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DIEU

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vous allez ; s’il y a un créateur intelligent, libre et bon… Vous ne saurez jamais un mot de tout cela. Laissez-donc là ces chimères… La perfection de l’homme et de l’ordre social est de n’en tenir aucun compte. L’esprit s’éclaire d’autant plus qu’il laisse dans une obscurité plus grande vos prétendus problèmes. Ces problèmes sont une maladie ; le moyen d’en guérir est de n’y pas penser. » — On retrouve aujourd’hui les mêmes idées chez les néo-comtistes MM. Lévy-Bruul et Durkheim.

Récemment M. Le Roy vient de reproduire encore une fois les objections positivistes contre les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu ( « Comment se pose le prohlème de Dieu y. Revue de Métaphysique et de Morale, mars igo’j…). M. Le Roy part du sensualisme ou nominalisme bergsonien : « L’idée générale est due à la constitution de notre système nerveux : appareils de perception très divers, tous reliés par l’intermédiaire des centres aux mêmes phénomènes moteurs. L’abstraction est donc une mise en relief due à un phénomène moteur « (Matière et mémoire, p. 169-176), « l’idée n’est qu’une image moyenne » {Evolution créatrice, Y>. 827) ; ’(du devenir en général je n’ai qu’une connaissance verbale » (p. 822). — De ce point de vue, M. Le Roy est amené à répéter ce que nous avons lu chez St. Mill : «. Les previves de l’existence de Dieu reposent toutes sur le morcelage purement utilitaire qui distingue le moteur et le mobile, le mouvement et son sujet, la puissance et l’acte… substances et cJioses ne sont que des entités verbales par lesquelles nous « réifions » et immobilisons le flux universel, des arrangements et des simplifications commodes pour la parole et pour l’action… Si le monde est une immense continuité de transformations incessantes, on n’a plus à imaginer cette cascade échelonnée et dénombrable qui appellerait nécessairement une source première… Affirmer le primat de l’acte, c’est encore sous-entendre les mêmes postulats. Si causalité n’est que déversement d’un plein dans un vide, communication à un terme récepteur de ce que possède un autre terme, en un mot œuATe anthropomorphique d’un agent, alors soit ! Mais que valent ces idoles de l’imagination praticpie ? Pourquoi ne pas identifier tout simplement Vêtre au devenir : … » — A cette objection, M. Le Roy ajoute l’objection kantienne que nous examinerons plus loin ; les preuves traditionnelles ne concluent que par un recours inévitable à l’argument ontologique. — Dieu, selon M. Le Roy, est « une réalité ciui devient « , qui n’est pas encore et ne sera jamais, et qui ne conserve de la transcendance que le nom :

« immanence et transcendance répondent à deux

moments de la durée : l’immanence au devenu, la transcendance au devenir. Si nous déclarons Dieu immanent, c’est que nous considérons de Lui ce qui est devenu en nous ou dans le monde ; mais, pour le monde et pour nous, il reste toujours un infini à devenir, un infini qui sera création proprement dite, non simple développement, et de ce point de vue Dieu apparaît transcendant » (Rev. de Met. et Mor., juillet 1907, p. 512). L’auteur voyait-t-il toute la portée de ces paroles ? Cette conclusion, nous l’avons vu plus haut, est manifestement contraire à la définition du Concile du Vatican (cf. col. 9.51).

On voit à quoi se réduit l’objection des positivistes contre la possibilité de démontrer l’existence de Dieu. Cette objection n’a pas fait de progrès depuis que Hume a ramené toute idée à une image commune accompagnée d’un nom, et la causalité à l’image commune de succession phénoménale invariable accompagnée du nom de cause ; tout ce qui n’est pas immédiatement saisi par les sens ou la conscience est entité verbale ; la raison qui est la faculté de l’être

n’existe pas. Le principe de causalité ne vaut que pour l’ordre phénoménal, et même rien ne nous assure qu’il doit s’appliquer dans cet ordre partout et toujours.

2’Objection de Kant contre la valeur ontologique et transcendante du principe de causalité.— La théorie kantienne de la connaissance détruit, elle aussi, le fondement de nos preuves de l’existence de Dieu. Kant rejette l’empirisme parce que ce système supprime toute nécessité dans la connaissance et que Kant ne peut mettre en doute la nécessité de la physique de N’ewtox, ni la nécessité de la loi morale. Mais le rationalisme dogmatique a tort, selon lui, lorsqu’il prétend posséder une intuition de l’intelligible et s’élever scientifiquement à l’existence des causes et des substances, il s’engage en fait, lorsqu’il veut poser ces problèmes, dans des antinomies. Sur ce point l’empirisme a raison contre lui. La métaphysique n’est pas arrivée à se constituer et n’y arrivera pas, elle est impossible. Seule la science de l’ordre phénoménal existe, la physique newtonicnne s’impose conmie nécessaire. — Comment expliquer cette nécessité de la connaissance scientifique ? L’expérience donne bien les rapports qui existent entie les faits, mais ne nous apprend rien sur la nécessité de ces rapports, il reste que ce soit l’esprit qui établisse entre les phénomènes ces liaisons nécessaires, par l’application de ses catégories de substance, de causalité, d’action réciproque, etc. Ces catégories permettent de former des liaisons a priori entre phénomènes, ou de faire des jugements synthétiques a priori. — Le principe de causalité, par lequel les métaphysiciens prétendent s’élever à une cause première, n’est qu’un de ces principes synthétiques a priori. Il faut concéder à Hume que la proposition

« tout ce qui arrive a une cause w n’est pas analytique, 

le sujet ne contient pas d’avance le prédicat ; ce n’est pas un jugement purement explicatif qui consiste seulement à développer le concept du sujet pour y trouver celui du prédicat, comme lorsqu’on dit : « ce qui est en contradiction avec une chose ne lui convient pas «. ou « tous les corps sont étendus ». C’est un jugement extensif, qui élargit véritablement la connaissance, il est donc synthétique, comme cet autre jugement « tous les corps sont pesants » ; mais en même temps il s’impose a priori, il est nécessaire, comme la science l’exige. Il se formule : « Tous les changements arrivent suivant la loi de la liaison de cause à effet » ; il n’a de portée que sur le monde phénoménal et n’autorise nullement à relier tous les changements à une cause d’un autre ordre, qui ne soit pas elle-même un changement (Critique de la Raison Pure, Introduction, § iv ; — Analytique transcendantale, 1. II, c. 11, sect. 3, n^S — Trad. Barni., t. I, p. 55, 62 et p. 2^9 — Dialectique transcendantale, 1. II, c. II, sect. 9, n" 4. 4’antinomie). Le principe de causalité ainsi conçu postule toujours un phénomène antécédent, jamais une cause aljsolue. — Au point de vue nouménal, il se peut toutefois qu’il y ait une cause première, l’idée de Dieu est même un idéal nécessaire à l’achèvement de la connaissance, qui est irrésistiblement poussée à rattacher le conditionné à un inconditionné absolu. Le mouvement naturel de notre esprit nous entraîne même à concevoir Dieu comme le prototype de tous les êtres, réalité suprême absolument une, simple, entièrement déterminée, possédant toutes les perfections qui constituent la personnalité. — Mais cette démonstration métaphysique est absolument vaine, faute d’intuition intellectuelle à laquelle elle puisse s’appliquer, l’analytique des concepts et des principes l’a montré d’avance. Kant entreprend cependant d’établir que