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AGNOSTICISME

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sit, sed ut sit supra omnia quæ sunt, imo s-ero supra ipsum esse (De fid. orth., i, 4)- Le sens est exactement celui de la formule qu’a employée le concile du Vatican ; et chaque fois que S. Thomas rencontre ces formules, il les explique très correctement, comme nous l’avons fait : c’est d’ailleurs de lui et de Suarez que nous avons appris à les comprendre dans toute leur profondeur. S. Jean Dauuiscène appelle la substance divine : pelagus substantiæ inpnituni et iiidetenninatum. La formule est classique pour exprimer que Dieu est la plénitude de Tétre, De Pot., q. 7, a. 5, fin. corp. ; Summa, I, q. 13, a. i i.M. Le Roy en conclut que K Dieu est insaisissable en soi », p. 189. Il ne voit j)as que c’est précisément parce que nous saisissons en lui que, par nature, il n’est pas adéquatement saisissable, que nous pouvons dire de lui sans erreur qu’il est u indéterminé » ; en d’autres termes, si nous avons le droit de l’appeler indéterminé, c’est parce que nous savons que la simplicité de sa nature parfaite et certains de ses modes d’opéi-er que nous connaissons, sont absolument incommunicables à tout être Uni : ces termes négatifs connotent l’impossibilité radicale où nous serons toujours d’épuiser la richesse de la simplicité divine, et l’impossibilité non moins radicale d’une représentation adéquate de l’inlinie perfection par des perfections créées. Argentixas, in I, dist. 6, ad 2, obj. jo conf.

Pourquoi la connaissance par voie d’éminence, exprimée par des négations, est-elle considérée comme la plus parfaite, soit par les théologiens, soit par les mystiques’? (Voir pour l’interprétation des mystiques, qui n’est pas toujours facile, Alvarez de Paz ou, plus court, ScHRAM, Tlieologia mrstica, Paris, 1848 ; ou, plus clair, Scaramelli, La direction mystique, trad. Catoire, Tournai, 1863, 2 vol.) On en donne deux raisons. 1° C’est qu’elle est celle qui se rapproche le plus de la vérité. Quand nous conccvons que, si intense que soit notre amour pour Dieu, sa bonté, ses attraits dépassent infiniment toutes nos ardeurs, nous commençons à savoir moins mal ce qu’est Dieu en soi ; de même, quand après une vie d’études théologiques, nous arrivons à cette conclusion que la science de Dieu et ses mystères sont inscrutables, que les « formes intelligibles » les plus raffinées lui sont inadéquates, et que, dans ces profondeurs, ce qui nous échappe dépasse infiniment ce que nous savons, nous commençons, pour fruit de nos travaux, à penser avec plus de vérité la transcendance divine. 2° La seconde raison de la supériorité que l’on reconnaît à cette troisième espèce de connaissance négative est sa grande valeur religieuse. L’homme connaît Dieu, mais « nec ea scientiæ perfectione illustratus est ut 60 modo cognosceret Curiditorem, quo ejus cognitioni reliquæ creaturæ subjectæ sunt, sed distantiam maximum experiretur inter summa et infîma, et ex hoc ipso esset Deo accli^-is et humilis, quo auctori suo se iti nullo posset coiiferre. ctijus effugere dominiutn, nec penetrare consilium, nec poterat vitare judicium {De Cardin, operih. Christi, inter opéra (spuria) Cypriani, post init.). Par elle, non seulement nous concevons Dieu d’une façon moins indigne « de sa pure essence », mais encore nous l’estimons davantage et prenons en sa présence, sous la main de sa Providence, en face des mystères qu’il lui a plu de nous révéler, l’altitude qui convient à notre néant. (S. Bona-VENTURA, quest. disp. de mrst. Triait., q. 1, a. 2, éd. Quaracchi, t. V, p. 55-56. Cf. Bossuet, Œuvres oratoires, édit. Lcbarq, t. V, p. io4.)

Que resle-t-il de tout le l)ruit fait par les moilernisles autour de la connaissance négative ? Rien qu’une miséral^le équivoque, déjà percée à jour par S. Thomas chez Maïmonide, et bien avant lui par les Pères chez les néoplatoniciens et chez les gnostiques. Le

, i-j6ci des gnostiques était inconnaissable par dénominations intrinsèques. Plotin affirmait au sens littéral des mots que la parfaite connaissance de l’Un consiste à écarter de lui tous les attributs alfirmatifs : ut de ipso nihil prædiciiri queat. non ens, non essentia non yita. Ennead.. 3, lib. 8. cap. 9. Wn ne pouvait d’ailleurs pas même avoir conscience de soi : tolienda igitur ab ipso bono sui ipsius apprehensio : adjunctio enim omnis ablationem inducit atque defectum (Ennead. , 3, lib. 9. 3 ; cf. S.Thomas, I, dist. 35, quæst. i, art. I, ad 3 ; Bergomo, dub. 474)- C’est l’aboutissant logique de tous les systèmes qui ne veulent pas entendre les formules religieuses sur Dieu <.<. comme ayant une valeur ontologique directe ; comme exprimant une manière d’être intrinsèque de Dieu » (Dogme et critique, p. 154) ; ou qui refusent d’entendre les dogmes « comme des propositions intellectuelles » (p. 269). Les Pères furent-ils plotiniens, admirent-ils que la connaissance de l’être abstrait est la parfaite connaissance de Dieu et que Dieu soit cet être abstrait ? Leur réponse fut que Dieu est la plénitude de l’être, ipsum esse. Ils entendirent en ce sens le nom mystérieux de Jahvé, cf. Franzelix, De Deo uno, th. 22, 23, 24, et s’appliquèrent à retrouver la même idée dans le Timée de de Platon. Par là ils étaient aux antipodes de Plotin. Les formules néoijlatoniciennes sont évidentes et fréquentes chez le pseudo-Denys ; et on a beaucoup parlé de son plotinisme. Mais Denys part, lui aussi, de l’idée de la plénitude de l’être en Dieu, comme le fait remarquer très exactement S. Thomas, (I. II, q. 2, art. 5, ad 2) : « Etre, dans le sens de la plénitude de l’être, est meilleur que les déterminations ultérieures, et c’est dans ce sens que Denys au chap. 5 des Noms divins dit : Esse est melius quam yis-ere etc. » ; cf. De Pot., q.’], a. 2, ad 9. Cette simple remarque suffît pour expliquer que si les formules de Denys sont néoplatoniciennes, sa pensée est chrétienne et aussi loin du panthéisme que de l’agnosticisme. Cf. Cont. gent., i, 26, primum.

VIII. — L’agnosticisme des modernistes. — Que les modernistes soient des agnostiques dogmatiques, le lecteur n’en peut pas douter, puisqu’il a vu par des citations, dont on a de parti pris restreint le nombre, que les uns et les autres partent des mêmes principes et arrivent aux mêmes conclusions. Cependant les modernistes protestent tous contre cette épithète ; et c’est pourquoi nous les avons appelés plus haut des agnostiques larvés.

A. Pour se défendre du reproche d’agnosticisme ils ont recours à divers moyens. 1° Leur position, disent-ils, n’est pas celle de Comte et de Huxlej-.

— Réponse. Il est vrai qu’avec Maïmonide, Kant, Hamilton, Mansel et Spencer, ils dépassent l’agnosticisme pur. Mais leur point de départ est la philosophie, l’épistémologie, de l’agnosticisme pur. L’Encyclique Pascendi, en levant les masques, le montre assez, et personne n’en peut douter puisqu’ils avouent accepter les résultats de la critique kantienne et spencérienne et les regardent comme acquis et définitifs.

2° Ils dépassent, prétendent-ils, Kant et Spencer, qui rejettent toute révélation ; et ils admettent

— comme beaucoup de protestants — une certaine expérience religieuse. — Réponse. Les modernistes gardent le mol de « révélation)j ; mais ils nient la chose qu’exprime ce mot ; voir art. Révélation. Quant à l’expérience religieuse, dont ils ont tant parlé, voir art. Immanence, c’est une question distincte, comme celle de la révélation, du problème de l’agnosticisme pris en lui-même. Maïmonide, en lisant la Bible, y voit, comme Hamilton et Mansel, qu’il faut penser Dieu comme personnel ; Kant avoue qu’il