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anlérieur, il semble que notre expérience, loin de fournir un argument en faveur d’une cause première, y répugne, et que l’essence même de la causalité, telle qu’elle existe dans les limites de notre connaissance, est incompatible avec une cause première «  (p. 133). St. Mill, en vertu de ses principes nominalistes, rejette de même l’argument qui, de l’existence des intelligences et consciences humaines, s’élève par voie de causalité à une intelligence et conscience première : « Si l’on admet que le seul fait de l’existence de l’esprit exige comme son antécédent nécessaire l’existence d’un autre Esprit plus grand et plus puissant, la difTiculté n’est point supprimée pour avoir été reculée d’un pas. L’esprit créateur a, autant que l’esprit créé, besoin d’un autre esprit qui soit la source de son existence » (sic) (p. i^o). Pour un nominaliste conséquent, la notion d’esprit n’est pas en effet une idée susceptible de se rattacher à Vétre, et qui permette d’identifier l’esprit par soi à l’être par soi, c’est seulement une image commune, accompagnée d’un nom, qui se réfère aux phénomènes et non pas à l’être. — L’empirisme de Mill a. plus loin encore ; cette dernière conséquence absolument rigoureuse le juge : « Où est la preuve que nul autre objet qu’un esprit ne peut être la cause d’un esprit ? Avons-nous un autre moyen que Vexpérience, de savoir quelle chose en produit une autre, quelles causes sont capables de produire tels effets ?… En dehors de l’expérience et en particulier pour ce qu’on appelle la raison, qui porte sur ce qui est évident de soi, il semble qu’aucune cause ne puisse donner naissance à des produits d’un ordre plus noble qu’elle-même. Mais cette conclusion est en désaccord avec tout ce que nous savons de la nature. Combien plus nobles et plus précieux ne sont pas les végétavix et les animaux supérieurs, par exemple, que le sol et les engrais aux dépens et par les propriétés desquels ils croissent ? Tous les travaux de la science moderne tendent à faire admettre que la nature a pour règle générale de faire passer par voie de déA’eloppement les êtres d’ordre inférieur dans un ordre supérieur et de substituer une élaboration plus grande et une organisation supérieure à une inférieure » (p. 142). Ce qui revient à dire : le plus sort du moins, l être du neanfjla Aie intellectuelle proA’ient d’une fatalité matérielle et aveugle, la pensée de l’homme de génie et la charité des saints tirent leur oi*igine d’un peu de boue. Mill cependant reconnaît une assez grande probabilité à la preuve tirée des signes du plan de la nature ; elle est en effet, selon lui, comme nous le verrons plus loin, un argument inductif qui correspond à la méthode des concordances, « argument léger dans bien des cas, mais quelquefois aussi d’une force considéi-able, surtout quand il s’agit des dispositions délicates et compliquées de la vie végétale et animale » (p. 162), c’est-à-dire que, d’après les lois de l’induction et l’état actuel de la science, la cause plus probable de l’organisation de l’œil ou de l’oreille n’est pas la « survivance des plus aptes », mais une intelligence ordonnatrice.

St. Mill est ainsi logiquement conduit par les principes de l’empirisme à n’admettre en fait de convictions prouvées ni le théisme ni l’athéisme. Il s’applique même à montrer que les attributs du Dieu des chrétiens, en particulier la toute-puissance et la sagesse, ne peuvent se concilier ; ici encore évidemment tous les arguments relèvent du point de vue empiriste. — Selon lui, notre imagination nous fait néanmoins entrevoir l’existence d’un Dieu juste et bon comme possible ; or le penseur ne fait rien de déraisonnable, en se laissant aller à l’espérance que ce Dieu existe, pourvu qu’il reconnaisse qvie, s’il y a des motifs de l’çspéxer, il n’y a pas de preuves pour l’admettre (p. 227…).

Toutes ces conclusions dérivent de la thèse nominaliste de St. Mill sur la causalité. Cette même thèse a été reprise et quelque peu modifiée par Spencer. Mill, qui est idéaliste à la manière de Berkeley, n’admet pas l’existence du monde extérieur ; d’après lui le principe de causalité, comme les autres principes, est donc formé par la répétition des mêmes phénomènes psychiques dans chaque conscience individuelle. H. Spencer, cpii admet au contraire l’existence du monde extérieur, regarde le principe de causalité comme le produit de l’habitude que nous avons prise de voir la succession constante des mêmes phénomènes. Il invoque, en outre, l’hérédité pour expliquer la tendance, que nous éprouvons, dès notre entrée dans la vie, à régler notre conduite et nos raisonnements d’après ce principe. Selon lui (Psychologie, partie IV, ch.’)), ’( les successions psychologiques habituelles établissent une tendance héréditaire à de pareilles successions, qui, si les conditions restent les mêmes, croît de génération en génération, et nous explique ce que l’on appelle les formes de la pensée ». Ainsi Le vaste édifice de nos jugements serait le résultat de perceptions expérimentales soudées et accumulées de siècles en siècles, comme nos continents se sont formés par l’entassement régulier de zoonites presque imperceptibles. Entre la sensation de l’animal et les actes d’intelligence du savant, il n’y a, selon Spencer, qu’une différence de degré. « Il est certain qu’entre les actes automatiques des êtres les plus bas et les plus hautes actions conscientes de la race humaine, on peut disposer toute une série d’actions manifestées par les divers tribus du règne animal, de telle façon qu’il soit impossible de dire à un certain moment de la série : Ici commence l’intelligence » (cité par Th. Ribot, La Psychologie anglaise contemp., 3 « éd., p. 199). Tel est bien le point de départ de l’objection positiviste contre la possibilité de démontrer Dieu : le renversement des fondements de la raison (cf. solution, col. 996 et 1007).

L’agnosticisme de Spencer n’est qu’une conséquence de ce nominalisme : « On ne peut esquiver la nécessité de faire quelque part l’hypothèse de l’existence par soi, mais soit qu’on la j^ose toute nue (théisme), soit qu’on la dissimule sous mille déguisements (panthéisme et athéisme), elle est toujours vicieuse, incogitable. .. Nous nous trouvons d’une part obligés de faire certaines suppositions, et d’autre part nous trouvons que ces suppositions ne peuvent être représentées. Nous sommes obligés de conclure à l’existence d’une cause première, infinie, absolue ou indépendante ; cependant les éléments du raisonnement, de même tjue ses conclusions, ne sont que des conceptions symboliques de l’ordre illégitime » (Les premiers principes, p. 31…). C’est dire : nos idées ne sont que des images communes accompagnées d’un nom (nominalisme), qui se réfèrent immédiatement aux phénomènes sensibles et que nous appliquons de façon illégitime à l’absolu. — L’erreur de nos conclusions, continue Spencer reprenant les antinomies kantiennes, ressort de leurs contradictions mutuelles : l’absolu en tant qu’absolu ne peut être cause. Si vous dites qu’il existait d’abord par lui-même, et qu’ensuite il devient cause, on se heurte à une nouvelle dilïiculté : l’infini ne peut devenir ce qu’il n’était pas d’abord. Si l’on répond qu’il le peut parce qu’il est libre, on tombe dans une nouvelle contradiction : la liberté suppose la conscience, et la conscience, n’étant concevable que comme une relation, ne peut se trouver dans l’absolu. Les conceptions fondamentales de la théologietraditionnelle s’entre-détruisent. L’absolu ne peut être conçu ni comme conscient, ni comme inconscient, ni comme simple, ni comme complexe, ni comme identifié avec l’univers, ni comme distinct de