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CONSCIENCE


règne de la grâce, la responsabilité humaine. Nous verrons qu’elle n’est pas détruite ni diminuée, mais ennoblie et aggravée.

1° L’homme est libre. Quelle idée la philosophie nous donne-t-elle de notre liberté ? Quel surcroit de valeur l’enseignement chrétien nous y révèle-t-il ?

On peut bien essaj’er de fermer les yeux, effrayé par les suites qu’entraîne l’existence du libre arbitre, et s’efforcer de secouer les épaules, lassé par le poids d’un don trop précieux.

On peut, par manie de contredire ou par impuissance de conclure, s’en tenir aux objections que le déterminisme énumère à loisir, et s’autoriser de la physiologie, de la pathologie mentale, de la criminologie, de la statistique, de la notion même de science ou du principe de causalité, pour nier ou pour douter que l’homme ait véritablement l’initiative de certains de ses actes.

On peut, méconnaissant les limites et les dangers de l’abstraction, éliminer la liberté du nombre des données expérimentales, sous prétexte que l’observation n’atteint jamais cet attribut en lui-même et isolé de tout ensemble concret de phénomènes.

La philosophie traditionnelle n’ignore pas les multiples causes de la croyance au déterminisme. Elle les constate, les dénonce, et attend avec conliance qu’on lui démontre la fausseté des deux arguments sur lesquels repose la doctrine de la liberté.

D’une part, elle continue à professer que l’honnue est un animal raisonnable, et que, du fait même de sa rationalité, il doit être libre. Par son intelligence, l’homme découvre le caractère défectueux de tous les biens finis, en même temps qu’il conçoit le bien absolu et parfait. Il ne peut, dès lors, se porter vers aucun objet créé avec la fatalité des êtres matériels ou purement instinctifs. Le mouvement de sa volonté reste indéterminé partiellement, tant qu’il s’oriente vers des termes finis et contingents. L’idéal l’affranchit. Deux objets seulement s’imposent à son amour : le bonheur en général, et ce bonheur, non pas délimité, mais déterminé, qui est Dieu lui-même ; ou bien, suivant le vocabulaire de l’école, la béatitude abstraite et la béatitude concrète. Encore faut-il ajouter cette restriction : que Dieu est toujours icibas le grand méconnu, et que, ne nous apparaissant pas dans sa beauté irrésistible, nous imposant, d’autre part, des préceptes et des sacrifices, il ne domine pas invinciblement les cœurs. Ainsi Dieu lui-même ne limite pas, sur cette terre, la liberté de nos âmes. Pour nous attirer ou nous ramener vers lui, il n’a semé dans notre volonté qu’un seul désir vraiment nécessaire et impérieux : celui du bonheur infini.

Nous sommes libres, parce que nous sommes raisonnables.

Cet argument, qui, du point de vue spéculatif, offre le plus de valeur, puisqu’il démontre, avec un fait : l’existence de la liberté, la cause de ce fait : la rationalité de l’homme, n’est peut-être pas le plus populaire, ni pratiquement le plus décisif. Il est si dilficile d’enlever une position, à la pointe d’un pur raisonnement !

Saint Tho^ias indique, en quelques mots, laréflexion qui frappe le plus vivement la conscience humaine : sans libre arbitre, obscrve-t-il, que signifieraient conseils, exhortations, ordres, défenses, récompenses, châtiments ? Sans libre ai’bitre, pouvons-nous ajouter, comment expliquer le remords et la paix de la conscience, l’indignation et l’admiration pour la conduite d’autrui ? On discutera sans fin, au cours d’une séance de congrès, où à sa table de travail, les raisons qui militent pour ou contre la thèse de la liberté. Mais qu’on reprenne contact avec la vie réelle, qu’on examine un instant sa conscience, qu’on lise, fût-ce

un fait-divers de journal : la vie morale reprendra aussitôt son cours, et l’âme reprendra ses droits ; partisan ou adversaire en théorie de la liberté, on oubliera pratiquement tous les systèmes et toutes les formes du déterminisme, pour distribuer, peut-être même avec un excès d’assurance, le blâme et l’éloge. Mais les erreurs particulières d’appréciation ne conipromettent pas le principe général que de tels jugements manifestent : dans la pratique, tout homme se considère lui-même et considère les autres, sauf les cas d’aliénation plus ou moins grave, comme doués de liberté.

Cette doctrine très simple ne saurait être accusée de simplisme. La liberté que l’on attribue à la créature humaine est susceptible de degrés, et sans jamais équivaloir à cette absolue indépendance qui serait la définition de la liberté idéale, elle descend, par une série de dégradations, jusqu’à l’anéantissement complet que l’on peut observer ou conjectiu’er chez certains individus et dans certains cas.

Comment se manifeste et s’accentue le caractère libre de nos actes ? L’exécution d’une résolution intérieurement prise, est-elle gage ou cause d’une volonté plus arrêtée ? Dans quels cas et dans quelle mesure les conséquences de nos actes en augmentent-elles la valeur, la portée et la signification ? A quelles conditions et jusqu’à quel point l’ignorance est-elle une excuse ? La passion est-elle toujours signe d’une volonté plus coupable ? La crainte enlève-t-elle tout caractère de liberté aux déterminations qu’elle provoque ?

La doctrine que nous résumons ici étudie toutes ces questions. On peut en lire le détail dans la Somme théologique. (I^ 11", q. vi, xx, xxi, xxiv.) Il nous suffit de les rappeler, car nous ne voulons mettre en lumière que les notions de conscience et de responsabilité dans lajjhilosophie chrétienne.

Comment la théologie transforme-t-elle la donnée rationnelle et philosophicjue ? De deux façons.

Elle confirme par la révélation divine l’existence de la liberté. Aux hérétiques qui, par dépit ou fausse humilité, veulent faire de l’homme l’esclave de ses passions ou linerte instrument de Dieu, l’Eglise rappelle, au nom de l’infaillibilité qui lui est dévolue et sous menace d’anathème pour les négateurs obstinés, que l’homme est un être doué de raison et de liberté.

En second lieu, l’Eglise explique comment, dans l’ordre actuel de la Providence, qui est l’ordre surnatiu-el de la rédemption, l’homme agit librement. Le philosophe comprend bien que l’âme créée par Dieu ne saurait penser, vouloir, exercer enfin son activité, sans le concours divin. Mais la révélation nous apprend que, de fait, Dieu daigne nous assister par un concours supérieur qui est celui de la grâce, et que la grâce, nécessaire à tous les stades de notre justification, perfectionne, mais ne supprime pas, ne fausse pas, ne dénature pas, le mécanisme de notre liberté.

La liberté est un dogme.

Ainsi l’enseignement chrétien affermit la première assise de notre responsabilité.

2° L’homme est créé pour atteindre un but obligatoire. Cet être libre n’a point le droit d’organiser ou de désorganiser sa vie ad libitum. Bruxetikre rappelait un jour cette parole d’une princesse allemande, est-il besoin d’ajouter protestante ? du dix-septième siècle : Chacun se fait son petit religion. D’après la doctrine traditionnelle et chrétienne, nous ne pouvons construire â notre guise ni notre religion, ni notre vie.

Sans doute, Dieu lui-même a fait ou permis la diversité des aptitudes ; des attraits et des circonstances, qui produit la variété des existences et des vocations. Affirmer que tous les hommes sont destinés à une

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