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DIEU

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sa miséricorde, Il a eu besoin de notre misère, comme pour exercer sa puissance créatrice il fallait le néant absolu (I^, q. 21, a. 3). L’Incarnation rédemptrice nous a permis de dire « felix culpa ». Quant au mal moral qui se refuse à coopérer au bien, il y coopère malg-rc lui par le châtiment qu’il appeÙe, par la manifestation de la Justice, manifestation des droits imprescriptibles du Bien, et il permettra à Dieu de se montrer dans toute sa splendeur de Juge (I, q. 25, a. 5, ad’i'"^^). Les petits catéchismes disent simplement : <( Il y aura un jugement général afin que par la vue de toutes les bonnes œuvres et de tous les pécliés des hommes on reconnaisse la justice dans la récompense des bons et dans le châtiment des /néchanls. »

Telle sera la ré[)onse catholique au problème du mal. Au moment d’établir l’existence de Dieu, le théologien n’ignore aucune des dillicultés sur lesquelles insistent à plaisir les pesshnistes, il en prévoit même bien d’autres. Loin de se laisser arrêter comme Voltaire par des désastres tels que le tremblement de terre de Lisbonne, il prévoit quil aura à expliquer par les exigences mêmes du Souverain Bien l’éternelle réprobation. Seul le théologien peut ainsi poser le problème du mal en ses dernières profondeurs, et au problème ainsi posé, quelque effort de pensée qu’on se donne, on ne trouvera jamais d’autre réponse que celle de S. Paul, expliquée par S. Thomas au traité de la Prédestination. Il faut lire et méditer cette page où S. Thomas montre dans la manifestation même du Souverain Bien la raison, non seulement de la Miséricorde à l’égard des élus, mais encore de la Justice vengeresse à l’égard des réprouvés. Le Souverain Bien a deux aspects qui demandent à être manifestés : 1° il est essentiellement diffusif de soi, c’est le principe de la Miséricorde ; 2" il a un droit absolu à être aimé par-dessus tout, c’est le principe de la Justice vengeresse qui proclame contre ceux qui le nient ce droit suprême et indéfectible, principe de tout devoir. « C’est la bonté divine elle-même, dit Thomas d’Aquin, I », q. 25, a. 5, ad 3"™, qui rend compte de la prédestination des uns et de la réprobation des autres. C’est afin que cette divine bonté soit reproduite en tout ce qui existe que Dieu a tout créé. Mais il est nécessaire que cet attribut divin, qui est un et simple en lui-même, soit représenté de manières différentes dans les créatures, parce que ce qui est créé ne peut s’élever à la simplicité divine. Aussi la perfection de l’univers requiert-elle divers degrés, une hiérarchie, certaines créatures doivent être au rang le plus élevé et d’autres au rang le plus inférieur. Pour conserver dans le monde cette diversité et cette gradation. Dieu a permis certains maux, atin de fournir à un grand nombre de choses excellentes l’occasion de se produire, comme nous l’avons déjà dit (q. 22, a. 2). — Et si maintenant on compare le genre humain tout entier à l’ensemble de l’univers, on est amené à dire que Dieu a voulu qu’il y eût parmi les hommes des prédestinés pour représenter sa bonté qui éclate alors par la miséricorde de son pardon, et aussi des réprouvés pour manifester sa justice par le châtiment qu’il leur inflige. Voilà le motif pour leijuel il élit les uns et réprouve les autres. Cette raison est donnée par S. Paul, quand il dit que « Dieu, voulant montrer sa colère, c’est-à-dire sa justice vengeresse, et faire reconnaître sa puissance, a souffert, c’est-à-dire pci-mis, dans sa patience extrême qu’il y eût des vases de colères préparés pour la perdition, afin de faire paraître avec plus d’éclat les r.’chesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la glorification ))(/ ?0Ht., IX. 22, 23).

Telle est l’ultime réponse de la théologie au pro blème du mal ; bien loin de s’opposer à l’existence de Dieu, elle la suppose, mais il faut avouer qu’elle n’est accessible qu’aux parfaits : « Sapientiani autem loquimur inter perfectos… Animalis autem homo non perripit ea quæ sunt spiritus Dei, stultitia enim est un et non potest intelligere. i> I Cor., ir, i-i^. De grands contemplatifs comme Angèle de Foligno nous font toucher, si l’on peut dire, la divine réalité de cette réponse, par la manière vivante et vécue dont ils l’expriment. Elevée à un état d’oraison supérieur à tous ceux qu’elle avait connus, la sainte arriva à une telle connaissance de la justice de Dieu et de la rectitude de ses jugements, qu’elle écrivit : « J’aime tous les biens et les nuuix, les bienfaits et les forfaits. Rien ne rompt pour moi Vharmonie. Je suis dans une grande paix, dans une grande vénération des jugements divins… Je ne vois pas mieux la bonté de Dieu dans un saint ou dans tous les saints, que dans un damné ou dans tous les damnés. Mais cet abîme ne me fut montré qu’une fois : le souvenir et la joie qu’il m’a laissés sont éternels… L’àme qui, descendue dans l’abîme, a jeté un coup d’œil sur les justices de Dieu, regai’dera désormais toutes créatures comme les servantes de sa gloire. » Le livre des visions et des instructions de la £" Angèle de Foligno. I « p., c. 24. S. Thomas dit de même :

« Pour les saints, la vue de la misère des damnés ne

sera pas sans contribuer à la gloire, ils se réjouiront non point de ces châtiments en eux-mêmes, mais l)arce qu’ils y verront l’ordre de la justice divine et penseront à leur projji’e délivrance. C’est en ce sens qu’il est dit Ps. lvii, 2 : Lætabitur justus cum viderit vindictam. « Quodl. VIII, q. 7, a. i, a. i et Suppl. Summ. TheoL, q. 94. a. 3. — Qu’on médite cette doctrine, et, comme dit Pascal, à propos de la Passion, K on la trouvera si grande, qu’on n’aura pas sujet de se scandaliser d’une bassesse qui n’y est pas. Mais il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s’il n’y en avait pas de spirituelles ; et d’autres qui n’admirent que les spirituelles, comme s’il n’y en avait pas d’infiniment plus hautes dans la sagesse. » Pensées.

2" La seconde objection, contre l’existence de Dieu, mentionnée par S. Thomas au début de son article, est celle des panthéistes. Il suffit d’admettre deux principes : la nature et l’esprit ; on ne voit pas la nécessité d’admettre un principe extrinsèque.

« Quod potest conipleri per pauciora principia, non

fit^per plura. » — On ne peut donc prétendre avec M. HÉBERT (La dernière idole, Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1902) que S. Thomas a ignoré le panthéisme ou n’en a pas tenu compte. Il est certain que S. Thomas a connu les deux formes les plus générales du panthéisme : celle qui fait rentrer le multiple dans l’un, le devenir dans l’être, et qui doit en venir à nier le monde (acosmisme), elle procède de Pakménidk (.l/e<., i, leç. 9 de S. Thomas ; Phys., 1. I, leç. 3, 4, 5 et 14), — et celle qui au contraire ramène tout au devenir et doit en venir à nier Dieu ; c est l’évolutionnisme athée qui procède des principes i)osés par Hkuaclitk (.Vt’/., 1. I, leç. 4). S. Thomas n’a pas été sans voir que le panthéisme, en un sens, n’a januiis existé, tellement il est aljsurde : ou le monde est absorbé par Dieu, et il n’y a plus que Dieu (acosmisme), ou Dieu est absorbé par le monde et n’existe plus (athéisme).

— Voir aussi, contre le panthéisme matérialiste de DAvm DK DixANT : II Sent., dist. 17, (p i, a. i, et Summa TheoL, I « , q. 3, a. 8 : >( Vtrum Deus veniat m compositionem aliorum. » — Contre l’averroisme, qui n’admettait (pi’une seule intelligence pour tous les hommes : P, q. 76, a. 2 (Cajet.) et q. 79, a. 5, ainsi que l’opuscule « De unitate intellectus ».