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CRITIQUE BIBLIQUE

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turel dans le monde. Cf. p. ix, xlviii, xcvi-xcviii. M. Harnack, qui passe, et peut-être à bon droit, pour le plus objectif des critiques indépendants, ne travaille pas, en définitive, d’après une autre méthode. Il reconnaît que les textes du Nouveau Testament nous mettent parfois en face du merveilleux et même de l’inexpliqué, sans que l’historien ait le droit, de ce seul chef, de les déclarer inauthentiques : mais, cela dit, il a bâte de professer qu’il a foi dans l’inviolabilité physique de l’ordre naturel et dans l’inexistence du miracle proprement dit, comme si sa dignité d’historien exigeait cette déclaration. L’essence du christianisme, trad. nouv., 1907, p. 3^-43 Plus récemment encore, M. Harnack a consacré une étude à la /a démentis, à l’effet d’établir que, si le miracle est devenu le critère catholique par excellence, il n’en allait pas de même pendant les deux premiers siècles. A cette époque, le christianisme aurait été exclusivement un monothéisme moral ; il trouvait sa force dans le mouvement religieux ascensionnel qu’il propageait dans le monde des âmes, sans avoir besoin de l’appui extérieur du miracle. De ?- erste Klemensbrief. Eine Studie zur Bestimmung des Charahters des àltesten Heidenchristentums. Sitzungsbericht der kôniglicli-preussischen Akademie der Wissenschaften, 1909, III, p. 38-63 ; cf. La Civilth cattolica, 1909, vol. II, p. 265, 527 ; III, p. 38. A qui lui représentait naguère que le Nouveau Testament ne peut plus s’expliquer naturellement si l’on en place la composition au ler siècle, d’après le mot de Strauss : « L’histoire évangélique serait inattaquable s’il était constant qu’elle a été écrite par des témoins oculaires ou du moins par des hommes voisins des événements », Vie de Jésus, Introd., § 13, M. Harnack répondait simplement qu’il n’est pas besoin de soixante-dix ans pour la formation d’une légende, que quarante y suffisent. Geschichte der altchrist. Litteratur, I, Die Chronologie (1897), p. x. Et c’est bien de la sorte qu’il pense pouvoir maintenir le caractère légendaire des premiers chapitres des Actes des Apôtres, bien qu’il admette l’authenticité et la date primitive du texte. Dis Apostelgeschichte, 1908, p. iii-130. — Pour M. LoiSY, Les Evang. synoptiques, 1907, I, p. 826 :

« Une tradition comme celle qui a pour objet les

miracles de Jésus est inévitablement légendaire. » Quant à la possibilité du siu-naturel, « il n’était pas très éloigné, en 1906, d’admettre cpie le miracle et la prophétie étaient d’anciennes formes de la pensée religieuse, appelées à disparaître ». Quelques lettres sur des questions actuelles, p. 61. En 1908, l’idée d’une intervention miraculeuse de Dieu, au sens traditionnel du miracle, lui paraît philosophiquement inconcevable. Simples réflexions sur le décret du S. Office, Lamentabili sane exitu, p. 150. M. Salomon Reinach, Res’ue de Vhist. des Religions, 1900, t. LII, p. 261, déclare que la critique a le devoir absolu de nier l’historicité des passages de l’Evangile qui nous représentent J.-C. comme ayant réalisé en sa personne quelque prophétie de l’Ancien Testament. Voir encore H. Holtzmann, Die Synoptiker, 1901, p. 28 ; Percy Gardner, a historié View of the N. T., 1901, p. 139-172.

b) Au reste, le procédé est conforme à la méthode historique, telle que l’enseignent des maîtres écoutés en Sorbonne. Je cite V Introd action aux études historiques par Langlois et Seignobos. « Que doit-on faire d’un fait invraisemblable ou miraculeux ?… La question n’a pas grand intérêt pratique ; presque tous les documents qui rapportent des faits miraculeux sont déjà suspects de par ailleurs, et seraient écartés par une critique correcte… La croyance générale au mer-A’eilleux a rempli de faits mii*aculeux les documents de pi’esque tous les peuples.’Historiquement, le diable

est beaucoup plus solidement prouvé cpie Pisistrate : nous n’avons pas un seul mot d’un contemporain qui dise avoir vu Pisistrate ; des milliers de « témoins oculaires » déclarent avoir vu le diable ; il y a peu de faits historiques établis sur un pareil nombre de témoignages indépendants. Pourtant nous n’hésitons pas à rejeter le diable et à admettre Pisistrate. C’est que l’existence du diable serait inconciliable avec les lois de toutes les sciences constituées. Pour l’historien, la solution du conflit est évidente. Les obserA’ations contenues dans les documents historiques ne valent jamais celles des savants contemporains (on a montré pourquoi). La méthode historique indirecte ne vaut jamais les méthodes directes des sciences d’observation. Si ses résultats sont en désaccord avec les leurs, c’est elle qui doit céder. » 2" édit., 1899, p. 176-179.

Voilà donc un fait correctement établi par les ressources propres de l’histoire, et qui se trouve écarté au nom d’une autre science ; non pas d’une science d’observation, comme on le prétend, mais d’une science de raisonnement. La physique détermine bien les lois ouïes conditions ordinaires de la vision, mais il ne lui appartient pas de décider si ces lois sont inviolables, si l’extraordinaire ne saurait exister. Les questions de possibilité ou d’impossibilité se débattent et se tranchent sur le terrain de la métaphysique. C’est donc au nom d’une idée préconçue et d’ordre abstrait que l’historien donne le démenti à des « milliers de témoins oculaires » qui disent avoir vu un objet identique, dans les conditions les plus diverses. Cette attitude a paru à plusieiu"S compromettante pour le bon renom de la méthode critique, qui se flatte d’être positive. Aussi bien, M. P. AV. ScHMiEDEL, Encyclop. biblica (Cheyne), col. 1876, fait observer que, pour tout exégète digne de ce nom, la négation du miracle ne doit pas être un point de départ, mais, au contraire, un j^oint d’arrivée. C’est par l’analyse du document qu’il faut faire voir que le récit n’est pas digne de foi : divergence des témoignages, procédés rédactionnels, retouches tendancieuses, etc.

Que certains récits miraculeux ne soutiennent pas un examen rationnel, rien de plus A’rai ; mais que les critiques aQ"ranchis de la croyance au surnaturel, — et eux seuls, — arrivent invariablement à trouver que c’est le cas de tous les documents dans lesqiiels on raconte des miracles, voilà un résultat pour le moins étrange. L’étonnement augmente quand on fait réflexion que, si ces critiques sont unanimes à exclure l’explication surnaturelle, il s’en faut qu’ils s’accordent sur les moyens de l’écarter. L’Evangile est plein de miracles attribués au Christ par des témoins oculaires. Comment se fait-il qu’aucun de ces faits ne trouve grâce devant les exégètes de cette école ? Jusqu’ici on avait interprété ces récits dans le sens de ceux qui les ont écrits, on y voyait des miracles parce que les évangélisteS entendaient bien raconter des faits miraculeux, vus par eux ou entendus delà bouche même de ceux qui y avaient assisté ; et A-oilà que, tout d’un coup, l’exégèse moderne parle de fictions, de légendes, de mythes, de symboles, de tout ce que l’on voudra, excepté du miracle proprement dit. Dans ces conditions, il est permis de penser que toutes ces explications ne sont pas obtenues uniquement par l’emploi de la méthode historique, mais qu’elles sont encore et surtout commandées par le préjugé naturaliste sur l’inexistence du surnaturel. A côté des mii-acles, il y a dans les Evangiles nombre d’autres faits dont on arriverait à contester la réalité historique par l’application des mêmes procédés. Le plus souvent, on ne songe pas même à le faire. Pourquoi ? Ne serait-ce pas parce que ces textes

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