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AGNOSTICISME

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pour laquelle nous avons à choisir une expression. La rétine du corps rig^ide, que j’ai rencontré, ne réagit pas : voilà le fait constaté : c’est ce que j’ai à tlire. Ici se pose la question du choix de l’expression. Je peux énoncer le fait, comme je viens de le faire : « rétine insensible ». Je peux l'énoncer autrement ; et mes habitudes d’esprit, mes états subjectifs actuels, mes besoins pratiques etc., comme aussi la mentalité de ceux à qui je m’adresse et leurs habitudes de langage, brutales ou polies, influeront pour leur part sur ce choix. Il n’en restera pas moins que, si je sais parler et si je ne veux pas mentir, c’est le fait initial — extérieur ou interne — constaté, qui en délinitive restera le noyau de mon expression ; et il y aura toujours moyen de distinguer ce noyau de tout le symbolisme dont nous l’enveloppons à notre choix. Le nier, c’est aller contre le sens commun, comme l’observe S. Thomas : Homo non est usinas, s’eiitas Jiujus negationis fimdalnr supra hominis naturam, quæ natiiram negatam non compatitur I, dist. 35, q. i, art. i. Siimma, I, II, q. 72, a. 6). C’est ni plus ni moins le principe de contradiction qui est ici en jeu. Cf. Bloxdkl, Principe élémentaire d’une logique de la vie morale, dans la Bibliothèque du congrès intern. de philos, de 1900, t. II, p. 51 ; comparer avec S. Thomas, De quatuor oppositis. opusc. 87 ; et avec Scot, in VII Metaph., q. 13, et in oxon., 2, dist. 3 : Mixges discute ces textes dans le fasc. i du t. Yll des Beitrdge de Bæumker.

b) Maïmonide tire enfin la dernière conclusion de son système, ou i^lutùt il fait à son disciple — mais bien en cachette — la révélation du dernier mystère du monde. Ce n’est pas long : que Dieu existe, signifie que nous ne pouvons pas penser autrement ; et il en faut dire autant de tous les attributs. Objectiviste, mais nominaliste, Maïmonide aboutit au subjeclivisme en thcodicée. Les relativistes modernes lui donnent la main. Dieu postulat de Kant, l’Absolu impliqué par le relatif de Spencer, sont des formules dont le sens réel est le même que celui de la phrase simjjlc du Rabbin. Il en faut dire autant de la formule de RiTscHL : Dieu n’est qu’un simple nom qu’emploie le chrétien pour résumer ses impressions religieuses ; de celle de Sab.^tier : la définition de l’objet adoré se tire du culte qu’on lui adresse et du bienfait qu’on en attend ; de celle de Simmf.l : l'état d'àme religieux ne rend aucun contenu déterminé logiquement nécessaire ; la croyance religieuse en Dieu est une forme de l'être interne, dont la connaissance intellectuelle de Dieu n’est que le reflet. Ces formules et vingt autres à la mode font de Dieu, comme celle d’Avicenne et du Guide, ce (ç S. Thomas appelle de simples res intellectæ ; et il est diflîcile de dire si elles sont plus proches du panthéisme, de l’athéisme ou du « riennisme >'. D’après M. Le Roy,

« une chose quelconque est affirmée rée//epour autant

qu’elle possède ce double caractère : résistance à la dissolution critique, fécondité inexhaustible » (Dogme, p. 15-). C’est étendre à toutes nos connaissances ce que Maïmonide disait seulement de la réalité divine : voilà tout le progrès. — Réponse. S. Thomas est sur ce point très court. Que dire au subjectivisme absolu, au relativisme radical ? Il constate d’abord qu’en fait nous avons des idées subjectives que nous n’attribuons pas aux choses, par exemple « les secondes intentions », c’est-à-dire les genres et les espèces. Il ne Aiendra en effet à l’esprit de personne de dire que la classification de Linné, celle de Jussieu ou celle de Cuvier soient dans les choses : elles sont dans les livres et dans l’esprit des naturalistes ; car elles sont le fruit d’une réflexion de l’esprit sur les objets de l’expérience, qui en ont fourni les matériaux et en ont donné l’occasion. Conceptioni hominis respondet

j res extra animam, conceptioni gencris secundum

quod hujusmodi, respondet solum res intellecta. Le

lecteur remarquera que si S. Thomas et les scolasti I ques sont objectivistes et non relativistes, ils savent

I pourtant distinguer ce qui est objectif de ce qui est

I le résultat de notre activité mentale. Mais, dit-il en

citant Averroès, l’adversaire de l’agnostique Avicenne,

il n’est pas possible que l’existence et les attributs de

I Dieu soient comme l’idée du genre, parce qu’il en

I résulterait que nous ne parlerions jamais de Dieu au

sens objectif, mais seulement au sens subjectif, no71

secundum quod in se est, sed secundum quod intelli gitur. Mais cette conséquence est évidemment fausse :

car lorsque nous disons « Dieu est bon », le sens

serait que nous le pensons ainsi, et non pas qu’il

est ainsi (De Pot., q. 7, art. 6). Ce qui est sûrement

contre la pensée des fidèles.

Maïmonide convenait que les chrétiens pensaient autrement que lui, et. s’il en était besoin, il pourrait servir de témoin de la foi de l’Eglise sur ce point. Il convenait de même que les Juifs, pris en masse, entendaient les choses comme nous : il n'écrit que pour les esprits cultivés, et encore il ne faudra livrer sa doctrine ((u'à des hommes éprouvés, « à qui le sens littéral de l’Ecriture fait des difficultés >-. C’est une doctrine ésotérique : aussi la traduction hébraïque du Guide rencontra-t-elle une ^ive opposition dans le monde juif provençal, ce qui démontre la nouveauté de la doctrine, Aoir Hist. littér. de la France, t. xvi, p. 302. Kant, lui aussi, sait très bien que personne n’entend les choses à sa façon ; il écrit des Prolégomènes pour une métaphysique future. A entendre les modernistes, non seulement les temps sont venus, et tout le monde pense comme eux, comme Plotin, Avicenne, Maïmonide et Kanl ; mais, ce qui est mieux, tout le monde a toujours pensé ainsi. M. Le Roy ne parait pas douter de ce fait : c’est comme une loi de nature ; Dogme, p. 133. M. Tyrrell distingue : les demi-savants laïques (Renan en 1848 disait : les bourgeois) pensent comme les théologiens et sont objectivistes ; le pauvre peuple a exactement les vues de M. Tyrrell et de tous les bons esprits (Scrlla, p. 345). Le don d’observation de M. Le Roy et de M. Tyrrell ne fait aucun doute pour eux : nous n’en doutons pas. La cpialification qui lui convient ne fait non plus de doute pour personne ; il est donc inutile de la spécifier. Notons seulement que les modernistes avaient besoin de dire i^artout que la masse des chrétiens était de leur avis, puisque c’est la masse qui, dans le système, élabore la doctrine. Cf. décret [Lai/ientabili, prop. G. 6" Maïmonide confirme sa doctrine par deux remarques, a) L’intcz"prétation négatiAC et subjective de tous les attributs divins est le seul moyen de concilier l’usage de ces noms a^ec la simplicité divine, telle que la raison la démontre. Toute la question 7 De Pot. de S. Thomas n’a pas d’autre but que de montrer qu’il n’en est rien. ÎMaïmonide concluait à l’impossibilité de la Sainte Trinité ; S. Thomas (question 8 du même ouvrage) n’aborde l'étude du mystère de la Trinité qu’après avoir réfuté Maïmonide, comme nous l’avons rapporté. M. Le Roy a repris cette vieille difliculté. Sa réponse est identique à celle du rabbin : « Nos concepts ne sont applicables à Dieu sous une forme distinctement concevable que dans la mesure où ils sont significatifs non de ce que la réalité est en soi, mais de ce que nous sommes ou devons être par rapport à elle », p. j/|5. M. Le Roy répète quand même à tout propos que S. Thomas est de son avis. Le lecteur sait déjà à quoi s’en tenir et nous allons achever de l'édifier. — Pour la solution détaillée de toutes les difficultés sur l’accord entre la simplicité et la multiplicité des attributs, voir les théologies développées : on trou-