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CRITIQUE BIBLIQUE

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grand nombre, qu’ils s’appellent Réville, Cheyxk ou Harnack, — relèAent plus ou moins de ce symbolisme critique. Ils récusent Tappellation de rationalistes, parce que la religion, d’après Kant, n’est pas d’ordre rationnel, et cju’ils prétendent bien garder intact le sentiment religieux, quelles que soient leurs conclusions historiques et littéraires sur l’Ecriture. C’est cette même conception, dont les écrits de M. LoiSY sont saturés, que les modernistes ont tenté d’acclimater i^armi les catholiques.

d) Baur et son école de Tuhingiie. — La critique historique des origines chrétiennes procédait, au xviiie siècle, d’un préjugé d’incrédulité ; elle devait devenir elle-même le point de départ d’une critique littéraire du Nouveau Testament. F. Christian Baur (1792- 1860), professeur à Tubingue, prétendit expliquer la composition du N. T. par l’histoire du christianisme primitif. (C’est plu tôt la marche contraire qu’il eût fallu suivre. Cf. Revue pratique d’Apologétique, ^’sept., 1908, p. 855-861.) Tout son système repose sur l’hypothèse d’un antagonisme profond, qui aurait divisé le christianisme encore au licrceau : d’un côté, les partisans de Pierre, des judaïsants pai’ticularistes ; de l’autre, les partisans de Paul, des antijudaïsants universalistes. De cette époque, où le conflit était aigu, dateraient, d’une part : les grandes épîtres de S. Paul (Gal., Cor., Rom.), les seules qui soient authentiques ; et d’autre part : l’Aiiocalypse, l’épître de Jacques et l’évangile araméen secundum Ilebræos. Tous les aiitres livres du N. T., et notamment les Evangiles dans leur forme actuelle, seraient d’une époque postérieure (entre 130 et 170). celle-là même où les divergences s’effaçaient graduellement pour faire place à la conciliation d’ouest néel’Eglise catholique. Le premier évangile porterait encore des traces de tendance judaïsante, tandis que le troisième serait plutôt paulinien. Comme S. Marc est le plus neutre des trois, on conclut qu’il a été composé après les deux autres. Le quatrième Evangile et les Actes sont venus en dernier lieu. Tous ces écrits seraient tendancieux, ayant essentiellement pour but de faire prévaloir des doctrines ou des institutions.

Bien que le point de départ de Baur ne fut pas une conception originale, puisque Semler l’avait déjà mise en avant, cf. Realencyhlopâdie fur die protest. Théologie, t. II (1897), p. ! ’ë>’d, sa théorie eut un retentissement considérable. Strauss l’adopta, surtout dans la Vie populaire de Jésus pour le peuple allemand, qu’il donna en 1 86/| ; sans s’apercevoir, du reste, qu’il tentait de réunir des choses inconciliables, à savoir le travail spontané et inconscient delà légende mythique avec la tendance consciente et le but dogmatique supposés par la théorie de Baur. Le système de Tubingue a régné souverainement dans la plupart des milieux savants, pendant un demi-siècle. Il eut, à l’origine, un organe de propagation très écouté, le périodique Theologische Jahrbiichev, dirigé par Baur lui-même et Zeller (1842-1857). Ses partisans les plus connus ont été Schwegler, Planck, Koestlin,

RlTSCHL, HiLGEXFELD, VoLKMAR, TOBLER, KeIM. Il eSt

vrai qu’ils ont incessamment modifié les idées du maître dans le sens d’une régression vers le sentiment traditionnel. Pour mesurer le chemin parcouru dans cette direction, il suflU de comparer les positions de Baiu" avec celles prises de nos jours par deux de ses derniers disciples, O. Pfleiderer, Das Urchristentum, 1887 ; et HoLSTEN, />aj//m. Théologie, 1898.

Les éludes sur le siècle apostolique entreprises depuis trente ans, même par des partisans de Baur, ont été fécondes. Des ouvrages comme celui de Karl ^yEIZ-SAECKEU, Das apostolische Zeitalter, 1886, 1902 3, n’ont pas peu contribué à venger la tradition de l’affront qui venait de lui être fait à Tubingue, Finalement, la

théorie tant prônée s’est trouvée en faute sur tous les points : les évangiles, tout au moins les trois premiers, sont antérieurs au second siècle ; loin d’être le dernier en date, Marc est tenu aujourd’hui pour la source des deux autres ; S. Paul a écrit plus de quatre épîtres ; les tendances judaïsantes et antijudaïsantes n’expliquent pas correctement la composition du N. T. En somme, l’école de Tubingue n’aurait plus qu’un intérêt historique, si son esprit et ses méthodes ne s’étaient conservés au milieu d’un petit nombre de pseudo-critiques hollandais, héritiers directs de Bruno Bauer et de Scholten, à savoir : Pierson, LoMAN, Van Manex, Naber et Voelter, auxquels il convient de joindre Stecke de Berne. Renchérissant sur la critique radicale de Baur, ils en sont venus à nier jusqu’à l’authenticité des grandes épîtres de S. Paul. Du reste, ils sont divisés entre eux sur tous les autres points. Cf. F. Prat, La théologie de S. Paul, 1908, p. 13 ; et A. Juelicher, Einleilung in das Neue Testament, 1901, lî. 19.

e) Le Nouveau Testament et la critique contemporaine. — Les critiques libéraux qui se sont le plus distingués, depuis cinquante ans, par le nombre et le retentissement de leurs travaux sur le N. T., avaient été élevés dans le respect de l’école de Tubingue. Citons seulement K. Weizsæcker, H. J. Holtzmanx, A..luKLicHER et A. Harxack. S’étant aperçus, au cours de leurs études personnelles, que le point de départ de Baur était contestable, et qu’il ne cadrait pas avec nombre de faits établis par une analyse correcte de textes, ils renoncèrent au procédé des tendances, pour s’attacher à l’étude des sources. Par la comparaison immédiate des textes, au triple point de vue de la langue, du mouvement des idées et du fond, ils prétendirent déterminer le mode de leur composition. On commença par les Evangiles (voir ce mot). Le problème dit des Synoptiques a passionné, pendant un demi-siècle, le public des universités en Allemagne et en Angleterre. La grande majorité des critiques indépendants regarde aujourd’hui comme définitivement acquise l’hypothèse documentaire dite des deux sources : Matthieu et Luc se sont servis de Marc et des Discours du Seigneur ; — ce deimier document est désigné par le sigle Q. Tous les autres points du problème : rapports de Q avec les Logia dont parle Papias, rapports de Luc avec Matthieu, ou inversement, par-dessus tout, l’existence d’un Proto-Marc et aussi les rapports du Marc canonique avec Q, sont encore chaudement discutés. Mais quelles que soient les réponses faites à ces questions secondaires, l’on s’accorde pour placer la composition des évangiles synoptiques avant la lin du I" siècle, entre 60 et 80. Le plus attardé de tous, P. W. SciiMiEDEL, fait écrire le troisième évangile entre 100 et 110, tandis que M. Harnack n’estime pas impossible d’en relever la date jusque vers l’an 60.

L’hypothèse documentaire, sous ses différentes formes, fut tout d’abord suspecte aux critiques conservateurs, catholiques et protestants ; elle leur apparaissait comme une attaque déguisée contre l’authenticité des Evangiles. Aussi bien, les uns s’en tinrent à l’hypothèse de la dépendance mutuelle, dont le principe avait été posé par S. Augustin, cf. Patrizi, De Evangeliis libri très, 1853, et, parmi les protestants, Keil, Comm. Hier die Evang. des Marcus und. L^ucas, 1879 ; tandis que d’autres pensaient tout expliquer par l’hjpothèse d’une tradition purement orale, cf. Mgr Meign.^n, Les Evangiles et la critique, 1870- ; Cornely, Introd. spec. in libros N. T., 1887, et parmi les protestants. Godet, Evangile selon S. Luc, 1888. Cependant, l’hypothèse des deux sources finit par gagner, de ce côté, des