus, on peut tirer de là une preuve de la contingence des corps : si les corps sont indifférents au repos et au mouvement, comme ils ne peuvent exister qu’à l’un des deux étals, il faut conclure qu’ils n’ont pas en soi la raison de leur existence et demandent une cause extrinsèque.

Si l’on prétend expliquer le mouvement local par une autre forme de l’énergie, comme la chaleur, ce ne sera que rectiler la question, cette forme antérieure de l’énergie n’est pas numériquement la même réalité qui subsiste dans le mouvenu ; nt local, c’est une réalité du même genre, transitoire elle aussi, et qui a autant besoin d’explication que le mouvement local lui-même, de même la forme qui précède et ainsi de suite… peu importe que la série des transformations soit éternelle, elle serait éternellement insullisante ; nous revenons toujours à notre preuve : il faut, pour rendre coMq)te de ces transformations, un moteur qui lui ne soit pas transitoire, qui non seulement jmisse agir, mais qui agisse par soi, qui soit son activité ; un pareil moteur ne peut être la miitière, car à l’opposé de la matière il ne iicul être sujet d’aucun devenir, mais possède d’emblée et par essence tout ce que le devenir acquiert progressivement. Le

principe de la conservation de l’énergie ne s’oppose donc pas plus à la preuve par le mouvement que le principe antique « corruptio unius est generatio alterius ». L’énergie demeure la même, mais non pas numériquement ; il y a en elle une transformation qui s’oppose précisément à la permanence et qui, comme toute absence d’identité, demande une cause.

On sait du reste que le principe de la conservation de l’énergie a pour correctif celui de la dégradation de l’énergie : l’énergie mécanique transformée en énergie thermique ne peut être restituée en quantité équivalente, la chaleur pour se former absorbe plus d’énergie mécanique qu’elle n’en peut rendre. Quelques-uns ont pensé qu’on pouvait tirer de ce principe une preuve de Dieu : si le monde se rapproche ainsi d’un état d’équilibre et de repos final, si le mouvement doit finir, c’est qu’il n’est pas nécessaire, donc il lui faut une raison d’être extrinsèque, une cause. Cf. HoxTHEiM, rheologia naturalis, n. 336. — C’est là, comme le remarque M. Chossat, Dict. de Théol. cath., art. (I Dieu », col. 938, un argument ad hominem, qui vaut ce que vaut le principe de la dégradation. Sui-Aant l’avertissement de M. Duhem au Congrès de Bruxelles, « n’employons pas des théories physiques controversées à l’établissement de la métaphjsique «. Cf. Iieue Thomiste, 1894, p. 579. Il n’est pas besoin en effet du principe de la dégradation de l’énergie pour maintenir le vrai sens de la preuve du premier moteur contre les mécanistes, qui voudraient se contenter comme Descartes d’une chiquenaude à l’origine des choses dans le passé. Il y a dans tout devenir quelque chose de nouveau qui exige non pas une évolution créatrice, mais l’intervention du Premier Etre,

fi — Certains dynaniistes font une objection tout opposée au principe « quidquid movetur ab alio movetur ». Avec nous, contre Descartes, ils admettent que le mouvement n’est pas communirpié tout fait du dehors, mais précisément à cause de cela ils ne voient plus la nécessité d’un moteur extérieur, et conçoivent l’activité des corps d’une façon analogue à celle des vivants : selon M. Schiller. « les preuves exmot u et ex causis ne sont possibles que dans une hypothèse mécaniste du monde ; dans une philosophie dynamiste elles n’ont ]>lus aucune valeur ». Cf. lievue de Philosophie, 1906, p. 653. — Aristote et S. Thomas étaient-ils donc mécanistes ?

Cette objection n’atteint pas notre principe, qui est vrai des vivants eux-mêmes. Le vivant ne peut, sans contradiction, être moteur et mobile sous le même rapport ; mobile par une de ses parties (les membres), il est moteur par une autre (le cœur, les centres nerveux), mais cette aiiti’e partie à son tour, étant sujet d’un mouvement, demande un moteur extérieur et, en fiji décompte, un moteur qui ne soit sujet d’aucvm dcA cuir.

/ — Les dynamisles croient échapper à cette argumentation en admettant une force qui serait comme un intermédiaire entre la puissance et l’acte et qui agirait par soi. C’est Xsv virtualité de Leibniz, et antérieurement à Leibniz, c’est Vacte virtuel par lequel SiAREZ (Disp. XXIX. sect. i, n. 7) croyait pouvoir exi)liquer que la Aolonté peut passer à l’acte sans une motion divine. C’est la dernière instance du dynamisme. Cf. Jean de Saint-Thoaias, in I'>'", q.2, disp.3, a. 2, n" 6 ; — Leibniz, Monadologie, édit. Boulroux, p. 89-41 ; — Kleutgen, /.a Philosophie scolastique, t. III, p. 329 ; — DuiiEM, L’Evolution de la mécanique, p. 36.

Il est facile de répondre : l’acte virtuel reste distinct de l’action qui dérive de lui. Y a-t-il, oui ou non, devenir en lui’.' Son action est-elle éternelle, ou au contraire est-elle apparue dans le temps ? Cette appari-