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CRITIQUE BIBLIQUE

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Ces définitions et ces distinctions, admises par tout le monde, autorisent déjà à conclure que les problèmes soulevés par l’authenticité et l’inspiration d"un seul et même livre ne sont pas nécessairement solidaires les uns des autres. On peut connaître avec certitude le caractère inspiré d’un texte et ignorer le nom de son auteur et l’époque de sa composition. En fait, c’est le cas d’un bon nombre de livres de l’Ancien Testament. Quel est l’auteur de Ruth, d’Estlier, des Juges, des Rois, des Paralipomènes, etc. ? Pour être distinctes, l’authenticité et la canonicité n’en restent pas moins connexes, étant donné quelles concernent un même texte ; bien plus, il peut se faire que l’autorité divine d’un livre soit gravement intéressée dans les questions qui se posent au sujet de son authenticité.

C’est parce que les anciens envisageaient le texte biblique surtout d’un point de vue théologique, se contentant de fonder le dogme et la morale sur la parole de Dieu, qu’ils se sont préoccupés des questions d’authenticité beaucoup moins que nous, qui abordons ce même texte en apologistes, ou encore en exégètes soucieux d’en dégager le sens historique. Les Pères n’ont guère recherché l’origine humaine d’un livre inspiré que dans la mesure où c’était nécessaire pour établir sa canonicité ; par exemple quand il s’agissait d’admettre ou de maintenir dans le Canon l’Apocalypse, l’épître aux Hébreux, la 11^ Pétri, l’épître de Jude ; ou bien d’en exclure l’Evangile et l’Apocalypse de Pierre, l’épître de Barnabe, les Actes de Paul, etc. Nous avons dit plus haut, I, i, ii, la raison de cette attitude. Une fois le Canon constitué dans son intégrité et possédant sans conteste, on en vint, avec le temps, à traiter de pure curiosité d’esprit la recherche du nom de l’hagiographe, comme s’il ne suffisait pas de savoir que le texte sacré était la parole de Dieu. A quoi bon connaître la qualité de la plume dont l’Esprit-Saint s’était servi ? On peut voir, à ce sujet, des textes intéressants coUigés par le P. CoNDAMix danslai ?e(’. OibL, 1900, p. 30-35. S. Augustin’a pensé résoudre suffisamment vine difficulté soulcAée par Matth. xxvii, 9, où un texte de Zacharie est attrilnié à Jérémie, en disant que cette substitution s’est faite par un secret dessein de la Providence, pour nous apprendre qu’il importe peu de prêter à un prophète plutôt qu’à un autre des paroles, qui ont été écrites sous l’inspiration d’un seul et même Esprit. De consensu E’angel., lH, ii, io ; P.Z., XXXIV, ii^S. Aussi bien, la canonicité seule est l’objet des définitions de l’Eglise, quand celle-ci dresse la liste des livres qu’on doit tenir pour inspirés de Dieu. Si, en énumérant les écrits canoniques, le concile de Trente, Sess. IV, décret. Saci-osancta, Denz. <", 78^, dit : Quinque Moysis (Pentateuque) et Quatuordecim epistolae Pauli, c’est pour se conformer à la terminologie reçue, fondée sur un sentiment commun, que du reste le concile estime légitime ; sans prétendre, pour autant, définir la valeur historique de ces diverses attributions, ni même leur reconnaître à toutes une égale autorité. Cf. E. Mangexot, L’authent. mosaïque du Pentateuque, 1907, p. 268-277. Bien certainement, dans l’esprit des Pères du concile, l’origine paulinienne de l’épître aux Romains se présentait avec de tout autres garanties que celle de l’épître aux Hébreux. Voilà pourquoi des catholiques, même après le concile de Trente, ont contesté l’authenticité de cette dernière, tout en maintenant sa canonicité. Cf. Prat, Théol. de S.Paul, i^ partie, 1908, p. 51 I.

/v) Est-ce à dire que l’Eglise et la théologie se désintéressent des questions d’autlienticité ? Non, certes ; car ces problèmes importent Ijeaucoup à l’apologétique, comme aussi à l’exégèse (tant dogmatique qu’his torique), qui est le préambule obligé de toute bonne théologie. Cf. Eucycl. Provid. Deus, n » 16.

A moins de tomber dans le fidéisme, la théologie fondamentale, qui est essentiellement apologétique, doit établir avec certitude, et par des motifs d’ordre rationnel, l’autorité historique des écrits qui lui servent de point de départ, spécialement des Evangiles. On y reclierche dans quelle mesure ces textes nous font prendre contact avec la vie et les enseignements de J.-C. Or cette autorité dépend précisément de levir authenticité, entendue tout au moins au sens large du mot : où, quand et comment les Evangiles ont été composés, avec quelles ressources, etc. — « En soi et indépendamment des autres considérations, un fait raconté par un témoin oculaire, et surtout par l’auteur même du fait, revêt un caractère de certitude plus indéniable que s’il est raconté par un historien de deuxième ou de troisième main… A ce titre, l’authenticité du Pentateuque a une importance toute particulière pour la critique historique, et si les faits racontés dans l’Exode et les Nombres sont d’un contemporain, leur valeur en est centuplée, ils forment une base inébranlable, et l’on peut sans crainte bâtir sur eux. On pourra les interpréter différemment, on ne pourra pas les nier ; on pourra se demander quelle est la nature des plaies d’Egj-pte, du passage de la mer Rouge, des théophanies du désert, ilne sera plus possible à un savant qui se respecte de ne pas en tenir compte. » Mgr Mig.not, Lettres sur les études ecclésiastiques, 1908, p. 255 en note ; cf. L. MÉciii-XEAU, L’autorité humaine des Livres Saints, 1900, dans la collection « Science et Religion ». — On en dira autant des livres prophétiques de l’A. T. La valeur apologétique de l’argument qu’on en tire suppose que ces textes sont antérieurs aux événements qui s’y trouvent prédits. Il n’y a pas de vraie prophétie post eventum ; et même la force probante d’une prédiction est singulièrement diminuée, sinon tout à fait anéantie, par le seul fait que le prophète n’a précédé que de lieu de temps les événements prédits, à moins qu’on n’établisse que, même dans ces conditions, ses paroles n’ont pas été une conjecture purement humaine, ni un écho des aspirations de ses contemporains. Quant aux livres historiques de la Bible, il est clair que leur authenticité reste le point capital sur lequel repose l’autorité de l’histoire juive. L’apologétique se fonde essentiellement sur l’exégèse historique. Or, pour comprendre un texte, il faut tout d’abord le replacer dans son milieu, déterminer les mœurs littéraires de l’auteur, les infiuences qu’il a subies, etc. Autant de questions qui concernent, ou plutôt qui constituent proprement l’authenticité d’un texte. Ceux d’entre les anciens qui font si facilement bon marché de l’origine humaine du texte inspiré, n’ont guère parlé de la sorte que des Psaumes ou des livres Sapientiaux, par exemple, de Job, des Proverbes, du Cantique et de la Sagesse. Qu’un écrit didactique, dont l’objet est purement doctrinal, soit de tel auteur ou de tel autre, il importe peu, puisque la garantie de l’enseignement qui s’y trouve donné ne dépend pas, en définitive, de l’autorité humaine de son auteur, mais de son inspiration divine.

L’exégèse dogmatique, — qui est ainsi dite parce qu’elle envisage le texte biblique comme la parole de Dieu, — se trouve parfois amenée à se prononcer sur des questions d’authenticité. Ce qui a lieu aussi souvent qu’un livre est attribué par l’Ecriture elle-même àun auteur déterminé. Treize épîtres du N. T. portent en suscription le nom de S. Paul et se donnent de la sorte pour l’œuvre de l’Apôtre. C’est un faitque l’exégète croyant doit reconnaître, à moins de s’inscrire en faux contre le témoignage du texte inspiré. Pour que ces suscriptions deviennent des garanties dogma-