Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/38

Cette page n’a pas encore été corrigée

59

AGNOSTICISME

60

que la psycliolog : ie de l’école spiritiialiste française n’est tonte la psychologie ou toute la nature humaine. Voyons ce que dit S. Thomas et avec lui TEcole. « De nitlla re potcst sciri an est, iiisi qiioquo modo de ea sciattir (jiiid est, vel cognitione perfecta ce/ coguitione conftisn » (m Boeth., de r// » //., q. G, art. 3). L’assertion est évidente. S. Tliomas écarte — nous menons de le faire — l’hypotlièse de la connaissance parfaite, /’. e. intuitive ou quidditative. Reste la connaissance confuse.

Dans cette confusion, il y a bien des degrés. Le plus bas est celui dont il a longuement été question plus haut, où Dieu n"est désigné que par périplirases, parce qu’il n’est conçu que par des dénominations extrinsèques. C’est par antonomase une sinq)le connaissance quia est et qiiid non sit, non seciindum qitod est in se, puisque l’essence divine n’j » ^ est pas conçue en elle-même, mais seulement par comparaison : non talis qualis effectus, sed excedens. Mais en même temps, cette connaissance est la plus inqiarfaite. parce que c’est la plus confuse. Pour marquer qu’on est au plus bas degré de l’imprécision, on l’appelle quelquefois négative, par opposition à la connaissance distincte par dénomination intrinsèque, que les partisans de l’univocité et ceux qui tiennent l’argument de S. Anselme appellent volontiers positive.

A l’opposé, ou plutôt au-dessus de cette connaissance négative rudimentaire, on distingue la connaissance qui atteint la natui-e intrinsèque de Dieu, par exemple qu’il est un être spirituel, sage, etc. C’est la connaissance que nous avons appelée an sens absolu, de droit, objectif. Cajetan, et Iteaucoup d’autres après lui, l’appellent connaissance de la quiddité, ou même in quid, pour la distinguer de celle qu’ils nonnnent

« piidditative. Vascpiez rejette cette manière de parler, 

mais il concède la chose. On définit la connaissance de la quiddité : Cognoscere quodcumque pvœdicatuni essentiale, ce que Bossuet traduit : « connaître les perfections sans lesquelles Dieu ne serait pas Dieu » ; ou encore : Cognoscere de re quid sit, concipiendo aliquod prædicatum quidditativum ejus, non tantum ut commune sed etiam ut propriam. (Cf. De Verit., q. 2, art. i, ad lo.) Le lecteur reconnaît que ce n’est pas autre chose que la connaissance que S. Thomas soutient contre Maimonide, en l’appelant secundum suhstantiam, ou secundum quod Deus in se est.

Quand S. Thomas parle de cette connaissance, il mentionne les trois voies (causalité, négation, émineuce ) par lesquelles on y parvient. Cela ne veut pas dire que la connaissance rudimentaire ne s’obtienne pas aussi par voie de causalité (Summa, I, q. 13, art. 10, ad 5), bien que sur ce point d’autres hypothèses aient été faites que l’Eglise n’a ni condamnées ni approuvées. Cela ne veut pas dire non plus que les lidèles doivent, d’une façon réfléchie, penser comme un jjhilosoplie ou un psychologue, aux trois voies. Les lidèles pratiquent les trois voies en adhérant aux fornudes consacrées. (. Dieu seul est inQniment bon », renferme la voie de causalité dans le mot

« bon » ; celle de négation, dans « inliniment » ; celle

d’éminence, dans « seul ». Que « Dieu est la sao-esse même », analysé, donne le même résultat. Doct’cs et simples, quand nous pensons dans nos prières Dieu en soi, — ce que les modernistes ne veulent pas que nous fassions, — nous pensons que Dieu est en soi sage, bon, puissant, à l’aide des idées de sagesse, de bonté et de puissance que nous avons tirées de ses œuvres ; mais nous savons que cette sagesse n’est pas en lui comme dans les créatures, imparfaite, etc. ; qu’elle est en Dieu bien supérieure, d’un autre ordre, tellement parfaite en soi que jamais, même au ciel’, nous n’en saisirons toute la perfection. Simples et

doctes, c’est ce que nous suggère par exemple le Gloria in excehis de la Messe : Tu solus Dominas, tu solus Altissirtius. Chacun avec nos idées, nous concevons la suprême grandeur, et nous comprenons que la grandeur de Dieu n’est pas comme cet idéal, mais telle qu’il est le seul à être grand par droit de nature. Là n’est pas la différence entre les savants et les ignorants : nous avons tous la même foi, substantiellement la même manière de croire et d’aimer Dieu. La différence, c’est que les théologiens savent 1° que les trois Aoies sont de tradition patristique et ont leur fondement dans l’Ecriture, cf. Ecclesiast., 43, 29-33, texte grec j^lus clair que la Yulgate ; 2° qu’elles sont toujours associées, cf. Poule, Lerlibuckder Dogmatih, t. i, p. 33 ; 3" que, de leur analyse, il résulte que nos concepts de Dieu sont analogiques (analogie logique) ; 4° ils savent eniin en rendre compte et les justifier, comme tout ce que nous avons tiré de S. Thomas le montre amplement. SaA-oir tout cela, ce n’est pas la foi, mais de la théologie, cette science dont parle S. Augustin et dont l’objet est illud quo fîdes saluberrima, quæ ad seram beatitudinem ducit, gignitur, defenditur, roboratur. Qua scientia non poUent fidèles plurimi, quamvis poUeant ipsa Jlde plurimum. (De Trinit., i^, 1.)

Il est évident que tous ne parviennent pas philosophiquement à cette connaissance de la quiddité ; plusieiu’s l’ont seulement par la foi, nous l’avons déjà dit. Et, aussi bien parmi ceux qui, pour les vérités rationnelles, y arrivent par le discours, que parmi ceux qui ne l’obtiennent que par la foi — et pour les mystères de Dieu tous sont dans cette dernière catégorie — tous n’y font pas les mêmes progrès. S. Thomas en savait plus que vous et moi ; S"^ Thérèse et.maints simples fidèles comprennent mieux que d’autres les vérités divines énoncées dans le Credo. A quoi mesure-t-on ce progrès dans la connaissance de Dieu secundum quod est in se ?

La réponse unanime des Pères, des mj-stiques et des théologiens de l’Ecole est que lîlus elle est négative, plus elle est j^arfaite. Et on en donne trois excellentes raisons. Nous n’avons ni la connaissance intuitive ni la connaissance quidditative de Dieu : ex effectibus divinis divinam naturam non possumus cognoscere secundum quod in. se est, ut sciamus de ea quid est ; nous le connaissons seulement dans sa nature intrinsèque / ; e/’niodum eminentiæ et causalitatis et negationis (Summa, I, quæst. 13, art. 8, ad 2). Tout ce que nous en pouvons connaître se ramène donc à ce que les Pères grecs ont aiipelé rac -srj 0£sV pour bien indicpier que l’essence en elle-même, ut est in se, nous échappe ici-bas. Or rà tz-oI 6£(5v n’est autre chose cpie les attributs négatifs, absolus et relatifs. Commençons par les noms négatifs.

1° S. Augustin, avant le pseudo-Denys, avait déjà remarqué que penser Dieu par les noms négatifs au sens absolu (simplicité, éternité, immensité, incompréhensibilité etc.), c’est atteindre précisément les attributs incommunicables de Dieu et par conséquent ce qui, même indépendamment de notre mode de concevoir, distingue foncièrement Dieu de toute créature, réelle ou possible. (Cf. S. Augcst., Tract, in Joan., 23 ; 5 De Trinit., i. S. Thomas, Cont. gent., I, 14.) C’est la première raison de la préférence donnée à la connaissance /légative des perfections incommunicables de Dieu. On remarquera que les mjstiques, quand on dépouille leiu-s phrases des métaphores quelquefois très obscures qu’ils emploient pour exprimer leurs expériences du divin, parlent le plus soment de cette manière d’envisager Dieu. La plupart de leurs explications reviennent tout smiplement à exprimer qu’ils ont connu que Dieu est vraiment incompréhensible, c’est-à-dire que sa nature