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DETERMINISME

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avec le fait de la liberté, tant pis pour la métaphysique.

De fait, les lois qui régissent la pensée humaine semblent de natiu-e à nous induire en erreur, si nous perdons un instant de vue leur nature relative. Il n’est point douteux que nos conceptions les plus élevées sont à quelque titre dépendantes des images sensibles. Or les sens, comme tels, ne nous livrent jamais le rapport causal. Un phénomène succède à un autre ; mais aucune faculté à base quantitative ne peut jamais attester que le second événement dérive du premier. — Il } a là une première indication qui nous fait voir que la causalité n’est atteinte que par l’intelligence pure ; et que tous ceux qui se laissent dominer par les images, notamment par l’image du contenant et du contenu, sont en péril imminent d’en fausser le concept.

Il y a davantage. Le double point de vue, statique et dynamique, qui depuis ZÉxox d’Elée et Heraclite a dominé les oppositions d’école, est légitime de part et d’autre, et doit trouver sa synthèse dans une philosophie supérieure. Mais il faut reconnaître que l’intelligence humaine, par les formes qui la régissent, doit posséder une tendance invincible vers un statisme, qui peut devenir fallacieux si l’on n’en prend conscience pour le dépasser. L’opération fondamentale de l’esprit humain est le jugement ; nous connaissons « componendo et dividendo », en attribuant un prédicat à un sujet. Or cette attribution n’est évidemment légitime que lorsque nous percevons le prédicat dans le sujet, lorsque nous voyons que le prédicat est le sujet ou une partie du sujet. Bref, nous percevons une identité. Le jugement, et par conséquent tovite l’intelligence humaine, est lié comme à une forme indispensable à l’identité. Dès lors le statisme doit lui être plus familier que le dynamisme, qui implique l’évolution, le changement, le nouveau, le nonidentique.

Or toute la base du déterminisme métaphysique n’est que l’assertion vigoureuse de ce statisme incomplet ; et il suffit d’étendre la portée de notre concept, pour voir apparaître le côté défaillant de cette doctrine. En la poussant à bout, ce n’est pas à la négation de l’acte libre, mais à celle de toute causalité que nous devrions conclure. C’est le nouveau, quel qu’il soit, qu’elle veut faire disparaître ; elle cherche la raison suffisante de toute réalité et de tout mode de réalité dans leurs antécédents.

Mais à supposer que quelque chose se fasse ou devienne, il y a au moins une réalité actuelle qui d’abord n’était que virtuellement. L’état actuel et l’état virtuel ne sont point identiques. Il y a dans l’état second quelque chose qui ne se trouve point dans l’état premier. Il le faut même à toute évidence, s’il y a dans le monde du changement, de l’évolution, du dynamisme quelconque ; et le principe de causalité, pris dans le sens du déterminisme métaphysique, équivaudrait au statisme universel, c’est-à-dire que la causalité se détruirait dans sa propre formule.

Telle n’est donc pas la portée du principe. L’état actuel d’une réalité et son état Airtuel dans sa cause sont à un titre équivalent ; mais à un autre point de vue ils sont incommensurables. Plus la cause est puissante, plus ses effets sont « grands », ce qui ^ eut évidemment dire que l’état nouveau de l’univers, après l’activité, s’éloigne davantage de l’état antérieur. Plus il y a du nouveau, c’est-à-dire, dans un sens, de l’irréductible, plus la cause du nouveau doit être élevée. Le nouveau de l’acte libre peut donc nous faire conclure à la haute noblesse de la volonté ; mais ce n’est point le principe de causalité qui nous permet de nier l’acte libre comme contradictoire.

En résumé, le déterminisme métaphysique se

fonde sur un concept incomplet de la causalité. Il ne considère dans celle-ci que ses attaches avec l’identité statique, et néglige ce qui l’en distingue comme de son opposé contraire. Il suffît de souligner ce dernier point de vue pour enlever au déterminisme métaphysique toute base rationnelle.

B. DÉTERMINISME PHYSIQUE. — Il uous paraît établi que la notion même de « cause » ne s’oppose en rien au concept de l’acte libre. Mais beaucoup de déterministes, peu confiants dans leurs analyses métaphysiques ou totalement étrangers aux abstractions suprêmes, se tournent vers les réalités existentielles pour y découvrir, a posteriori, la base de leur doctrine.

Principe du système clos. Exposé. — Il y a tout d’abord le déterminisme physique, qui s’adresse aux lois de l’activité matérielle. Sous le nom très discutable de « principe du système clos », on oppose tout d’abord à la doctrine de la liberté la question préalable. Le « principe)< reçoit d’ailleurs des applications multiples, intéressant l’apologétique, et mérite à ce titre une attention spéciale.

Dans sa plus grande universalité, le principe se formule de la manière suivante : L’univers est un système clos (cf. Graf Keyserling, Dos Gefuege der Welt, p. g). C’est-à-dire qu’aucune force extra-cosmique ne peut changer son activité ; toute son évolution dépend par conséquent de ses forces intérieures,

— ce qui exclut manifestement la possibilité du miracle.

Mais on a donné au même « principe » une portée plus précise, une signiûcation plus restreinte et plus déterminée : « L’univcrs matériel est un sj’stème clos », prétend-on ; tout phénomène observable, c’est-à-dire sensible, dépend, comme de son antécédent nécessaire, d’une cause matérielle et observable. — C’est au nom de ce principe ou « postulat » qu’on affirme souvent le parallélisme psychologique, et que dès lors on rejette a fortiori les initiatives de la liberté humaine.

La preuve se trouve dans les exigences impérieuses de toutes les sciences de la nature. Tout facteur extra-cosmique, et même toute énergie immatérielle, échappe nécessairement à nos constatations, à nos mesures, à nos procédés scientifiques. Or, malgré tout notre positivisme phénoménaliste, la science la plus expérimentale reste toujours, par définition, la recherche, sinon des causes dans le sens métaphysique du mot, au moins des influences, des facteurs constants, des antécédents nécessaires de tout phénomène observé. — Supposons que ce phénomène puisse être provoqué par une influence mystérieuse, extra-cosmique ou immatérielle ; toute cette recherche doit rester vaine et stérile. Si même on suppose la simple possibilité de ces interventions latentes, plus rien ne restera debout de toutes nos acquisitions scientifiques. Les phénomènes ont, il est vrai, des antécédents matériels apparents ; mais qui nous garantit qu’il y ait là davantage qu’une étonnante et fallacieuse coïncidence ? Qui nous donnera la certitude qu’une influence cachée, inobservable, ne produit pas le phénomène dans certaines conjonctures, qui sont assez stables pour nous donner l’illusion d’une a loi », loi qui, demain peut-être, par un imprévisable caprice de l’énergie latente, se trouvera en défaut ?

Et qu’on ne dise pas que cette constatation souligne simplement le « relatiA’isme » des sciences plijsiques. Il n’y a qu’un partisan de la « contingence » qui puisse accepter une conclusion aussi paradoxale, aussi absurde. La science a fait ses preuves. La permanence même des faits connus est telle que, dans l’esprit de tout homme sensé, elle doit éliminer