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DIEU


riinivers. — Même antagonisme entre la justice inûnie et la miséricorde, entre la saj>esse qui connaît tout Tavenir et la libertc, entre la puissance et la bonté infinie et l’existence du mal. — « L’athéisme, le panthéisme, le théisme sont tous absolument inconcevables » (p. 37). Mais ces trois systèmes et les religions diamétralement opposées, polythéistes et monothéistes, s’accordent à reconnaître que les faits de Texpérience sont à expliquer, et la « croyance à Voinniprésence de quelque chose qui passe l’intelligence, commune à toutes les religions, non seulement devient de plus en plus distincte à mesure que les religions se développent, et demeure après que les éléments divers se sont annulés mutuellement ; mais encore c’est cette croyance que la critique la plus impitoyable de toutes les religions laisse debout, ou plutôt qu’elle met plus vivement en lumière » (p. 89 et 96). — Nous montrerons plus loin (col. 1007 et 1054) que les prétendues contradictions que signale ici Spencer proviennent encore de son empirisme nominaliste, qui ne lui permet pas de concevoir analogiquement les attributs divins. La conception univoque. qu’il est nécessairement amené à s’en faire, engendre nécessairement en effet la contradiction.

Aujourd’hui W. James n’ajoiite rien de bien nouveau ; parlant des preuves traditionnelles, il écrit :

« Jene discute pas ces arguments. Il me suffit que tous

les philosophes depuis Kant les aient considérés comme négligeables. Ils ne peuvent plus servir de base à la religion. L’idée de cause est trop obscure pour qu’on puisse bâtir sur elle toute une théologie. Quant à la preuve par les causes finales, le darwinisme l’a bouleversée. Les adaptations que présente la nature, n’étant que des réussites hasardeuses parmi d’innombrables défaites, nous suggèrent l’idée d’une diA’inité bien diflerente du Dieu que démontrait le finalisme « (IJExpérience religieuse, trad. Abauzit, 1906, p. 369). Des attributs divins, les uns sont vides de sens, ce sont les attributs nu’-taphysiques (’< tout le sens que peut avoir la conception d’un objet se réduit à la représentation de ses conséquences pratiques », p. 3^5) : « l’aséité de Dieu, sa nécessité, son immatérialité, sa simplicité, son individualité, son indétermination logiquc, son infinité, sa personnalité métaphysique, son lapport avec le mal qu’il permet sans le créer ; sa suffisance, son amour de lui-même et son absolue félicité : franchement qu^ importent tous ces attributs pour la f/e rt’e PAowwe.^ S’ils ne peuvent rien changer à notre conduite, qu’importe à la pensée religieuse qu’ils soient vrais ou faux ?… Le jargon de l’Ecole a remplacé l’intuition de la réalité ; au lieu de pain, on nous donne une pierre » (p. 876). W. James croit même >< qu’une philosophie de la religion devrait accorder plus d’attention qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent à l’iiypothèse pluraliste » ou polythéisle (p. 436). — Quant aux attributs moraux, leur valeur est solidaire du pragnuitisuic : l’arbre se reconnaît à ses fruits. Mais cette notion de fécondité pratique s’évanouit à son tour dans le flux universel de l’évolutionnisme empirique. Les idées morales et religieuses se transforment « à mesure que se modifient d’une part les connaissances relatives au monde extérieur, d’autre pai’l les formes sociales. Après (|nclques générations, l’atmosphère morale devient funeste à certaines conceptions de la divinité qui s’épanouissaient naguère… Autrefois les appétits féroces d’un dieu sanguinaire étaient aux yeux de ses fidèles des preuves de sa réalité, (fournie nous, ils jugeaient l’arbre à ses fruits » (p. 282). Que restet-il donc de l’édifice religieux ? Il ne reste que l’expérieiue i)crsonnelle et les affirmations inimédiales qu’eile permet. W. James arrive à cette conclusion voisine de celle de Spencer : « Ce que sont en elles-mêmes les réalités

spirituelles les plus hautes, je l’ignore… Mais tout ce que je sais et tout ce que je sens, tend à me persuader qu’en dehors du monde de notre pensée consciente, il en existe d’autres, où nous puisons des expériences capables d’enrichir et de transformer notre vie… » Ce monde transcendant, inconnaissable, n’est autre pour W. James que le moi subconscient ou subliminal, c’est cette subconscience qu’il appelle Dieu.

Les positivistes français, à la suite de Comte et de Littré, ont généralement regardé l’examen du problème de Dieu, non seulement comme inutile, mais encore comme dangereux. Pour A. Comte, ce problème est vain, cela va sans dire, puisque pour l’auteur du Cours de philosophie positive (5 édit., t. III, p. 628)

« il n’j^a aucune différence essentielle entre Ihomme

et l’animal)^, il faut admettre avec Gall que « la sensation, la mémoire, l’imagination et même le jugement constituent seulement les divers degrés d’un même phénomène propre à chacune des véritables fonctions phrénologiques élémentaires » (ibid., III, 627). Les phénomènes intellectuels et moraux se rattachent à la physiologie animale. Par là sont renversées toutes les théories métaphysiques « où des entités purement verbales se substituent sans cesse aux phénomènes réels » (ibid., III, 616). Pour être fidèle à ses principes. Comte ne devrait plus voir dans le réel que ce que l’animal y peut atteindre, et l’animal, comme le remarquait Rousseau après Aristote, se distingue précisément de l’homme « en ce qu’il ne peut pas donner de sens à ce petit mot : est ». Comte est naturellement amené à conclure : < les démonstrations traditionnelles de l’existence de Dieu ne peuvent résister à la discussion » (ibid., t. V, p. 690). — Il y a plus, cette croyance est inutile et dangereuse.

« Xe serait-ce pas désormais un cercle profondément

vicieux que d’ctayer d’abord, par de vains et laborieux artifices, les principes religieux, afin qu’ils puissent ensuite, ainsi destitués de tout pouvoir intrinsèque et direct, servir de point d’appui à l’ordre moral ?… Aucun office vraiment fondamental ne saurait donc appartenir à des crojances qui n’ont pu elles-mêmes résister au développement universel de la raison humaine, dont la virilité ne finira point sans doute par reconstruire les entraves oppressives que brisa à jamais son adolescence… La principale tendance pratique des croyances religieuses ne consiste-t-elle point, le plus souvent, dans la vie sociale actuelle, à inspirer surtout, à la plupart de ceux qui les conservent avec quelque énergie, une haine instinctive et insurmontable contre tous ceux qui s’en sont affranchis, sans qu’il en résulte d’ailleurs aucune émulation réelle utile à la société ? » (Cours de Phil. posit., t. IV. p. 106 et 107.) L’esprit moderne ne peut plus connaître d’autre culte que celui de l’humanité.

— Est-il nécessaire au théologien d’avoir reçu le charisme du discernement des esprits, pour jugei" si cette page d’Auguste Comte jirocède de l’amour de la vérité ou de l’orgueil ? — Littkk dit de même : « La science ne déclare point qu’il n’y a poinl de Dieu, elle déclare que toutes les choses se passent comme s’il n’y en avait pas. La philosojdiie jjositive recueille cette déclaralion. et refuse de plus discuter ce qui ne peut jdus être l’objet d’aucune (xpéricnce et d’aucune preuve » (Philosophie positive, l, 169). « Kant et les noniinalisles ont fait table rase des arguments mclaphysicpics » (ibid., i, p. 238). « puisque les entités métaphysiques sont purement imaginaires, puis(nu^ l’homme ne peut en aiu’une nuinière les constater, l’existence de Dieu, que l’on en déduit, ne peut avoir plus de réalité cpi’elles n’en ont elles-mêmes. » (ibid., X, 14). « Pour(pu)i donc, <lit encore Littré (liev. des Deux Mondes, i*- juin 1865, j). 686), vous obstinez-vous à vous cnquérir d’où vous venez et où