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régression de l’effet à sa cause nécessaire, ne doivent pas s’égarer dans la série des causes accidentelles. C’est la méprise fréquente de ceux qui remontent de la poule à l’œuf, de l’œuf à une autre poule, et ainsi de suite dans le passé ; dans cette série, dit S. Thomas, on ne voit pas de raison de s’ai-rêter, a per accidens in infinitum procedere in catisis agentibiis non repiitatur intpossibile » (I" », q. 46, a. 2, ad ^"™). C’est seulement, continue le saint docteiu", dans l’ordre des causes nécessairement et actuellement subordonnées qu’il faut de toute nécessité s’arrêter : si une horloge était composée d’une multitude infinie de roues, et que chacune dépendit d’une roue supérieure, aucune roue ne pourrait se mouvoir, il n’y aurait en effet aucun principe du mouvement. Mais peu importe que cette horloge ait été remontée cent fois, mille fois, une nuiltitvide innombrable de fois : celui qui la remonte n’est cause que per accidens de son mouvement. De même, pour prendre l’exemple de S.Thomas, du bruit de l’enclume, on remonte au mouvement du marteau, puis au mouvement delà main du forgeron, et, en fin de compte, à un principe premier de ce mouvement local ; mais il importe peu que le forgeron remplace indéfiniment son marteau : <( artifex agit multis niartellis PER ACCiDEXS, quiu iinus post unum frangitur. AcciniT ergo huic mavtello, quod agat post actionem alteriiis martelli. Et siniiliter accidit liitic liomini, inquantum générât, quod sit generatus ab aliu ; gênerai enim inquantum homo, et non inquantum est filius alterius hominis… Unde non est impossibile quod homo generetur ab Iiomine in infinitum » (I^, q. ^6, a. 2, ad 7"™). On ne voit pas d’impossibilité métaphjsique à ce que la terre tourne dès toujoiu-s :

« Quælibet circulatio præcedentium transiri potuit, 

quia finita fuit ; in omnibus autem simul, si mundus semper fuisset, non esset accipere primam, et ita nec transitum, qui semper exigit duo extrema » (C. GeuteSfl. II, c. 38). Aristote, qui admettait l’éternité du monde et du mouvement, y voyait une nécessité de plus d’admettre un moteur éternel et infini, seul capable de produire un mouvement perpétuel {Met., 1. XII, c. 6). Pour S. Tliomas, c’est seulement par la Révélation que nous sommes certains que le monde n’a pas été créé ab aeterno. Cela dépend uniquement, en effet, de la liberté divine (I, q. 46, a. 2). Ce n’est pas la considération de la causalité qui nous obligerait à nous arrêter, à un instant du passé, dans la série des causes accidentellement subordonnées, ce ne pourrait être que l’impossibilité d’une multitude actuellement infinie. Mais, comme le remarque S. Thomas (I^, q. 7, a. 3, ad 4’"" ; q- 46, a. 2, ad G » "’et ad 7"™), il n’y a nmltilude actuellement infinie que si toutes ses unités sont données simultanément, ce qui n’a pas lieu dans le cas d’une régression à l’inlini dans le passé, puisque les causes passées n’existent plus. — En outre, s’il est évident qu’un nombre infini répugne, il est fort dilficile d’établir la ré[)ugnance d’une multitude actuellement infinie et innombrable. S. Tijomas écrivait vers I26’| à la fin de l’opuscule 27" De aeternitate mundi. « Adliuc non est demonstratum quod Deus non possit facere ut sint infinita in actu. » Le Quodlibet 12, q. 2, rédigé vers la fin de sa vie, précise connue il suit ce qui est dit, I’, q. 7, a. 4 : « Facere aliquid infinitum in actu vel in/inita esse simul in actu, non répugnât potentiæ Dei absolutae, quia non implicat contradictionem ; sed si considerelur modus quo Deus agit, non est possibile. Deus enim agit per intelleclum et per verbum, quod est formalivum omnium, unde oportet quod omniu quæ agit sint formata (id est determinata). « — Parmi ceux qui admettent que la multitude actuellement infinie ne répugne pas, il faut compter Scot,

les nominalistes, V.^squez, Dkscartes, Spinoza, Leibniz. Les jésuites de Coimbre et Tolkï (in /^m^ q. 7) soutiennent, comme probable, que l’infini actuel ne répugne pas. Récemment, la thèse finitiste de Renouvier a été réfutée par M. Milhaud (Essai sur les conditions de la certitude logique, p. 177). Aujourd’hui les mathématiciens au courant de la théorie des ensembles transfinis sont de moins en moins disposés à accepter comme valable un seul des arguments par lesquels on prouve que la multitude infinie actuelle est contradictoire. — Il importe donc de se souvenir qu’aucune des preuves classiques de l’existence de Dieu n’est solidaire de cette question controversée. Le motif pour lequel on ne peut remonter à l’infini est qu’il faut une raison suffisante, une cause. Alors même qu’on pourrait remonter à l’infini dans le passé la série des causes accidentelles, celle par exemple des transformations de l’énergie, celle des vivants, celle des générations humaines, le mouvement, la vie, l’àræ humaine demanderaient encore à être expliqués. Ces causes accidentelles ne se suffisent pas à elles-mêmes, elles sont aussi indigentes les unes que les autres. Prolonger leur série, n’est pas changer leur nature. Comme le dit Aristote, si le monde est éternel, il est éternellement insufiisant et incomplet ; éternellement, il a besoin d’une raison suffisante qui le rende réel et intelligible (Met., 1. XII, c. 6). Cf. Sertillanges, « Les prem-es de l’existence de Dieu et l’éternité du monde », quatre articles, Revue Thomiste, 1897 ^^ 1898.

5’^ Dans cette série des causes essentiellement subordonnées, il faudra s arrêter à ce qui est requis comme cause propre, sans rien affirmer de plus. — La cause propre n’est pas seulement nécessaire (per se), elle est encore immédiate (pr/wo). Il y a en effet des causes nécessaires non immédiates (per se non primo). C’est, pour nous, plus facile à comprendre d’aliord dans l’ordre des raisons que dans l’ordre des causes proprement dites. Aristote dit que l’essence du triangle contient la raison nécessaire, mais non pas immédiate, des propriétés du triangle scalène. Ces propriétés supposent en effet nécessairement que le scalène est triangle, mais elles ne peuvent se déduire immédiatement du genre triangle ; sinon, elles conviendraient à toutes les espèces de triangle, et non pas au scalène per se primo : <y.O’y.’jxb za « ri v.xjxd. (I Post. Anal., contm. de S. Thomas, leç. 1 1). — Il en va de même pour ce qui est de la causalité métaphysique : l’effet propre d’une cause est comme une de ses propriétés ad extra, subjectée dans un autre être. Le rapport de l’effet propre à la cause propre correspond à celui de la propriété à l’essence dont elle dérive nécessairement et innnédiatement. Cette cause propre est celle dont parle Aristote, I Post. Anal. (Comm. de S. Thomas, leç. 10 : quartus modus dicendi per se : la nécessité immédiate dans l’ordre de la causalité). Il donne comme exemple : « le meurtre cause la mort » ; ailleurs : « le médecin soigne, le chanteur chante ». Dire au contraire : « l’homme chante », c’est donner un exemple de cause non immédiate. Dire :

« le médecin chante », c’est donner un exemple de

cause accidentelle, car c’est accidentellement que celui qui chante est médecin.

Il est facile de donner d’autres exemples plus précis de cause propre : le feu chauffe, rcpcle souvent S. Thomas, la lumière éclaire, la couleur est le principe propre déterminant (ol>jel formel) de la vue, le son celui de l’ouïe, l’être celui de l’intelligence, le bien celui de la volonté. Rien n’est visible en effet que par la couleur, perceptible à l’ouïe que par le I son, intelligible que par rapport à l’être, désirable