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CONSTANTIN (LA CONVERSION DE]

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d’un fidèle. Il ne serait pas légitime de mettre cette déférence au compte d’un secrétaire comme Hosius ou Eusèbe : Constantin était un souverain trop absolu et trop personnel, pour tolérer qu’on lui prêtât une attitude et des sentiments qui n’eussent pas été les siens.

Ce qui achève la démonstration, c’est le changement qu’on observe dans ses actes officiels à partir de 824, lorsqu’il est vainqueur de Licinius et seul maître de l’empire. Rien ne venant plus le contraindre, il sera chrétien sans ménagement. La guerre qu’il entreprend contre son rival, plus encore que sa guerre contre Maxence, est considérée par l’opinion publique comme un duel entre les deux religions. L’édit aux orientaux qui la couronne, proclame officiellement le triomphe de la religion chrétienne. L’empereur s’y affiche nettement chrétien, donne pour la raison de sa victoire le dessein, que Dieu a d’amener le genre humain « à l’observance de la loi sainte », expose la cruauté des persécutions exercées par ses prédécesseurs, le châtiment qu’ils ont reçu. Constantin accorde encore la liberté au paganisme, mais en quels termes ! « Que chacun suive l’opinion qu’il préfère. Il faut que ceux qui pensent bien soient persuadés que ceux-là seuls vivront dans la justice et la pureté que tu as toi-même appelés à lobservation de tes saintes lois. Quant à ceux qui s’y soustraient, qu’ils conservent tant qu’ils voudront les temples du mensonge. Nous, nous gardons la splendide demeure de la vérité… Plusieurs, me dit-on, assurent que les rites et les cérémonies de Verreur, et toute la puissance des ténèbres vont être entièrement abolis. C’est ce que j’aurais certainement conseillé à tous les hommes : mais, pour leur malheur, l’obstination de l’erreur est encore trop enracinée dans l’âme de quelques-uns » (Eus., Vita Const., 11, 60 ; P. G., t. XX, io31-io34).

Plus dures encore pour le paganisme, les paroles qu’il adresse, à peu près à cette époque, à l’assemblée des évêques (P. G., t. XX, 1 233-1 3 1 5). Sur l’authenticité substantielle de ces paroles, voir Dom J. M. Pfattisch, Die Rede Konstantins des Grossen an die Versanimlung der IIeiligen, Freihurgi. B., igo8.

Dès lors le christianisme de Constantin est trop évident pour que nous nous attardions à le prouver. Il commence la construction de Constantinople, ville toute chrétienne, le labarum devient l’étendard impérial, les fonctionnaires sont choisis de préférence parmi les chrétiens ; s’ils sont païens, il leur est interdit de prendre part officiellement aux cérémonies du culte (Eus., Vit. Const., ii, 44. P- G., XX, 1022). En 325, l’empereur rassemble le concile de Nicée, et y prend place avec tout le zèle et la déférence d’un prince chrétien.

II. Aurait-il joué double jeu ? — Faut-il ne voir en lui qu’un politique avisé, tantôt clirétien, tantôt païen, suivant l’occasion ? Duruv l’a pensé ; il dépeint l’empereur comme un sceptique, parlant à chaque parti la langue qui lui plaît, grâce à des secrétaires choisis dans les cauips opposés (Hist. des Romains, t. VII, p. 61). BuRCKHARDT de Bàlc (Die /.eit Constantins des Grossen) fait de Constantin un Bonaparte ambitieux signant le Concordat. Tli. Buikcieu lui reconnaît une sorte de superstition chrétienne, incapable de dominer ses préjugés païens (Constantin als Religionspolitiker).

Ces manières de voir, non exemptes elles-mêmes de préjugés, ne peuvent |)as se soutenir. « On ne saurait trop admirer, écrit Mgr Ducuksm ; , la naïveté de certains criliciues, qui altordenl cette littérature impériale avec l’idée préconçue qu’un ciu[)crcur ne pouvait avoir de convictions religieuses ; que des

gens comme Constantin, Constance, Julien, étaient au fond des libres-penseurs, qui, pour les besoins de leur politique, affichaient telles ou telles opinions. Au iv » siècle, les libres-penseurs, s’il y en avait, étaient des oiseaux rares, dont l’existence ne saurait être présumée, ni acceptée facilement. » (Hist. anc. de l’Eglise, t. II, p. 60, note.)

Que Constantin ne fut point de ces hommes, nous l’avons montré suffisamment.

Un seul fait donnerait prise au soupçon de duplicité : c’est le mélange de paganisme et de christianisme qu’on trouve dans les actes officiels et sur les monnaies de Constantin : ainsi l’empereur garde le titre de Pontifex maximus, et en exerce même les fonctions, en tant qu’elles n’impliquent aucune compromission de sa personne aA’ec le culte païen ; ainsi encore les monnaies frappées à l’effigie de l’empereur continuent à porter l’image du soleil et la dédicace

« Soli im’icto comiti », etc.

Le fait que six des successeurs de Constantin, incontestablement chrétiens, conservèrent la dignité pontificale prouve qu’elle n’impliquait pas nécessairement le sens qu’on lui prête. De même, la présence simultanée, sur les monnaies, de signes chrétiens et de signes païens démontrerait au besoin qu’il n’y a pas duplicité dans l’âme de l’empereur, mais plutôt une situation équivoque, comme il s’en rencontre lors d’un changement soudain dans les mœurs et les institutions. Le duc de Broglie, dans le Correspondant, 1888, t. CLIII, a bien montré comment les époques de transition sont pleines de ces compromis bizarres et de ces contradictions. Déjà sous les empereurs précédents, nous l’apprenons par des documents tels que les canons du Concile d’Elvire, des chrétiens exerçaient les charges de magistrat municipal, de gouverneur de province, voire même de flamine de cité ou de province. Ils se faisaient dispenser des cérémonies incompatibles avec leur foi. Combien plus l’empereur resté catéchumène devait-il se flatter de concilier ses croyances et sa situation ! Nous en trouvons la preuve dans les textes : c’est ainsi qu’en 313, il néglige les jeux séculaires, au grand dépit des païens (Zosime, ii, 67). On ne trouve nulle part trace de sacrifices ou de visite au Capitule lors de son entrée à Rome. S’il élève plus tard des temples, érige des statues de divinités, ce n’est plus pour lui qu’art et décorations. Zosime lui reproche d’avoir dans ce cas, par indifi’érence, enlevé aux statues leurs emblèmes, modifié même l’attitude de leurs mains, et d’avoir transformé en suppliante la mère des dieux (Zosime, ii, 31, édit. Mendelssohn, p. 88).

Pour les monnaies, M. J. Maurice, qui possède en cette matière une compétence exceptionnelle, me semble avoir résolu un problème qui déconcertait le docte Tillemont lui-même : « Les ofEciers monétaires gardaient une assez grande liberté dans le choix des dilTérents qui caractérisaient les séries monétaires et les émissions. Aussi n’inscrivirent-ils de signes chrétiens sur les monnaies que lorsqu’ils se crurent sûrs de l’approbation de l’empereur et que d’autre part ils pensèrent répondre dans une certaine mesure aux v<rux des populations… Dans les diocèses d’Espagne et de Pannonie, les ateliers de Tarragone, de Siscia et de Tiiessalonica inscrivaient déjà des signes chrétiens dans le chanx[) de leurs monnaies (dès’iVi). En Orient, ce fut après la chute de Licinius en 324 que les signes chrétiens parurent sur les nn>imaies. Dans les Gaules, et bien que ces provinces fussent gouvernées par un empereur chrétien, l’atelier d’Arles ne fit graver, comme premier symbole chrétien, le monogramme constantinien qu’en’.vkh, et ceux de Trêves et de Lyon qu’en 337, après la mort de Constantin. » (L’atelier monétaire d’Arles pendant la période Constantinienne de 313 à 337, Milano, 1005.) Le même auteur remarque ailleurs que, là où les formules restent païennes après 3"24, ce sont dos formules allégoriques et abstraites, telles que : Utilitas publica, temporum