Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/411

Cette page n’a pas encore été corrigée

805

CRITIQUE BIBLIQUE

806

b) Entre la critique et l’apologétique ainsi entendues, il se produira inévitablement des conflits, par la faute de l’une ou de l’autre, sinon des deux à la fois. On peut même prévoir que l’accord ne sera jamais complet. Aussi bien, de tout temps la Bible a soulevé des polémiques passionnées, mais rien n’avait encore été tenté de comparable à FelTort soutenu depuis un siècle contre son origine divine, au nom des résultats de la critique moderne. La phase actuelle de la polémique donne l’impression très nette que par de là toutes ces études philologiques, historiques et littéraires, il ne s’agit de rien moins que de l’avenir du christianisme lui-même ; j’entends le christianisme historique, qui se réclame avant tout de l’œuvre personnelle de Jésus-Christ, et non pas seulement d’une vague religiosité, prenant sa source dans l’àme humaine et évoluant au gré des contingences de l’histoire. Les critiques dits indépendants, qu’ils soient rationalistes purs ou teintés de piélisme, savcnt, et beaucoup veulent expressément, que leurs travaux aboutissent en définitive à faire de la Bilile un livre comme les autres ; ils se flattent d’expliquer natm-ellement tout son contenu : histoire et doctrine. Dans l’assaut donné au dogme chrétien et notamment à la divinité de J.-C., desécrivainsqui font métier d’écrire sur les choses de la Bible et les origines du christianisme, tels que Strauss, Rexan, Wellhausex, Saba-TiER et Harnack, pour ne citer que les plus lus, ont une large part de responsabilité. C’est là un fait incontestable, reconnu dans tous les milieux croyants, aussi bien du côté des protestants que du côté des catholiqvies. Voici comment s’exprime à ce sujet un protestant. « L’objet de l’attaque n’est un secret pour personne, il tend à ruiner tellement l’authenticité des Evangiles qu’ils ne fournissent plus un fondement historique solide à la foi de l’Eglise dans la divinité du Christ. L’Eglise combat donc pour la vie. Toute autre question théologique particulière passe à l’arrière-plan pour un moment, et vraisemblablement ce moment sera long. » G. S.Streatfeild, The Apologetlc value of Criticism, dans « The Expositor », Aug. 1907, p. 112 ; cf. J. Orr, The prohlem of the Old Testament, igo6, p. 1-24.

Pour fondée que soit l’impression défavorable produite par le mouvement d’idées auquel on a donné le nom de « question biblique », il ne faut pas lui laisser prendre parmi nous la consistance d’un préjugé, comme si l’unique attitude qui convienne à un croyant vis-à-vis de la criticque en ces matières était une opposition irréductible à tout et à tous. Poser le dilemme : Tradition ou Critique, serait faire le jeu de l’adversaire, qui s’en va répétant que ceci doit tuer cela. Ce serait surtout bien mal comprendre la question elle-même, et trahir les intérêts de la cause quel’on entend défendre. Si trop souvent on a abouti, au nom de la critique biblique, à des résultats inacceptables pour un croyant, ce n’est pas à l’outil qu’il faut s’en prendre, mais aux mains qui le manient. Le mal est que ces travaux sont restés trop exclusivement le lot des incroyants. L’apologiste, qui veut faire œuvre utile à ses contemporains, mettra au service de la tradition dogmatique l application loyale et rigoureuse des bonnes méthodes de travail ; à une critique destructrice il opposera une critique cons-Iructive. Et c’est bien de la sorte que l’Eglise entend son rôle. Léon XIII le rapi)elait naguère avec une souveraine autorité. « ^’ombreux sont les artifices et les ruses de l’ennemi sur cette portion du chanq) de bataille… Quels sont les moyens de défense ? Nous allons maintenant les indiquer. Le premier consiste dans l’étude des langues orientales et aussi dans ce qu’on ai)i)elle lacritiijue. Cette double connaissance, si fort estimée aujourd’hui, le clergé doit la posséder

à un degré plus ou moins élevé, selon les lieux et les personnes. De cette manière, il pourra mieux soutenir son honneur et remplir son ministère, car il doit’( se faire tout à tous » et être toujours « prêt à réi^ondre à ceux qui lui demandent compte des espérances qui sont en lui ». Encycl. Provid. Deus. Cf. Denz.’", 19^6 ; et encore les lettres apos^F/g-Z/anf ifle, oct. 1902 ; Denz, ’**, p. 51g, note 1. Bien que Pie X ait eu surtout à insister sur les abus de la critique, il n’a pas manqué l’occasion de signaler les avantages qu’il est permis d’en attendre. Voir notamment l’encyclique Jucunda sane, pour le ti-eizième centenaire de S. Grégoire le Grand, 12 mars 1904.

2. Critiques et préjugés.— a) Comment se fait-il que la critique, qui par elle-même n’est ni croyante ni incroyante, aboutisse sur nombre de points, et des plus graves, à des résultats différents, selon qu’elle est pratiquée par des croyants ou des incroyants ? Pourquoi avec les mêmes textes, que l’on prétend traiter d’après ime méthode identique, obtient-on parfois des conclusions diamétralement opposées ? L’obscurité et l’insuffisance des documents, la complexité des questions n’expliquent pas suffisamment cet état de choses. Les divergences entre critiques se présentent ici dans des conditions psychologiques si définies qu’il est aisé de Aoir qu’elles ont encore, en dehors des textes, un autre facteur, et pas le moins influent.

Il est très rare que l’on aborde l’étude critique de la Bible en indifférent, avec une âme neutre ; le plus souvent, avant que d’ouvrir ce livre, nous avons des idées toutes faites sur son origine, sur la vérité et l’autorité de son contenu. La première éducation noiis a appris à y voir la parole de Dieu, ou bien à tenir pour vaine cette prétention. Quelle est l’influence de ce jugement préalable sur les études ultérieures, ayant la Bible pour objet ? Commençons par le préjugé rationaliste.

Il fut un temps, — et il n’est pas loin de nous, — où les écrivains de l’école dite critique ou encore historique, ne redoutaient rien tant que de paraître prendre comme point de départ la négation a priori du surnaturel. Ils ne manquaient pas de protester de leur indépendance d’esprit absolue, prétendant ne connaître qu’une soumission, celle que l’on doit à l’objet lui-même. Rien ne revenait plus souvent sous leur plume que les mots d’objectif et cVobjectis’ité. Il faut croire qu’ils ont fini par s’apercevoir que le lecteur ne prenait plus au sérieux ces déclarations d’impartialité. En tout cas, c’est un fait que les plus réputés d’entre les critiques reconnaissent aujourd’hui, plus ou moins ouvertement, que leurs études sur le texte biblique relèvent de la négation du surnaturel ; et ils entendent par là toute intervention de Dieu dans le monde, en tant que connaissable par l’expérience ou l’observation directe, et pouvant devenir l’objet du témoignage historique. A les entendre, tout ce qui appartient réellement à l’histoire doit pouvoir s’expliquer naturellement. D’où ils concluent que les textes bibliques, qui relatent des miracles, ne sont pas authentiques, ou bien qu’ils font écho à la crédulité populaire et à l’exaltation du sentiiuent religieux. L’inexistence et même l’impossibilité du surnaturel prend réellement à leurs yeux la valeur d’un principe premier, qu’ils ne perdent pas de vue, quand il s’agit de déterminer l’authenticité, le genre littéraire et la valeur historique d’un texte. E. Renan, Etudes d’histoire relii^ieuse, 2" édit., 18d ; , p. 1^7, déclare « qu’il est de l’essence de la critique de mer le surnaturel » ; et dans sa Vie de Jésus, ->" c^>>t., Préf., p. v. il avoue de bonne grâce que tout 1 édifice élevé par lui s’écroule par la base s’il y a du surna-