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CONSCIENCE

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conscience blessée étaient la sanction réelle de la loi morale, comme ils s’affaiblissent toujours par l’habitude du mal, il sutlirait de ne pas les écouter, pour ne plus les entendre. » (L’Idée de responsabilité, p. 78 et 79.)

Shakespeare nous montre ce drame d’une conscience qui s’oblitère. D’abord, Macbeth est hanté et même halluciné par le remords. Au milieu du festin, il voit et il interpelle l’ombre de Banquo : « e secoue point ainsi contre moi ta chevelure sanj^lante… Si les cimetières et les tombeaux doivent nous renvoyer ceux que nous ensevelissons, nos monuments seront donc semblables au gésier des milans ! … Loin d’ici, fantôme horrible ! » Mais le temps fait son œuA’re, et la conscience s’endurcit. Macbeth finit par déclarer :

« J’ai presque oublié l’impression de la crainte. Il fut

un temps où mes sens se seraient glacés au bruit d’un cri nocturne ; où tous mes cheveux, à un récit funeste, se dressaient et s’agitaient comme s’ils eussent été doués de vie : mais je me suis rassasié d’horreurs. »

M. Payot reconnaît que la conscience, elle aussi, est un juge corruptible et sujet au sommeil. Il se fait l’objection à lui-même ; il reproduit loyalement la pressante question que lui adresse un de ses correspondants, membre de l’enseignement primaire ; et il avoue son emban-as. « C’est le problème capital en morale : nous n’avons nul espoir de le résoudre… > » {Les Idées de M. Bourru, p. 822.)

Mais M. Payot ne se laisse pas décourager. Il nous cite maintenant au tribunal de l’opinion publique.

« La vie, parait-il, ne serait généreuse que pour ceux

qui s’oublient. » (Aux instituteurs et aux institutrices, p. 7.) L' opinion du monde aurait « une puissance prodigieuse ». Les maîtres se souviendront que « le désir de l'éloge, la crainte du ])lànie, sont les mobiles qui provoquent la plupart des actes humains ». M. Payot, qui parle ainsi, connaît pourtant les bornes de la sagesse et de la justice qui inspirent le jugement des hommes. Il le confesse, et doit ajouter :

« Malheureusement, cette force de l’opinion, qui serait

toute-puissante pour le bien, si elle était intelligente et morale, s'égare trop souvent. » (Cours de morale, p. 21 3-2 1 5.) Quant à la justice immanente de l’histoire humaine, nous savons ce qu’il faut en penser.

Mais M. Payot ne se fait pas illusion sur la compétence et l’impartialité d’un pareil tribunal. Il connaît cette parole de Chameout : « La manière dont je vois distrijjuer l'éloge et le Jdàme donnerait au plus honnête homme du monde l’envie d'être diffamé. »

Ne se trouvera-t-il pas un seul moraliste laïque pour indiquer le tribunal suprême dont relèvent les consciences ?

Charles Renolvier qui, peu d’heures avant de mourir, s’indignait encore que « Dieu fût rayé du programme)', Charles llenouvier lui-même estimait que

« la punition, dans l’ordre universel, est infligée par

une loi naturelle… et non par la sentence d’un juge ». (I.e Personnalisnie, p. 212.)

Félix Pécaut n’a pas « craint » de « prononcer le grand nom de Dieu, du Dieu universel, en qui tout vit et à qui la personne humaine… doit son titre d’cKcellence ». Pour que la notion du devoir ne restât pas suspendue en l’air, il a rattaché la personne immaine à « l’Esprit éternel ». Mais sa doctrine manque de précision, et son langage est, au luoins, équivoque. Il écrit, par exemple : « le caractère vraiment divin » de la [)ersonne Immaine la « met à l’abri de l’arbitraire et de nos caprices ». (L’Education publique et la Vie nationale, p. xix et 72.) C’est précisément le contraire f|u’alteste rex| » érience. Comment prétendre qu’ici-bas la personne humaine est à l’abri de l’arbitraire et du caprice ? Les choses devraient se passer ainsi, sans aucun doute j mais elles se passent

de fait autrement. Voilà pourquoi, si l’on veut désigner un juge compétent des destinées humaines, il faut regarder au delà du temps ; et si l’on ne « craint » pas de prononcer le nom de Dieu, si l’on croit à son existence, il faut, par un nouvel acte décourage, spécifier que ce Dieu jugera précisément les atteintes portées ici-bas au respect de ses créatures raisonnables. « Rattacher » la personne humaine à « l’Esprit éternel » est trop vague. Cette tentative marque pourtant un des plus grands efforts de l’esprit laiqvie pour déterminer le tribunal devant lequel nous sommes responsables.

Pourquoi et à qui l’homme doit-il rendre compte de ses actes ? La libre pensée ne peut résoudre ces deux questions. Et, comme les doctrines de déterminisme et d’agnosticisme, pour ne pas dire de fatalisme et d’athéisme, sont en progrès constant dans la morale laïque, nous pouvons rappeler de nouveau, non plus comme un fait empiriquement constaté, mais comme une donnée rationnellement expliquée, l’observation de M. Bayet : l’idée laïque de responsabilité

« n’est pas morte, mais elle meurt ». (Etudes, 

5 mai 1909, p. 336.)

II. La notion chrétienne. — 1° Historique

L’antithèse qui oppose la notion laïque et la notion chrétienne de responsabilité, ne consiste pas dans la distinction du mouvement et du repos. Les deux notions évoluent. L’une et l’autre ont une histoire.

Seulement la première oscille avant de tomber en ruines et, par ces mouvements ataxiques comme par la catastrophe finale, prouve qu’elle manque de fondements et déracines ; tandis que l’idée chrétienne progresse sans se contredire, et, par cette manifestation de vivante logique, nous invite à recherclier les principes absolus et immuables de son épanouissement dans le monde.

Comme la notion laïque, la notion chrétienne de responsabilité doit donc être successiven » ent examinée de deux points de vue complémentaires. L'étude historique appelle une analyse logique.

Par suite des dispositions providentielles qui élèvent l’humanité à une destinée surnaturelle ; par le fait de l’infirmité de l’esprit humain qui n’acquiert que peu à peu et ne possède jamais intégralement la connaissance du plan providentiel ; en raison des événements qui échappent à l’action des hommes ou la contraignent ; il doit arriver que la notion de responsabilité reçoive des accroissements, subisse des modifications accidentelles, rencontre même des obstacles et paraisse traverser des crises. Nous marquerons les principales étapes de cette marche laborieuse et conquérante. Ce sera étudier l’idée chrétiei e de responsabilité sub specic temporis.

La force même de son expansion sollicitera notre esprit à considérer les principes nécessaires de philosophie naturelle qu’elle dépasse, mais qu’elle suj)pose et qu’elle consacre. Ce sera l'étudier sub specic aeternitatis.

D’al)ord consultons l’iiistoire.

Comme l’idée de conscience, celle de responsabilité se précise d'âge en âge et développe son contenu.

Tous les éléments dont se compose la notion chrétienne de responsabilité s’impliquent mutuellement, et ne peuvent dès lors se révéler suivant un ordre de succession véritable. Le développement dont nous parlons ne se produit donc pas [)ar juxtaposition de termes discontinus, ni par addition de i)artics nouvelles. Un germe se développe, un vivant tableau déroule la variété de ses aperçus : tel est le progrès que nous constatons dans l’idée chrétienne de responsabilité.

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