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CRITIQUE BIBLIQUE’96

qu’elle ne prétende pas être infaillible, prend néanmoins aux yeux du croyant une autoiùté particulière, qui ne se fonde pas uniquement sur la science des consulteurs et des défîniteurs de la Congrégation romaine, mais sur la compétence religieuse du tribunal qui a rendu le décret. Voir, dans l’article Curie ROMAINE, Décisions des congrégations. Au surplus, on doit convenir que l’autorité purement humaine de la tradition ecclésiastique est ici considérable en ce qui concerne le Nouveau Testament. Il s’agit de livres composés dans l’Eglise et pour elle, de textes doctrinaux et litiu-giques dont elle ne s’est jamais dessaisie. Est-il croyable que l’autorité compétente les ait accueillis sans savoir de qui ils étaient ; et qu’une fois en possession d’une certitude à ce sujet, elle l’ait laissée se perdre ? Absolument pai’lant, la chose n’est pas impossible, mais pour en affirmer la réalité, il faut avoir des raisons positives et graves. Jusque-là, la tradition ecclésiastique courante a le droit de prévaloir. C’est un des aspects de l’argument dit de prescription, si fréquemment employé par Tertullien à l’adresse de ces hérétiques qui prétendaient attaquer l’Eglise catholique avec ses propres livres.

d) Aux questions d’authenticité se rattachent étroitement celles qui concernent Vintégrité d’un texte. Il est incontestable que tous les livres bibliques, aussi bien dans la langue originale que dans les versions, y compris la Vulgate latine, jjortent, en leur iorme actuelle, des altérations plus ou moins nombreuses, qui ont pénétré dans le texte primitif par voie d’addition, de retranchement et de substitution, de transposition et d’explication ou de glose. Du point de vue critique, la question d’intégrité se trouve traitée dans l’article consacré à l’histoire et à la critique des Textes ; du point de vue dogmatique, elle se rattache aux questions du Canox et de la Vulgate. Qu’il suffise de dire ici, d’une façon générale, que presque toutes ces altérations ont introduit dans le texte sacré des éléments d’origine et de valeur exclusivement humaines ; pour quelques passages seulement, on peut se demander s’il n’y a pas lieu de distinguer entre authenticité et canonicité. Par exemple, quand même il serait établi que la section concernant la femme adultère ne faisait pas, à l’origine, partie du quatrième évangile ; il ne s’ensuivrait pas qu’elle ne soit pas à retenir comme canonique.

2. Genres littéraires. — a) On admet assez couramment que l’inspiration n’exclut aucun genre littéraire. La raison en est qu’ils sont tous une expression légitime de la pensée humaine, et que, d’après un principe souvent formulé par S. Augustin : Dieu, faisant écrire des livres par des hommes et pour des hommes, n’a pas voulu qu’ils fussent rédigés dans des formes de composition autres que celles en usage parmi les hommes. De Trinit., 1, ; P. L., XLll, S3j. Des auteurs, par ex. le P. Brucker, IJEglise et la crit. InbL, 1908, p. 49. et le P. Billot, De inspir. Script, sacrae, igoS, p. 128, ajoutent ici, par manière de restriction : sauf les genres littéraires qui pourraient imprimer au livre sacré quelque tache d’erreur ou d’indécence. On pense naturellement au mythe et à la poésie erotique. Mais le mythe est-il donc essentiellement ordonné à tromper, en faisant prendre la fiction pour de l’histoire ? Qui a jamais entendu au pied de la lettre le mythe d’Echo ou celui d’Icare ? Le mythe, compris comme tel, est une forme instructive de la pensée humaine. Du reste, ce n’est pas à dire que, de fait, il y ait des mythes dans la Bible. Quant à la poésie erotique, si l’on entend par là des sentiments licencieux dont l’expression tend, dans la pen sée même de l’auteur, à exciter les mauvaises passions, il va de soi qu’une telle poésie est incompatible avec l’inspiration. Mais, s’il s’agit seulement de descriptions, même très poussées, de l’amour humain, pour donner à comprendre l’amour divin ou encore notre infidélité à l’égard de Dieu, le Cantique des cantiques et d’autres passages encore, comme le ch. xxiii d’Ezéchiel, forcent de convenir que ce genre littéraire n’est pas indigne de l’Esprit-Saint. Bien plus, pour justifier ces textes du reproche d’une liberté excessive dans le trait descriptif, il faut recourir aux mœurs littéraires de l’antique Orient. Cf. Cellixi, Propædeiitica hiblica, 1908, II, p. 185.

/ ;) En fait, tous les genres littéraires, ou peu s’en faut, sont représentés dans la littérature biblique. Descendons ici à quelques détails.

1° Histoire. — Pour être conçu d’un point de vue particulier, même si c’est avec le dessein de produire sur le lecteur une impression très définie, le récit ne cesse pas d’être proprement historique, tant que l’auteur n’altère pas la réalité des faits. Libre à lui d’en dégager la signification, et même de lui donner le relief convenable ; mais il ne doit pas le fausser, ne serait-ce qu’en exagérant, sous peine de n’être plus véridique.Cf. Prop. 17 du décret Zflmen/ « i///(DEXz. ^", loi’f). L’historien inspiré ne raconte pas bonnement pour satisfaire une vaine curiosité, ni en dilettante qui trouve son plaisir à ressusciter le passé ; il a encore un but plus élevé, plus utile surtout : celui de faire toucher du doigt les interventions divines. L’histoire biblique est avant tout religieuse. « L’Ecriture, -dit S. Grégoire de Nysse, ne se sert pas du récit historique à l’unique fin de nous faire connaître le passé : ce que les anciens ont fait et raconté ; mais encore à l’eftet de nous enseigner une règle de vie conforme aux prescriptions de la vertu ; et par conséquent la mention historique des faits est ordonnée à une considération plus relevée des choses. » In Psalm.. tract. II, cap. 2 ; P. G., XLIV, 489 et 54 1 ; cf. PEscii, Z>e Inspir. sacræ Script., 1906, n. 51^. Voilà pourquoi nous parlons d’Histoire sainte. Il est à remarquer que les Juifs rangent parmi les prophètes {nehiini) ceux qui ont écrit leurs livres historiques. De la Genèse aux livres des Rois inclusivement, en y ajoutant Esdras, Néhémie et les Macchabées, on sent que la préoccupation dominante des historiens sacrés est de montrer une protection spéciale de Dieu sur son peuple de prédilection. Les livres des Paraliponiènes ne diff’èrent guère des deux derniers livres des Rois que par le dessein particulier de l’auteur, qui est de faire voir combien Dieu et les rois de Juda ont honoré le Temple et le sacerdoce lévitique. — C’est un lieu commun aujourd’hui que d’insister sur le but particiilier de chaque évangéliste, et le mouvement distinctif qui en est résulté dans tout son récit. Pareillement, les Actes des Apôtres nous montrent à l’œvivre l Esprit de Jésus conduisant ses Apôtres à la conquête du monde entier. Cette façon de raconter ad docendum n’a absolument rien de commun avec le mythe, dont toute la vérité réside dans Vidée à laquelle il entend donner une expression concrète. (L’auteur du présent article tient ici à réclamer contre la représentation qui a été donnée de sa pensée à ce sujet dans le Dict. de la Bible (Vigouroux), 1906, t. IV, col. 1400 ; comme si sa manière d’entendre l’histoire biblique se ramenait de quelque façon à l’interprétation mythique.)

Faut-il admettre, dans la Bible, des récits historiques d’un caractère plus libre, dans lesquels un souci d’édification aurait amené l’auteur à embellir les faits d’un merveilleux qu’ils n’avaient pas eu en réalité, afin de les adapter à son but didactique et homilétique ? Ce genre littéraire existait chez les Juifs sous