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CONCORDATS

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hypothèse, les concordats ne servent de rien, parce que l’Etat (gallican, joséphiste, jacobin ou napoléonien ) prétend décider, par son unique et indiscutable intervention, de tout « le temporel)^. Entre ces deux hypothèses qui s’opposent à l’extrême, il y a place pour une entente durable et féconde. Mais — le raisonnement prononce dans ce sens a priori, et l’histoire de tous les temps le démontre — il faut, pour que les concordats ne soient pas un vain mot, que les détenteurs du pouvoir civil fassent une profession sincère du catholicisme ; ou du moins il faut qu’ils soient pénétrés de cette idée juste que l’Eg-lise, représentant dans la suite des âges la forme la plus excellente de la religion, demeure le meilleur ciment des sociétés, même des sociétés modernes. Hors de là, il n’est aucune chance d’assurer le respect des conventions les plus solennelles. Comme l’Eglise ne saurait, en fait, soutenir son bon droit par les armes, les règles de la justice et de la courtoisie internationales sont oubliées à son égard, plus facilement encore qu’à l’égard de toute autre puissance.

Des publicistes ont excusé, pour ainsi dire, par avance, ces oublis des souverains ; ou plutôt ils ont craint qu’il ne leur fût fourni de faciles prétextes, par une certaine doctrine acceptée, dans les écoles catholiques, siu- la nature juridique des concordats et qui consiste à les envisager comme des privilèges accordés par les papes.

La question est plus ancienne que ne le croient beaucoup de nos contemporains. Dans un précieux travail (qui n’est malheureusement cjue lithographie) le P. Baldi, jésuite italien, l’a montré, la masse des anciens canonistes de toute nation s’est occupée, ex professa, de savoir quelle sorte d’obligations comportaient les concordats. Avec une frappante quasi-unanimité, ils ont prononcé que ce n’étaient point les obligations d’un pacte bilatéral.

Pom* nous borner à notre pays, et à nos jours, — car ceci n’est pas un dictionnaire d’histoire — un opuscule du vicomte de Bonald (Deux questions sur le Concordat) remit le problème à l’ordre du jour, après le concile du Vatican : au jugement de l’auteur, il ne fallait point dire que les concordats étaient des contrats. Le chanoine Labis, de Tournai, prétendit qu’il fallait le dire. A Rome, le P. Tarquini parlait comme M. de Bonald ; le chanoine de Angelis appuyait M. Labis. Dix ans après, une brochure de Mgr Turinaz (Les Concordats et l’obligation réciproque qu’ils imposent) renouvela la dispute. Par delà les Alpes, même dissentiment que jadis. Le professeur CaA’agnis (mort cardinal) opinant comme avait fait le chanoine de Angelis ; l’aljbé Radini-Tedeschi (depuis évêque de Bergame) combattant la thèse de Mgr Turinaz ; tandis que Mgr Satolli, alors recteur de l’Académie des nobles, s’efforçait de concilier les avis opposés, tout en préférant celui de Tarquini.

Actuellement encore, la controverse demeure ouverte : l’Apollinaire et le Collège romain gardent chacun leurs traditions, et on essaye toujours de les ajuster, à l’.Vcadéinie des nobles. Mgr Giobbio (/ concordati ) tient que les concordats sont des privilèges conventionnels.

Il faut préciser le point de la querelle. Pour les clauses qui toucheraient à des choses purement temporelles, aucune difliculté : tous les auteurs sont d’accord. Ils sont d’accord aussi pour admettre que les concordats imposent au pape une obligation, et que celle-ci résulte d’un engagement pris. Ils conviennent enfin que cet engagement ne saurait rendre nulles en droit les mesures prises par Rome conlraireinent aux stipulations faites. Bien entendu, aucun docteur ne conteste que, si les circonstances viennent à se modifier, au point par exemple de rendre le

traité inexécutable ou damnable à l’Eglise, celle-ci peut le dénoncer et qu’il lui appartient de juger si la situation commande cette attitude. Reste à décider si, en matière spirituelle ou mixte, et manentibus circumstantiis, le pape est lié, à l’égard des chefs d’Etat, en stricte justice ou simplement par fidélité à la parole donnée : voilà exactement le problème qui divise les docteurs catholiques. Et par cette manière de le poser, il est déjà manifeste qu’il n’a point l’importance qu’on aurait pu croire d’après le bruit mené autour de la dispute. En définitive, ceux-là mêmes qui tiennent les concordats pour des contrats synallagmatiques ne sauraient les appeler ainsi au sens propre du mot. Ils l’avouent. Et le jour où ils cesseraient de l’avouer, ils seraient amenés, par voie de conséquence inéluctable, à dire que les concordats comportent une aliénation réelle d’une part de la puissance spirituelle. Or personne ne peut, sans livrer la vérité catholique, accepter une pareille thèse. La discussion par conséquent est, à la lettre, scolastique : on se chicane sur des dénominations et des concepts ; dès que l’on entre dans la précision des hypothèses décisives, la position de tous les auteurs est la même.

Sur quoi se fondent leurs divergences persistantes ?

Dans le système des concordats-privilèges, on considère que les personnes et les objets en cause n’étant pas de même condition juridique, il est contraire à la logique et au droit d’établir une parité dans les obligations qvxi résultent du traité. Dans le système des concordats-contrats, on répond : il y a synallagma dès qu’il y a obligation réciproque et pareille ; et celle-ci peut avoir lieu, même quand les deux contractants et les choses dont ils disposent ne sont pas d’une même condition juridique. Selon la première théorie, tout droit cédé en justice étant éteint en celui qui le cède, on ne saurait concevoir une telle cession, en celui qui garde le pouvoir d’exercer validement le droit cédé à autrui. Selon la seconde théorie, la délégation d’une faculté a beau laisser intacte dans le souverain qui la donne l’autorité d’agir par lui-même, il n’en est pas moins tenu en justice d’observer le pacte par lequel il aurait stipulé cette délégation. Comme l’on voit, les partisans du privilège partent du principe qui domine toute la question : la supériorité native de l’Eglise en matière spirituelle ; et ils déduisent de là — sans aucun respect humain et en se tenant au sens rigoureux des mots — la nature juridique des concordats. Les partisans du contrat sont surtout effrayés à la pensée que l’Eglise, maîtresse née de la morale, pourrait avoir l’air de s’exempter de cette bonne foi dans les traités, qu’elle impose à autrui, au nom de la loi divine dont elle est l’interprète. Et sous l’empire de cette préoccupation, ils plient le langage du droit à des accommodations ingénieuses peut-être, mais sujettes à contestation.

Autrefois conmie aujourd’hui, les défenseurs jaloux des droits de l’Etat ne manquaient pas. Nos politiciens ne sauraient inventer aucune prétention que les légistes de l’ancien régime n’aient soutenue avant eux. Cela n’a point empêché les canonistes anciens de se rallier presque tous à la tliéorie du privilège. Les modernes n’ont peut-être pas assez remarqué ce fait historique. Ils préfèrent, au surplus, regarder dans leur horizon immédiat ; par tous les documents qu’il fournit, le xix » siècle, disent-ils, suffît à leur donner raison.

Mgr Turinaz, dans la brochure déjà citée, appelle les papes en témoins de son opinion. Parmi les textes qu’il allègue, tous ne sont pas également significatifs. Ceux qui le sont à un plus haut degré n’ont peut-être pas la clarté décisive que leur prête