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CREATION

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ces oppositions logiques, accusant le « morcelage » de la pensée vulgaire et les jugeant sans force contre leur conception plus synthétique des choses, ce n’est pas, au moins dans ce cas. sans inconséquence grave. En niant ainsi le principe d’identité, ils rejettent cette forme de pensée la plus rudimentaire et la plus commune et donc, même à des yeux de pragmatistes, la plus certainement vraie.

Toutefois, si l’on ne veut pas discuter leur théorie de la connaissance, mieux vaut insister sur le fait suivant.

Ds admettent la réalité du changement. Or point de changement du même physique au même physique, point de devenir, sans modification d’état. S’ils font du changement et du devenir la forme première et normale de l’être, il leur faut donc affirmer que la raison physique de la diversité, c’est Tidentité. On peut dire ces choses, comme on en dit bien d’autres,

— mais il faut ajouter que l’on a contre soi toute l’évidence de Vexpérience physique et psychologique, où l’identité des constituants et des facteurs se manifeste principe physique de permanence et de constance, non de changement.

ji) La seconde hypothèse pourrait, semble-t-il, seeourir la précédente, en montrant l’instabilité de l’homogène, son évolution vers l’hétérogène, comme une conséquence de la persistance de la force : les mêmes forces produisent des effets divers sur des éléments répartis dans des conditions différentes. Spencer, Les premiers principes, in-S", Paris, 1888, p.360 sq., 382 sq. Voici bien l’autre qui sort du même, le changement de l’identité.

Il suffit de s’entendre. Nul ne niera que d’un état instable donné on ne doive aboutir à un état différent. Un tel mouvement sera manifestement nécessaire, d’une nécessité hypothétique, si les conditions du mouvement sont réalisées. Ce qu’on n’explicquepas, c’est pourquoi ces conditions sont réalisées nécessairement, car si elles ne sont pas nécessaires, elles ne seront jamais, ou plutôt on s’enlève tout droit à les prendre comme jamais réalisées, puisqu’on a eu soin d’affirmer, en concédant que l’équilibre initial est instable, qu’il dépend lui même d’une disposition qui n’est point absolument nécessaire, puisqu’elle va s’écrouler, dès l’instant qui suit. Si donc cette disposition primitiA^e n’est point nécessaire de nécessité physique et absolue, comment et pourquoi a-t-elle pu venir à l’existence un seul moment ?

Qu’on ne dise pas que la question est impertinente, qu’il suffit de savoir que ces conditions ont dû être données à quelque époque, puisque leurs lointaines conséquences nous en avertissent. — C est avouer seulement que, pour soutenir cette explication, on a besoin qu’elles Valent été. Nous refusons cette concession, et cela, non pas au nom de la foi, mais au nom de la raison, non pas seulement parce qu’elle serait toute gratuite, mais parce qu elle est illogique. En effet les conditions initiales une fois accordées, on va enchaîner toute la série des évolutions cosmiques par un déterminisme rigoureux… Soit ; mais si le déterminisme règle toutes les évolutions de l’être, pourquoi veut-on qu’il ne règle plus son origine ? Si le monisme n’apporte pas ou de cette existence éternelle, ou de cette apparition première, une raison nécessitante, il contredit l’expérience, qui nous montre que jamais un possible ne vient à l’existence, sans une nécessité actuelle ; il renonce à la raison, puisqu’il refuse de la satisfaire sur le prolilème des origines, de même nature pourtant que celui de la durée ; il la contredit, en admettant que le déterminisme vaut pour la continuation du mouvement et ne vaut plus pour ses débuts.

On ne peut faire arbitrairement leur part ni au

hasard ni à la nécessité. S’il suffit à la science et à l’esprit humain de constatations de fait, constatons seulement que les phénomènes se suivent, et n’ajoutons rien de plus. Si l’on parle de déterminisme scientifique, nous avons droit, au nom des mêmes principes, d’interdire qu’on nie, d’exiger qu’on affirme l’Inconditionné qui seul a pu déterminer à être, soit dans le temps, soit dès l’éternité, la série entière des éléments conditionnés.

7) Dira-t-on que c’est du conflit d’éléments nécessaires que nait la nécessité du mouvement ? Ici encore le mouvement ne serait nécessaire qu’en dépendance des principes qui le conditionnent. Ceux-ci étant passibles, muables, se révèlent comme hypothétiquement nécessaires. Dès lors, rien n’existera jamais.

En effet, puisque ces principes s’altèrent dans leurs actions et réactions réciproques, leur état initial ne s’impose pas absolument, mais il dépend à tout le moins d’une disposition interne bien définie. Puisque celle-ci se révèle inapte à persévérer par elle-même, comment aurait-elle commencé pai* elle-même ? Toute possible qu’elle soit, elle n’eût donc jamais été donnée, si quelque Absolu ne l’eût déterminée à Vexlstence.

Et de quelles difficultés Aient compliquer le problème cette prétendue multiplicité et cette diversité des principes premiers ! Si « être nécessaire » est une qualité physique, c’est bien dans la nature physique des êtres que cette nécessité doit aoir son explication, et, si elle convientà quelque nature donnée, elle ne peut convcnir à celles qui en diffèrent, soit par une opposition complète, soit par une divergence notable de perfection.

Admettre, malgré tout, une thèse de ce genre’, c’est moins expliquer quoi que ce soit, que se donner les postulats dont on a besoin. A ce compte, on n’a pas le droit d’interdire à autrui une théorie qui, pour justifier ses assertions, ne demande rien d’autre que l’application des principes reçus partout ailleurs. Sa conclusion, — la création, — peut être singulière, parce que le problème des origines ne se pose précisément qu’une fois : il n’y a là rien d’étonnant ; mais sa méthode, ce n’est ni plus ni moins que l’application des règles générales du déterminisme scientifique : nulle garantie meilleure de A^érité.

Voici en deux mots la marche de sa démonstration : dans le monde physique rien ne passe du possible à l’être que sous le déterminisme d’une nécessité phj’sique ; l’être nécessaire ne peut donc être déterminé à être que par la nécessité intrinsèque de sa nature ; le seul moyen qu’ilA’érifie une fois les conditions de cette nécessité, c’est qu’il les vérifie en dehors de toute hypothèse, absolument ; les vérifiant à ce titre, il reste, en dépit de toute hypothèse, toujours le même, donc Immuable ; donc tout être qui participe au changement est hors de lui ; c’est dire

1. Telle, moins le souci de cohérence dialectique, la thèse de W. James, A pluralistic unirerse, in-S », Londres, 1909, p. 310, 312, et celle de Hæckel, dont le monisme matérialiste, en réalité un i( pluraHsme », se révèle aussi peu scrupideux en fait do science (cf. GrObeh, f.e Posttiviswe depuis Cowt, ’. in-12, Paris, 1893, p. 301 sq., et surtout NN’as.mann, Alteu. neuf Forscliungen llæckeh, dans les Stimmen, 1909, p. lG9sq., 297 sq., 422 sq.) que peu exigeant en fait de logique et do morale : « Notre forme conviction inoniste, quo la loi fondamentale cosniologique vantunivcrsellemont dans la nature cnlière, est de la plus haute ini|>ortanco. Car non seulement elle démontre positivement l’unité foncière du Cosmos et l’enchaînement causal de tous les phénomènes…. mais elle réalise, négatii’ement, le suprême progrès intcllccluel, la chute définitive des trois dogmes centraux de la métaphysique : Dieu, la liberté ot li’mmortalité. » Les Enigmes de l’univers, in-S », Paris, 1903, p. 265.