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l’ordre métaphysique, spirituel et moral (idées d’être, d’unité, de vérité, de bonté ; idée d’intelligence définie par relation à l’être ; idée de volonté définie par relation au bien ; idées des premières divisions de l’être : puissance et acte et les quatre causes…). Dès le deuxième degré d’abstraction (al)straction mathématique qui néglige les qualités sensibles poiune considérer que la quantité continue ou discrète) l’intelligibilité est moindre, bien que l’étude de ces sciences soit plus facile à l’homme, parce que l’objet moins abstrait est plus près des sens. En (in au premier degré d’abstraction, celui des sciences naturelles qui étudient les qualités sensibles en abstrayant seulement des circonstances individuelles, nous n’avons plus que des définitions enq>iriques et descriptives, on ne parvient pas à rendre les propriétés intelligibles en trouvant leur raison dans une différence spécifique. On se contente le plus souvent de constater des faits généraux, et le peu d’intelligibilité qui se trouve dans ces sciences, comme tout à l’heure dans la notion de la locomotive, provient de l’application des principes métaphysiques de causalité et de finalité, que l’intelligence sjiontanée perçoit dans l’être.

Telle est, dans la première opération de l’esprit, l’intuition abstractive de l’intelligible, niée par les sensualistes et par l’idéalisme subjectiviste. La deuxième opération de l’esprit, le jugement, montre encore mieux la fausseté de ces deux systèmes et la vérité du conceptualisme-réaliste traditionnel. — Ce qui différencie radicalement le jugement de l’association dont veulent se contenter les empirisles, c’est que l’association n’est encore qu’une juxtaposition mécanique de deux images, tandis que le jugement, aflirme par le verbe être l’identité réelle du sujet et du prédicat, qui ne sont que logiquement distincts. L’ànie de tout jugement est le verbe être. Comme l’a dit Ahistotk (Met., 1. IV, c. ;), « Il n’y a aucune différence entre ces propositions : l’homme est bien pointant, et l’homme se i)orte lùen, ou entre celles-ci : l’homme est marchant, s’avançant, et l’homme marche, s’avance ; de même j)Our les autres cas. » Par la copule est, on affirme que l’être qui est liomme est ^est le même que) l’être qui est bien portant. Cette simple remarque sufiit à réfuter l’empirisme ; selon l’expression déjà citée de J.-J. Rousseau, « la faculté (listinctive de l’être intelligent est de pouvoir donner un sens à ce petit mot est » qu’il prononce chaque fois qu’il juge. — Du même coup on perçoit la fausseté du rationalisme subjectiviste de Kant, comme l’a montré M. l’abbé Sentuoul dans sa thèse : L’Objet de la nit’faphysifjiie selon Kant ei Aristote (Louvain, 1900 ; ouvrage couronné i)ar la Kantgesellschaft de Halle). « Kant, dit l’auteur de cette thèse (p. 228), au rebours d’Aristote n’a pas compris que toute connaissance s’exprime exactement par le verbe être, copule de tout jugement… que tous les jugements ont pour caractère fornud d’être l’union d’un prédicat et <l’un sujet au niojen du verbe être, employé comme signe de l’identité des termes… La connaissance d’une chose consiste précisément à la voir identique à elle-même sous deux aspects différents (Met., 1. IV, c.’]). Avoir du triangle une connaissance, c’est en dire qu’il est telh> figure, de la cause qu’elle est contenant l’effet, de l’homme qu’il est doué d’imagination. Et pour prendre un jugement tout à fait accidentel, dire de ce nmr qu’il est blanc, c’est dire : ce mur est ce mur blanc… Si le sujet et le i)rédicat se conviennent de façon à être reliés ])ar le verbe être, c’est que le prédicat connue le sujet exi » rimenl une (même) réalité (possible ou actuelle) » (p. 123). — Kant n’a reconnu l’identité que dans ce qu’il appelle les jugements analytiques, pures tautologies à ses

yeux, et non pas dans les jugements extensifs qui seuls font avancer la connaissance et qu’il appelle des synthèses a priori ou a posteriori, parce qu’ils sont formés, selon lui, par la juxtaposition de notions distinctes. Il a ainsi méconnu la loi fondamentale de tout jugement. M. Sentroul dit très justement (p. 224)’  « Un jugement formé par la juxtaposition ou la convergence de plusieurs notions serait un jugement faux, puisqu’il exprimerait comme identiques deux termes qui n’auraient pas entre eux de l’identité, mais simplement quelque autre rapport… Le principe de la division aristotélicienne des propositions n’est point l’identification ou la non-identification du prédicat et du sujet : Aristote les divise selon que la connaissance de cette identité (non pas logique, mais réelle) naît de la seule analyse des notions ou de l’examen des choses existantes. » Kant devrait soutenir comme les sophistes de l’antiquité qu’on n’a pas le droit d’attribuer à un sujet un prédicat différent de ce sujet, qu’on n’a pas le droit de dire : (> l’homme est bon », mais seulement « l’homme est l’homme, le bon est le bon » ; ce qui revient à nier la possibilité du jugement (cf. Platox, Le Sophiste, 261 B.

— Aristote, IV Met., e. 29). La raison de cette opposition entre Ivant et la philosophie traditionnelle, c’est que, Kant partant du sujet, les catégories sont pour lui purement logiques, tandis que poiu- la philosophie classique qui part de l’être, les catégories sont milogiques, mi-ontologiques. Le jugement affirmatif recompose et restitue au réel ce que l’abstraction a séparé. Toute la vie de l’intelligence s’explique ainsi par son ordre à l’être (cf. col. gg^) Quant à la nécessité de partir de l’être, elle s’impose, nous allons le voir (cf. col. 1 000), sous peine l’^ de ne pouvoir faire un acte de réflexion, 2° de détruire l’idée, 3° de ne pouvoir être certain de l’existence même de notre pensée, 4" de rendre l’intelligence inintelligible à elle-même.

La troisième opération de l’esprit, le raisonnement, ne peut être, comme les précédentes, que l’acte d’une faculté qui a pour objet formel l’être. Tandis que les consécutions empiriques régies par les lois de l’association ne sont encore que des juxtapositions d’images, le raisonnement montre la raison d’être (extrinsèque) du moins connu dans le plus connu. La démonstration a priori nous fait connaître la raison d’être extrinsèque de la chose affirmée par la conclusion ; la démonstration a posteriori nous fait connaître la raison d’être extrinsècpie de l’affirmation de la chose. — Les démonstrations directes ou ostensives sont fondées sur le principe d’identité immédiatement impliqué dans l’idée d’être (la conséquence syllogistique repose en effet sur le principe : (jaæ sunt eadem uni tertio (moyen terme) sunt eadeni inter se) : — les démonstrations indirectes ou par l’absurde reposent siu" le principe de contradiction, qui n’est tpi’une formule négative du principe d’identité. — Quant au raisonnement induclif, il repose sur le principe d’induction, qui est un dérivé du principe de/vir/.so/( d’être (^’i la même cause dans les mêmes circonstances ne i)roduisait pas le même effet, le changement de l’effet, sans changement préalable dans la cause ou les circonstances, serait sans raison d’être). Pour renq)irisle qui réduit le concept à l’image commune accompagnée d’un nom, le syllogisme ne peut être qu’une vaine tautologie, connue l’ont soutenu Sextus Empiricus, Stuarl Mill et Spencer. La majeure, n’exprimant i)as l’universel mais seulement une collection d’individus, suppose qu’on a vérifie tous les cas particuliers, y compris celui que vise la conclusion. De ce point de vue, toute preuve rationnelle de Dieu est évidemment impossiljle. Mais toute connaissance scientifique est aussi