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CRITIQUE BIBLIQUE

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nom (le la critique, le dogme traditionnel, sous couleur de le renouveler. Cf. H. Hokpfl, op. cit. Comme en matière d’appellation l’usage est souverain, le terme de haute critique a passé, avec ce sens défavorable, dans des documents ecclésiastiques récents, notamment dans l’encyclique Providentissirnus Deus et dans le motu proprio de Pie X Præstantiu Scripturæ :

« Léo XIII… ah opinionibus vindicavit falsae

doctrinae, quæ critica sublimior audit » (18nov. 1907).

L’école historique française préfère pai-ler de critique de provenance ei de critique de restitution. Lan-GLoisetSEiGXOBOs, //j//-0(/. ttux études hist., 1898, p. 51, 66. La critique de provenance a pour objet de répondre aux questions : De qui est le texte ? Où et quand a-t-il été composé ? Avec qxielles sources ? Dans quelles circonstances ? A quelle lin ? La critique de restitution ou de reconstruction a pour objet de rétablir le texte dans sa teneur primitive. Les mêmes auteurs parlent encore ici de critique externe ou d’érudition. Ce n’est pas qu’ils estiment que pour restituer un texte ou en marquer la provenance, il faille recoiu’ir exclusivement au témoignage historique qui le conœrne ; ils veulent dire simplement que les travaux d’érudition sur l’histoire du texte restent en dehors de l’étude de son contenu. De là cette autre division bien connue en critique externe et en critique interne. La critique interne suppose déjà l’exégèse du texte ou, tout au moins, elles A’ont toutes deux de conserve. On les confond même assez souvent sous le nom de critique d’interprétation. Cf. Langlois etSEiGNOBOs, op. cit., p. 46, 117. La critique d’interprétation, appliquée à la Bible, ne se distingue pas réellement de l’herméneutique sacrée, qui n’est rien autre chose que l’art d’interpréter le texte inspiré. L’objet de cette critique varie, selon qu’il s’agit de donner un commentaire philologique, un commentaire historique ou in commentaire doctrinal.

Dans le présent article, il n’est question que de la haute critique biblique, puisque la critique textuelle et la critique d’interprétation sont traitées à part. "Voir Textes (Critique des) et Exégèse. La haute M’iticpie, à son tour, se subdivise en critique littéraire et en critique historique, encore que d’après S. R. Driver, The higher Criticism, 1906, p. vi, la criticfue littéraire seule mérite la dénomination de haute critique. Quoi qu’il en soit, c’est de celle-ci seulement que nous entendons traiter pour le moment ; quant à la critique historique, elle n’intéresse l’ajwlogétique que dans la mesure où elle est liée à la défense de rixERRAXCE biblique. Voir ce mot.

3. Procédés de la critique. — a) Qu’il s’agisse de la Bible ou d’un livre profane, la critique dispose d’un double instrument d’investigation : le critère externe, savoir le témoignage historique sur les origines d’un texte ou sur un événement ; et le critère interne, qui s’attache à l’analyse du texte lui-même : sa langue, sa tenue littéraire, ses indices paléographiques, et aussi son contenu. D’ordinaire, le critère externe l’emporte en précision sur le critère interne ; seulement, ce témoignage historique, dont la voix est si claire, a besoin, à son tour, d’être critiqué. Peut-être que les i^remiers qui ont témoigné en faveur de l’existence et de la teneur du texte n’avaient pas été exactement renseignés. Ce qui est d’autant plus à craindre que les témoins sont déjà éloignés des origines prétendues d’un texte ; ou que, contemporains, ils n en parlent que sur la foi d’autrui. Et puis, ceux qui sont venus après eux, nous ont-ils transmis fidèlement leur témoignage ?… Autant de questions, et bien d’autres encore, que soulève le seul mot de tradition. Au contraire, le critère

interne permet au texte de produire sur nous une impression directe, et c’est un avantage réel ; mais cette impression reste facilement indécise. L’analyse d’un livre aboutit le plus souvent à des conjectures plausibles, sans qu’aucune d’elles force l’assentiment. Reconnaître des sources dans le Penlateuque, les classer, les apprécier ; distinguer dans le texte actuel ce qui appartient à la rédaction primitive de ce qui est addition postérieure ; préciser le sens et la portée du contenu, qui a été compris par les premiers lecteurs grâce à une foule de circonstances impossibles à reconstituer aujourd’hui avec certitude : c’est là un travail complexe et délicat, dont les plus habiles ne sont pas encore Acnus à bout. On a, il est Arai, osé beaucoup dans ce sens ; mais il suffît de jeter les yeux sur l’édition polychrome de P. Haupt (18961901), ou encore de E. Carpenter, The Ilexateuch accord ing to the Revised Version, 1900, pour aA"oir le droit de soui-ire de la belle assurance a^ec laquelle des critiques croient pouvoir marquer la provenance diA’erse de minimes portions du texte, d’un verset, ou même d’un mot. Le critère interne laisse, plus que le critère externe, la porte ouverte aux préjugés et à la passion ; son verdict final résulte le plus souvent d’une impression d’ensemble ; et, même dans les détails, il dépend, dans une bonne mesure, du goût, d’une certaine manière personnelle de sentir et d’apprécier. L’expérience atteste tous les jours combien grande est la divergence des opinions, même entre gens compétents, quand il s’agit de déterminer les origines d’un texte par l’argument philologique. Cf. Mgr Migxot, Lettres sur les études bibliques, 1908, p. 267.

Est-ce à dire que le critère interne est impuissant et ne mérite que défiance ? Non. Et d’abord, il excelle à donner des résultats négatifs. Il suffît parfois d’un trait caractéristique pour a^oir le droit d’aflirmer qu’un texte ne saurait être de l’auteur auquel on l’attribue couramment. Un helléniste reconnaîtra sans peine dans le livre de la Sagesse une œmre judéoalexandrine ; et donc il aura, de ce seul chef, une raison sullisante de tenir pour erroné le sentiment de ceux d’entre les anciens qui l’ont attribué à Salomon. Cf. Dexz.^", 92, 96. Mais, s’agit-il de nommer positivement l’auteur du livre, ou même de marquer l’époque précise de sa composition, le critère interne n’a plus que des conjectures à présenter ; et encore restent-elles entre des limites assez imprécises.

Tous les critiques ne savent pas se contenter des résultats très réels, bien qu’incomplets, du critère interne ; beaucoup dépassent, dans leurs conclusions, la Aaleur des preuA-es qu’il a fournies. Soit besoin de certitude, soit précipitation d’esprit, soit désir de s’affranchir d’une tradition qui contrarie, ils affectent de croire, — et peut-être sont-ils arriA-és à croire en effet, — que la critique n’a besoin, pour refaire l’histoire, que de la réalité matérielle du document, tel cfu’il existe aujourd’hui, sans se préoccuper de ce qu’on en a pensé jusqu’ici. C’est à cette confiance excessivc dans le critère interne que tiennent principalement les écarts de l’école que l’on appelle critique, par une sorte d’opposition, — du reste très partielle,

— aACc l’école dite historique. Si M. Loisy aA-ait tenu compte de l’attitude prise par le 11’siècle à l’égard des textes et des doctrines du X. T., ses conclusions eussent paru moins paradoxales, même à ceux qui ne croient pas à l’origine diA-ine du chi-istianisme. En philosophie, le critère interne (l’argumentation ab intrinseco) donne la preuvc par excellence, mais il n’en A’a pas de même pour les études historiques.

Il est exact que, dans l’étude d’un document, la critique littéraire et la critique historique sont admises à se prêter un mutuel appui, en réagissant l’une sur