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AGNOSTICISME

logélique contre les modernisles. Si, lorsqu’on dit que Dieu est cause, on n’a en vue que l’exercice du rapport causal, sans rien dire du principe interne de reifet en Dieu, il en résulte que Ion ne peut pas dire que Dieu a été bon, sage etc., de toute éternité : car il n’a pas créé de toute éternité. On reculera devant cette conséquence : alors il faudra dire que Dieu a eu ah aeterno le pouvoir de créer (sens absolu, de droit) ; mais ce pouvoir n’est pas autre chose qu’une ressemblance superéminente avec son effet. D’où il suivrait : quod intellecfus concipiens bonitatem assimilaretur ad id quod est in Deo et quod est Deus.Et sic rationi sel conceptioni honitatis respondet aliquid quod est in Deo et est Deus. Et ainsi tous les concepts des attributs absolus sont à la vérité subjectivement en nous, mais l’objet que signiiient ces concepts est en Dieu comme dans la racine qui leur sert de vériticatif. Car les concepts de notre esprit sur un objet quelconciue ne seraient pas vrais, si cette chose ne correspondait à nos concepts par voie de ressemblance ; De Pot., quæst. 7, art. 6. On remarquera que Maïmonide rejetait l’éternité du monde ; les modernistes font sans doute de même, puisque la création non ab aeterno est un dogme déûni. Ils ont donc à répondre à l’argument de S. Thomas.

b) Les noms divins, dit Maïmonide, signifient que l’effet produit est tel cfii’il serait s’il était l’œuvre d’un être intelligent. Quand nous disons que Dieu a la science et la volonté, « nous voulons dire qiie tous ces êtres suivent un certain ordre et un régime, qu’ils ne sont pas négligés et livrés au hasard, mais qu’ils sont comme tout ce qui est conduit avec une intention et une volonté par celui qui le Aeut y, p. 244-Kant ne dit pas autre chose : « Nous concevons le monde comme s’il tenait son existence et sa constitution intime d’une raison supérieure ; Prolég., % 58. M. Bergson parle de même. Maïmonide prouve ce point par l’autorité des rabbins sur les treize middôths de Dieu (middùth : mesure) ; cf. S. Thomas, 7>e Pot., cj. 7, art. 3, ad 7 ; art. 8, ad2 ; />e Verit., q i, art. 10 ; I, dist.8, q. 4, a- 2, ad 3 ; — voir R. Martinus, Pugio fidei, p. 3, dist. I, cap. 5, Lipsiae, 1687, p. 001. En parlant des middôths de Dieu « on ne veut pas dire qu’il possède des qualités morales, mais qu’il produit des actions semblables à celles qui chez nous émanent de qualités morales, je veux dire de dispositions de l’àmc, non pas que Dieu ait ces dispositions de l’àme ii, p. 21g. Et, sans sourciller, Maïmonide explique en ce sens la vision de Moïse, Ex. 33. Ce que Dieu jjromit de montrera Moyse, c’est qu’il « devait comprendre la nature de tous les êtres, leiuliaison les uns avec les autres, et savoir comment Dieu les gouverne dans leur ensemble et dans leur détail », p. 217. La vision ne fut donc au fond qu’une Weltanschauung, tout à fait conciliable avec le panthéisme ou avec « l’émotion cosmique » de ceux qui prétendent tressaillir religieusement « à l’idée que, lorsqu’ils donnent un coup de cognée, ils ont pour collaborateur la masse des étoiles ». Le second argument est tiré des anthropomorphismes de l’Ecriture. Il est évident que ces termes figurés, dit Rabby Moyses, ne doivent pas se prendre à la lettre : tout y est dit par manière d’allégorie, chap. 46. Donc tout ce que l’Ecriture dit de Dieu doit s’expliquer de la même manière.

Réponse, i » Argument théologique. — Il est vrai, dit S. Thomas, que le sens direct des termes figurés de l’Ecriture est bien celui que constate Maïmonide : on dit que Dieu est en colère, parce que l’efTet de sa justice ressemble à l’efTet de la colère d’un homme (cf. I, dist. 35, art. i, ad 2). Il est vrai encore que les relations de Dieu au dehors f|ui se disent dans

le temi)s sont symboliques I, dist. 8. q. 2, a. 3, ad 2). Mais les saints et les prophètes fcmt très bien la différence entre les divcrs noms divins ; la preuve en est qu’ils affirment absolument certaines choses de Dieu, et qu’ils en nient d’autres, par[ exemple qu’il soit un corps ; De Pot., quæst. 7, art. 5. Si on réduit tous les noms divins à cette espèce de similitude de proj)ortion que l’on observe dans les termes ligiu’és ou symboliques (toutes les métaphores se réduisent à une proportion, ôvk^c/î ?, d’après Aristote : la jeunesse est à la vie ce que l’aurore est au jour : d’où l’aurore de la vie pour la jeunesse), la science se dirait de Dieu dans le même sens que la colère, par métaphore : ce cfui est contre la pensée des saints Pères et en particulier de Denys, De Verit.. q. 2, art. i ; Summa, I, q. 13, art. 3. Donc, il faut dire que la science. la vie, etc., attribuées à Dieu signifient quelque chose qui est en Dieu lui-même ; et cela par ressemblance, inadéquate, imparfaite, déficiente, mais vraie. 2° Argument philosophique. Nous ne sommes pas sans moyen de distinguer ce qui convient proprement à Dieu et ce qui ne se dit de Inique par métaphore. Dans le monde de notre expérience, étant donnée une cause connue d’une certaine manière et les résultats de son action, mettons du feu sur une brique, nous savons très bien discerner quelles sont les propriétés de l’effet qu’il ne faut pas attribuer à la cause, par exemple la densité de la brique ne s’attribue pas au feu ; fiuelles sont les jiropriétés qu’on n’attribue à la cause que par métaphore, par exemple tout le monde entend cjue, si l’on attribue au feu la dureté de la brique en disant que le feu a chauffé dur, c’est une métaphore ; quelles sont enfin les propriétés qui conviennent proprement à la cause et à l’effet, par cette voie de ressemblance univoque ou analogue qui est inséparable de toute vraie causalité efficiente, parce que toute efVicience vraie implique la finalité. De luême, quand il s’agit de Dieu, cause que nous connaissons d’une certaine manière comme simple etc., nous faisons le départ de ce qui ne peut pas se dire de lui ; de ce qui se dit par métaphore, et de ce cpii se dit au sens propre ; De Pot., quæst. 7, art. 5, - ad 8. 3 » <> La foi nous enseigne que la créature n’a pas été toujours, ce cjue concède Maïmonide ; mais dans son système, nous ne pouvons pas dire que Dieu a été sage, bon, avant qu’il y eût des créatures. Car alors rien ne se passait co171nie si Dieu était bon ou sage. Cette conclusion est absolument contraire à la vraie foi, hocautem omnino sanæ fidei répugnât, nisi forte dicere velit. » On avouera de nouveau qu’entre Maïmonide et S. Thomas il ne s’agit pas seulement de la meilleure façon de parler, que les concessions de S. Thomas, I, dist. 2, ne sont c|u’hypothétiques, et que les videtur incom-eniens qu’il emploie ne sont que l’expression de la modestie d’un esprit puissant qui tient son adversaire par le bon bout et qui le sait. Conclusion contraire à la foi, disions-nous, mais voici le moyen d’y revenir : « à moins cjue Maïmonide ne > euille dire qu’avant de créer Dieu ne faisait rien comme sage, mais qu’il avait le pouvoir d’agir comme sage, car, de cette manière d’entendre les choses, il suivrait que le nom de sage signifie quelque chose de réellement existant en Dieu, et que la sagesse est la substance divine, étant donné que tout ce qui est en Dieu est sa substance », De Pot., quæst. 7, art. 5. Mais cette dernière conclusion était précisément ce que Maïmonide Aoulait enlever de l’esprit de son lecteur ; c’est également ce dont Kant et Spencer après Hume nient la légitimité.

Les modernistes qui, à la remorqiie de Mansel et Hampden, veulent bien reconnaître aux formules dogmatiques une valeur régulative et pragmatique.