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CRITICISME KANTIEN

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jugement par lequel un vouloir particulier, déterminé, se présente objectivement à nous comme devant être rattaché à notre volonté. — Dans le cas des jugements conditionnels (je dois vouloir ceci, si je veux obtenir cela), le vouloir, qui s’impose à moi, est rattaché à ma volonté par l’intermédiaire d’un autre vouloir. Au contraire, dans le cas des jugements absolus (je dois A’ouloir ceci), le vouloir est immédiatement rattaché à la volonté. Dans le premier cas, la liaison est analytique (Fond., p. 130 sq.), car le vouloir de la fin contient celui du moyen ; mais dans le second cas, il n’en est pas de même : la liaison est synthétique, carie concept de volonté ne contient pas nécessairement celui de tel vouloir particulier. Nous avons donc affaire, quand nous considérons l’impératif catégorique, à un jugement synthétique a priori* pratique. Dès lors la question se pose, symétrique de celle que Kant soulevait dans la critique de la raison spéculative : comment un tel jugement est-il possible ? A quelles conditions peut-on le considérer comme légitime, comme objectif ? (Fond, , p. 135).

Un moyen de faciliter la réponse sera de déterminer le contenu même de cet impératif. Il en faut trouver la formule. Les conditions de sa possibilité, de son objectivité, aj^paraitront alors d’elles-mêmes, et il sera facile de se rendre compte si elles sont vérifiées en fait.

Première formule de l’impératif moral.— Distinguons deux choses, la loi objective et la maxime subjective. La première est ce qui règle Vactivité de la créature raisonnable ; son existence se déduit de cette vérité générale que « toute chose dans la nature agit d’après des lois^ » (Fond., p. 122). La deuxième est « le principe suivant lequel le sujet agit » (ib. p. loi, 136 ; Crit.^, p. 2’^). Cela étant, on voit tout de suite que la maxime subjective doit être conforme à la loi ; cette conformité, c’est même tout ce que l’impératif catégorique a à me prescrire, tout ce qu’il peut me prescrire, tout son contenu possible.

Remarquons maintenant que la loi dont il s’agit ^ est nécessairement une loi toute formelle, elle ne saurait par elle-même avoir de matière, déterminer immédiatement une action précise, car elle perdrait du coup le caractère même qui en fait une loi, Vuniversalité : c’est dire qu’on ne doit considérer en elle que cette forme, l’universalité. Mais alors commander que la maxime de ma conduite soit conforme à la loi, c’est simplement commander qu’elle soit universali sable. On peut donc formuler ainsi le contenu de l’impératif catégorique : « N’agis que d’après une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » (Fond., p. l’dj ; Crit. 2, p. 50.)

Tous les dcA’oirs particuliers peuvent, au dire de Kant, et doivent être déduits de là. Il en donne plusieurs exemples. Ainsi il ne peut être permis de faire une fausse promesse qiiand on est dans l’embarras ; car si l’on généralisait ce principe, «. il n’y aurait plus, à proprement parler, de promesses » (Fond., p. io3 à io5 ; voir p. iSg sq.). L’universalisation de la maxime serait sa destruction. (Voir l’ex. du dépôt à garder, Crit.’^, p. 44-)

Cette formule est la plus importante. Elle suffira pour nous permettre de résoudre la question de l’objectivité du devoir. Mais lorsqu’il s’agira de découvrir les devoirs particuliers concrets qui s’imposent à l’homme, elle se montrera souvent incommode. C’est

1. A priori, parce que universel et nécessaire.

2. Proposition assumée, non démontrée.

3. Cette loi pratique n’est pas à confondre avec l’impératif catégorique, appelé lui aussi loi (improprement). Elle lui est antérieure.

pourquoi Kant a jugé bon de lui adjoindre deux autres formules. Malgré leur inutilité relativement à la solution du problème fondamental, nous en devons parler ici, parce qu’elles font entrer en jeu certaines notions capitales de la philosophie Kantienne.

Seconde formule de l’impératif moral. Les fins en soi. — Nous pouvons encore partir de ce fait que l’iiomnie agit toujours (subjectivement) pour une fin, et chercher, en fonction de ce fait, quelle doit être la maxime de sa conduite. Or il apparaît tout de suite, dit Kant, qu’il nous faut écarter toutes les fins matérielles : celles-ci ne sauraient fonder une maxime universelle, puisqu’elles ne déterminent qu’en vertu de leur rapport à une faculté appétitive du sujet ^ {Fond., p. 148). Il reste ce qui est fin non pour nous, mais en soi, c’est-à-dire ce dont la valeur n’est pas relative à l’utilité qu’on en pourrait tirer, mais absolue {Fond., p. 150 ; rapprocher Crit.^, p. 15^, 239). Avant même de savoir s’il existe de pareilles fins, nous pouvons dire que la maxime sera non de se procurer ces fins ou de s’en servir (ce qui serait contradictoire), mais de les respecter ; c’est-à-dire que la maxime sera négative, elle définira la légalité plus que la moralité. (Sur ces notions, voir Crit. ~, 126 sqq., 145.)

Mais y a-t-il des fins en soi ? oui, les êtres raisonnables et eux seuls"-. L’homme se reconnaît spontanément une dignité qui l’empêche de se considérer comme un moyen ; même par rapport à soi. C’est ce qui distingue les personnes des choses. Ainsi la maxime sera : « agis de telle sorte que tu ne fasses servir l’humanité, tant dans ta personne que dans celle d’autrui, qu’à titre de fin, jamais comme simple moyen » (Fond., p. 151). Cette maxime sert par exemple à proscrire l’esclavage, le suicide, le mensonge (ib.).

Troisième formule de limpératif moral. L’autonomie {Fond., p. 154 sqq.). — On a vu que, pour agir moralement, l’homme doit accomplir la loi pour elle-même : c’est dire, en d’autres termes, que le motif de son action ne doit pas être étranger à la loi. Or le motif sera nécessairement étranger à la loi, tant que la loi sera extérieure à la volonté (Fond., p. 167), car en ce cas je ne puis obéir que par intérêt. Il reste donc que, s’il y a un devoir, il dérive de la volonté même.

Ce paradoxe nous amène à reconnaître que l’obligation tient à la natm-e hybride de la volonté, qu’elle naît d’une sorte d’opposition entre la volonté en tant qu’intelligible et la volonté en tant que sensible. Intelligible, la volonté veut nécessairement la loi ; sensible, elle est attirée par des mobiles étrangers à la loi. Si elle n’était qu’intelligible, la volonté ne serait pas libre 3, mais aussi elle ne serait pas obligée ; ce serait, dit Kant, une « volonté sainte », telle celle de Dieu (Fond., p. 122 sqq. ; 169 ; 196 ; Crit.’-, p. 62 sq.) : la sensibilité introduit dans les décisions de la volonté un élément d’indétermination et de contingence : par ses attraits irrationnels, elle donne occasion à vin choix. C’est cette dualité qui engendre

1. Notons au passage, que le raisonnement de Kant tombe, si l’on comprend sous le nom de bonheur ce qui répond non à un appétit quelconque, mais à l’appétit profond qui sourd de la nature humaine en tant que telle (Zeller : Ueber das Kantische MoraJprincip… Vortrdge und Abhandlun°-en, III, p. 173).

2. Voir la démonstration donnée par Kant, Fond., p. 149 sqq.

3. Ne pas confondre la volonté intelligible et la volonté nouménale : celle-ci est. à la fois intelligible et sensible (= douée des formes de l’intuition). La dualité signalée est dans la volonté nouménale elle-même, radicalement.