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CRITICISxME KANTIEN

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Preuve : Une cause qui, à un moment, se déterminerait à agir sans que cette détermination ait sa raison d’être au moins dans un état antérieur et ainsi de suite, serait un démenti formel au principe de causalité, sur lequel on s’appuie.

4e antinomie (ib., p. 406 sqq.). Thèse : Au monde sensible se rapporte, soit comme sa partie, soit comme sa cause, un être nécessaire.

Preuve : La série des phénomènes est contingente ; Donc…

Antithèse : // n existe nulle part un être absolument nécessaire.

Preu^e : L’être nécessaire ne fait pas partie du monde, puisque celui-ci est contingent ; il n’est pas non plus la série entière des phénomènes, car la série ne peut être plus nécessaire que ses éléments ; enfin il n’est pas hors du monde, car du moment qu’il entrerait en rapport avec le monde, il admettrait un commencement : il serait donc dans le temps, donc dans le monde, ce qui est contre l’hypothèse.

Ce jeu dialectique a un intérêt tragique. Si nous croyons à la valeui’de la raison, il nous faut, dit Kant, résoudre ces antinomies. Or il n’y suffit pas

« de l’art métaphysique des plus subtiles distinctions » 

(Prol., p. 170) ; il n’y a que deux moyens de sauver la raison : a) ou admettre une erreur cachée dans ses hypothèses mêmes (Prol., p. 177), en vertu de ce principe que « deux propositions contradictoires ne peuvent toutes deux être fausses, à moins que le concept sur lequel toutes deux reposent ne soit lui-même contradictoire » (ib.). Qu’on songe à ce que l’on pourrait déduire de la notion d’un cercle carré ! — Telle est la solution qu’il convient, suivant Kant, d’adopter pour les deux premières antinomies : il nous faut, en d’autres termes, admettre que le monde sur lequel spécule la raison, c’est-à-dire ce qui est supposé correspondre à cette idée, invérifiable dans l’intuition, d’une « totalité des phénomènes », n’est qu’un pseudoobjet, un être chimérique ; et nous sommes amenés à soupçonner que son absurdité réside sans doute en ce qu’il est une « idée », un symbole, dont on parle comme d’une « chose >'. Or c’est précisément ce que l’Analytique nous prescrit de penser (Crit.’, p. 428) ;

— ^)ou nier que thèses et antithèses se contredisent, et pour cela distinguer des plans différents. C’est la solution qui paraît préférable pour les deux dernières antinomies (Cr(7.^, p. 454 sqq. ; Prol. p. 181 sqq.). Nous dirons donc que dans l’univers de l’expérience il n’y a pas de causalité libre ni d’Etre nécessaire ; en d’autres termes, nous admettrons les thèses poiu" le monde phénoménal. Quant aux antithèses, il nous est sans doute interdit de leur donner une valeur probante pour le monde transcendant, mais rien ne nous empêche de concevoir leur possibilité dans ce monde-là. La question reste donc ouverte, et si par hasard on trouvait dans la suite un moyen radicalement différent des procédés de l’ancienne métaphysique pour aborder ce problème, la tentative ne serait pas condamnée d’avance.

t) Ttiéodicée rationnelle. — Tous les arguments pour l’existence de Dieu peuvent, suivant Kant, se ramener à trois : l’ontologique, le cosmologique, le téléologique (Crit.^, p. 489).

Le premier de ces arguments est un paralogisme, car il n’y a pas de passage de l’idée à l’être (O/L’, p. 490 sqq.).

Le second, pour être complet, doit comprendre deux moments : on conclut d’abord de l’existence d’un être contingent à celle d’un être nécessaire ; on démontre ensuite « pie cet être nécessaire est parfait, ce qui est la notion même de Dieu. Or, dans la première partie, on fait du concept de cause un usage transcen dant, donc illégitime (cf. Analytique) ; quant à la deuxième partie, elle est réciproque de la thèse ontologique, donc également fausse. Retoui’nons en effet la proposition « l’être nécessaire est parfait », nous obtenons : « quelque être parfait est nécessaire » ; mais comme il ne saurait y avoir de distinction entre des êtres pai’faits, on peut écrire : « tout être parfait, ou l’être parfait, est nécessaire », ce qui est la thèse ontologique (C///.^, p. 500 sq.).

L’argument téléologique ou de finalité seul est

« vénérable » (Crit.*, p. 510), du moins on peut l’accorder

pour l’instant’, mais il n’aboutit qu’à un architecte, et encore imparfait.

Conclusion. — Ainsi la métaphysique est condamnée, du moins comme science. Et à nous en tenir aux résultats immédiats de la Critique, la seule attitude légitime en face de ce que l’esprit tend spontanément à concevoir comme des réalités transcendantes, est l attitude agnostique.

Ce n"est jias à dire, ajoute cependant Kant, que les

« idées)’du monde, de l’àme, de Dieu, n’aient aucune

utilité, car la tendance natiu-elle de la raison serait alors inintelligible : elles nous aident, comme principes régulateurs (Crit.*, p. 622 sqq.), à systématiser nos connaissances ; ce sont des symboles utiles, ou, si l’on veut, des « foyers imaginaires » où convergent nos conceptions pour y trouver une unité apparente et commode. L’artifice de la raison correspond à un besoin architeclonique.

La Morale.

Le problème. — Tout comme il avait admis, sans discussion, l’existence de la science, Kant accepte maintenant, comme une donnée, celle du devoir. Dès lors le problème, analogue à celui de l’Analytique, consiste à chercher comment cette existence de fait est fondée en droit. De la solution de ce i)roblème dépend, devant la réflexion, l’objectivité du devoir et la valeur d’une morale en général (Fond., i" section, p. 87 à 102).

Le procédé. — Si on essaie, dit Kant, de déterminer ce qu’est le commandement du devoir tel que la raison commune se le représente (= ordre universel et nécessaire), on remarque tout de suite qu’il ne saurait consister en un impératif hypothétique (Fais ceci, si tu veux cela). Un tel impératif en effet ne me commande que danslamesure oùjeveuxla condition : ainsi le devoir serait en définitive subordonné à mon bon plaisir (/’o « (V., p. 135 ; Crit.^, v. g. p. 56). Ferat-on appel à un nouvel impératif qui ordonne de vouloir la condition ? nous voici au rouet (Fond., p. 176). Il n’y aurait qu’une solution : ce serait que tout être raisonnable voulût necessrt/remc « < un certain objet (celui qui constitue la condition même), et ainsi

« ce serait la nature qui donnerait la loi » ; mais

alors cette loi « devant être connue et démontrée uniquement jiar l’expérience, serait contingente en soi et impropre par là à établir une règle pratique apodictique, telle que doit être la règle morale » (Fond., p. 177 ; Crit.’^, p. 31 sqq. sm-tout p. 40, 41. 5 ; , 101). — Il reste donc que le devoir, si vraiment il est, est un impératif catégorique (Fais ceci).

Cet impératif a pour corrélatif le jugement par lequel s’exprime l’obligation : « je dois vouloir ceci » ;

1. Ne pas oublier que hi concession de Kant est ici purement ad hominem. Il avertit déjà que la jïreuve leJéolojjique

« ne supporterait peut-être pas une rigoureuse

critique transcendanlale » (C/jV.’, p. 512), et dans la Critique du jugeruent, déniera toute objectivité au prmcipe de finalité (Kritik dcr Urtheilskraft, 2’TLeil, 2’Abtheilung, g 75).