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ALBIGEOIS.

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Nord, combattant en Palestine, ne se sont pas montrés inférieurs aux compagnons de Raymond ; je ne saisis donc pas la différence si marquée, dit-on, entre la civilisation du Nord et celle du Midi, différence qui ferait regarder la venue de Simon de Montfort et de ses guerriers comme une nouvelle invasion de barbares, comme une lutte provenant de l’antagonisme des races. » (M. II. Martin et son Histoire de France.)

L’armée des croisés s'était donc rangée devant Béziers, prête à l’assaut. Les historiens de la croisade représentent les habitants de cette ville comme gens adonnés à toutes sortes de vices et de crimes ; ce qui est certain, c’est que Béziers était le principal rempart de l’hérésie, et que l’esprit de révolte s’y portait parfois à des violences inouïes. Quarante-deux ans auparavant, les habitants de cette ville avaient tué dans l'église de la Magdeleine leiu- vicomte Trincanvel, et brisé les dents à l'évcque qui les en voulait empêcher. Toutefois, avant de commencer l’attaque, les chefs croisés députèrent Renaud de Montpellier, leur évêque, pour faire des propositions aux assiégés. Les catholiques se trouvaient en grande majorité à Béziers. S’ils avaient voulu livrer les hérétiques, dont l'évêque portait la liste sur lui, ou sortir de la ville, selon l’invitation qui leur était faite dans le cas où il n’eût pas été en leur pouvoir de livrer les hérétiques, le sac de Béziers n’eût peut-être pas eu lieu ; il eût certainement été réduit à d’infimes proportions. Mais, par malheur, les habitants de Béziers méprisèrent la sommation de l'évêque ; plus que cela, ils commencèrent eux-mêmes l’attaque en lançant des flèches sur les assiégeants ; de quoi les « valets » de l’armée étant indignés (les canzone disent les « Ribaults)'), ils escaladèrent les murailles et prirent la ville d’endilée (22 juillet 1209). Il y eut une tuerie effroyable ; sept mille personnes réfugiées dans l'église de la Magdeleine y furent égorgées en tas. On a cependant beaucoup exagéré le nombre des Aictimes ; les uns ont dit soixante-mille, d’autres trentehuit-mille. Ces chiffres sont arbitraires ; ils ne sont pas fournis par les chroniques contemporaines. Le légat Arnaud avoue vingt mille victimes, dans une lettre à Innocent III, et il n’y a point lieu de douter de sa sincérité. Cet Arnaud, abbé de Citeaux et légat pontifical, a eu sa légende, qu’on retrouve invariablement dans certaines histoires (voir II. Mautin, Hist de France populaire, p. 260. — Micuklkt, t. II, p. 493). On lui fait porter tout le poids des atrocités commises à Béziers. Avant l’attaque, il aurait juré qu’il ne laisserait pas à Béziers pierre sur pierre et qu’il ferait tout mettre à feu et à sang, tant hommes que femmes etpetits enfants. Pendant qu’on délibérait sur les moyens de distinguer les hérétiques des fidèles, il aurait, prétend-on, fait entendre ces paroles de sang : « Tuez-les tous, car Dieu connaît les siens ! »

Il n’est point surprenant qu’un siècle ou deux après le sac de Béziers, au souvenir douloureux d'événements lointains, ou à distance du théâtre de la guerre, on ait fait parler le légat Arnaud ; d’autant plus qu’il aA’ait dans la conduite de la croisade la principale part de responsabilité. Mais le serment fju’on lui prête n’est relaté ni dans les chroniques contemporaines, ni dans le poème de la croisade ; on le trouve seulement dans la chronique rendue en prose au xiv* siècle. Quant au second propos, il constitue, comme l’a écrit M. H. de l’Epinois, une belle et bonne calomnie : « Ni la chronique de Saint-Denis, ajoute ce dernier, ni Guillaume le Breton, ni Guillaume de Nangis, ni Albéric des Trois-Fontaines, ni Pierre de Vaulx-Cernay, ni Guillaume de Puylaurens, ni l’histoire de la croisade écrite en vers, etc., etc. ne font mention de cette prétendue réponse. « Où donc est-on allé la puiser ? Dans un auteur allemand, qui

vivait à trois cents lieues du théâtre de la croisade ; dans un livre dont le titre indique suffisamment les tendances, et oii le grotesque le dispute à l’invraisemblable, les Dialogi miraculorum de Pierre Césaire de Heisterbach. Et sous quelle forme Pierre Césaire rapporte-t-il les mots prêtés à Arnaud ? Comme un bruit : dixisse fertur. L’imputation ne s’accorde, d’ailleurs, ni avec les faits, ni avec le caractère du légat. Il est, en effet, reconnu que l’on chercha d’abord à composer axec les habitants de Béziers, et que le massacre eut lieu par surprise, sans préméditation de la part des chefs. Quant au caractère d’Arnaud, il se révèle sous un jour bien différent dans une occasion toute semblable à celle qu’on supi)ose, au siège de Minerve. On lui demandait de décider du sort des prisonniers : « A ces mots, dit Pierre de Vaulx-Cernay, l’abljé fut grandement marri et n’osa les condamner, vu qu’il était moine et prêtre. »

Tous ces récits de moines ou d'évêques excitant au meurtre ou au pillage, pendant la croisade contre les Albigeois, sont des récits mensongers et inventés à plaisir. Sans doute, il y eut des hérétiques brûlés, des confiscations et des emprisonnements pendant cette longue et terrible lutte, mais ces tristes incidents, fruits amers d’une sévère et inexorable législation, conséquences inévitables d’une guerre nécessaire, ne sont pas imputables à l’esprit de vengeance ou de rancune personnelle. Du moins, il faudrait prouver ces imputations.

Que n’a-t-on pas dit de rand)ition des croisés et des moines de Citeaux ? Simon de Montfort obtint le comté de Toulovise ; il y eut des moines nommés à la place d'évêques dépossédés. Mais, à moins d’admettre que les croisés fussent venus dans le Midi pour une parade militaire, on ne comprendrait guère qu’ils n’eussent pas songé à s’assurer des terres et des évêchés. On n’a point encore vu jusqu’ici des vainqueurs confier à des adversaires réduits par la force des arnîcs la garde des pays qu’ils leur ont enlevés. On dira que les évêqiu’s et les princes dépossédés n'étaient point absolument des adversaires des croisés, que Raymond VI et son lils, par exemple, avaient fait leur soumission au pape et à l’Eglise ; mais, d’autre part, on ne manquera jamais, à l’occasion, de louer leur penchant pour l’hérésie et leur opposition au but même de la croisade. Point n’est donc besoin de recoiu’ir au motif d’ambition, pour expliquer la conduite des chefs croisés, ou du moins s’ils furent ambitieux, il n’y paraît pas.

Après Béziers, les croisés prirent Carcassonne, Lavaur et d’autres places isolées, plus tard Toulouse. Cependant, ime ligue s'était formée dans le Midi sous la direction et avec l’appui du roi d’Aragon, dans le but de négocier avec le pape, contre les croisés, et de leur résister par les armes. Cette entreprise échoua misérablement à Muret (121 5). Néanmoins, le but de la croisade ne fut délinitivement atteint que beaucoup plus tard, lorsque le iîls de Raymond VI, réconcilié avec l’Eglise et avec la France, souscrivit aux mesures prises par le concile de Toulouse pour assurer dans son comté le maintien de la foi catholique (1229). Mais les nmltiples événements accomplis dans la période qui va du sac de Béziers jusqu’au concile de Toulouse n’ont, au point de vue des principes engagés dans la croisade des Albigeois, aucun intérêt particulier. Us ne furent que la suite d’un dessein clairement manifesté dès l’entrée en campagne des croisés. P. Guilleux.

Bibliographie. — I. — Sources. Pierre de Vaulx de Cernay, Ilistoria Albigensium (dans Historiens de France, t. XIX. Une partie de cette Chronique, ch. I à xxxviii, vient d'être rééditée par les soins