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susceptible de devenir objet de pensée, et ne pi-ésentera pas quelque jour l’image du désordre, du hasard et du chaos ? (Habier, op. cit., p. 887.) La négation de l’intuition de l’intelligible a ainsi conduit Kant à d’insolubles difficultés, elle n’a pas seulement enlevé aux principes métaphysiques toute portée au delà des phénomènes, mais dans l’ordre pliénoménal elle ne leur a laissé qu’une valeur sul)jective, une application arbitraire et précaire. « En détinitive, la théorie kantienne n’a en aucune façon procuré aux principes la certitude absolue et scientifique qu’elle promettait » (Rabier, ibid.). Cf. art. Criticisme kan 2° L’existence de l’intuition de l’intelligible prouvée par les trois opérations de 1 esprit. — Il nous reste à établir brièvement lexistence de cette intuition al)stractive de l’intelligible, et par là la nécessité du principe de causalité et sa valeur ontologique, en d’autres termes sa portée au delà du monde des phénomènes.

On s’étonnera iieut-être de la longueur des pages que nous allons consacrer à l’intuition abstractive de l’être et des premières lois de l’être. Il nous paraît impossible de répondre aux objections courantes contre les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu, sans revenir à ces préliminaires de métaphysi([ue générale sur l’être, l’identité, le devenir, le multiple, la substance, la causalité, la finalité. S’il est (les idées qui aient une valeur apologétique profonde et durable, n’est-ce pas avant tout ces notions premières qui commandent toute pensée ? Par leur analyse, s’explique et se justitie le sens commun.

« Toute faculté, dit en substance S. Thomas (C. Génies, 

l. II, c. 83, §82), doit avoir un objet formel, auquel par nature elle est ordonnée, qu’elle atteint tout d’abord, et par lequel elle atteint tout le reste. C’est ainsi que la vue a pour objet formel la couleur, rien n’est visible que par la couleur ; l’ouïe a pour objet formel le son, laconscienceapour objet le fait interne, la volonté a pour objet formel le ùien, elle ne peut même vouloir le mal que sous la raison de bien ; de même l’intelligence a pour objet formel l’être, rien n’est intelligible dans chacune des trois opérations de l’esprit (conception, jugement, raisonnement) que par rapport à Vétre. » L’étude de ces trois opérations va nous montrer que l’intelligence surtout n’est intelligible à elle-même que comme une vivante relation à l’être, qui est le centre de toutes ses idées, « l’àme » de tous ses jugements et de tous ses raisonnements. Elle apparaîtra ainsi comme la faculté de l’être tandis que les sens externes et internes s’arrêtent à la superficie phénoménale du réel, « sicut visus naturaliter cognoscit colorem et auditus sonum, ita intellectus naturaliter cognoscit exs et ea qlæ sunt per SE EXTis in quantum liujusmodi, in qua cognitivne fundatur PRiMORUM prixcipiohum notitia, ut, non esse siniul af/irmare et negare, et alia hujusmodi. Hæc igitur sola prima intellectus naturaliter cog710scit, conclusiones autem per ipsa, sicut per colorem cognoscit yisus omnia sensibilia tam communia quam sensibilia per accidens >. (C. Gentes. loc. cit.).

Il est facile de s’en couvaincre par l’examen de la première opération de l’esprit : la conception.

L’idée, en effet, diffère de l’image parce qu’elle contient la raison d’être de ce qu’elle représente (quod qiiid est, seu ratio intima proprietatum), tandis que l’image commune des nominalistes, accompagnée d’un nom commun, contient seulement à létat de juxtaposition les notes qu’elle nous fait connaître, et ne rend pas ces notes intelligil)les. — On oppose souvent l’idée et l’image, en disant que l’idée est abstraite et universelle, tandis que l’image est concrète

et particulière. L’opposition est moins nette s’il s’agit de l’image composite accompagnée du nom commun. De plus le caractère d’abstraction n’est qu’une propriété de l’idée, et même une propriété de l’idée humaine en tant qu’humaine, tirée des données sensibles. L’universalité n’est aussi qu’une propriété de l’idée, propriété conséquente au caractère abstrait, elle n’en désigne pas l’essence. L’essence de l’idée en tant qu’idée, qu’il s’agisse de l’idée humaine, angélique ou divine, est de contenir l’objet formel de l’intelligence en tant qu’intelligence (humaine, angélique ou divine), c’est-à-dire l’être ou la raison d’être.

Un exemple cité par M, Vacant dans ses Etudes comparées sur la Philosophie de S. Thomas d’Aquiii et celle de Scot, t. I, p. 134, nous aidera à voir ce qu’est l’intuition de l’intelligible dans la connaissance intellectuelle la plus élémentaire. « Mettez un sauvage en présence d’une locomotive, faites-la marcher dcvant lui, laissez-lui le loisir de l’examiner et d’examiner d’autres machines semblables. Tant qu’il ne fera que les voir courir, tant qu’il se contentera d’en considérer les pièces diverses, il n’en aiu’a qu’une connaissance sensible et particulière (ou, si vous voulez, une image commune, accompagnée d un nom, comme celle que pourrait avoir un perroquet). Mais s’il est intelligent, un jour il comprendra qu’il faut qu’il y ait là une force motrice, que la locomotive produit ou qu’elle applique… ; s’il parvient à comprendre que c’est par la dilatation de la vapeur emprisonnée que cette force motrice est obtenue, il entendra ce que c’est qu’une locomotive (quod quid est), et il s’en formera un concept spécifique… Les sens ne voj’aient que des éléments matériels, une masse de fer noire, disposée de façon singulière. L’idée montre quelque chose d’immatériel : la raison d’être de cette disposition et de l’agencement de ces pièces variées. L’idée revêt (par suite) un caractère de nécessité, par elle on voit qu’il faut que toute locomotive marche, étant données les conditions dont précédemment on ne voyait pas la raison. L’idée enlin est universelle, par elle on comprend que toutes les machines ainsi fabriquées auront la même puissance et arriveront au même résultat. »

L’image commune de la locomotive contenait seulement à l’état de juxtaposition les éléments sensibles communs, elle n’en contenait pas la raison d’être et ne les rendait pas intelligibles.

Telle est l’intuition abstractive de l’intelligible ou de la raison d’être, dans la connaissance vulgaire. Prenons maintenant un exemple dans la psychologie rationnelle achevée, soit l’idée d’homme. Cette idée ne contient pas mécaniquement juxtaposés et associés les caractères communs à tous les hommes : raisonnable, libre, moral, religieux, sociable, doué de parole, etc. ; elle rend tous ces caractères intelligibles en montrant leur raison d’être dans le premier d’entre eux ; elle exprime ce qu’est l’homme (quod quid est). Ce qui fait que l’homme est honnne, ce n’est pas la liberté, la moralité, la religion, la sociabilité ou la pai’ole, c’est la raison ; car de la i-aison toutes les autres notes se déduisent. La rationabilité est rendue elle-même intelligible lorsqu’on établit que la raison d’être des trois opérations de l’esprit (conception, jugement, raisonnement) est dans la relation essentielle de l’intelligence à l’être, son objet formel.

A vrai dire, il faut concéder aux nominalistes qu’il est peu d’idées qui soient susceptibles de devenir pleinement intelligibles, ce sont seulement celles ([ui peuvent être rattachées à l’être, première lumière objective de nos connaissances intellectuelles. Ce sont surtout les idées qui appartiennent à ce qu’AuisTOTE (Met., 1. X, c. 3) appelait le 3 degré d’abstraction, ou abstraction de toute matière, c’est-à-dire celles de