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CŒUR DE JESUS (CULTE DU)

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celle-ci, ou même l’humanité tout entière, si on la sépare ou si on fait abstraction de la divinité, ne peut être adorée d’un culte de latrie » ; et en rétablissant la vérité de fait, (( comme si, expliquait-il, les tidèles adoraient le cœur de Jésus en le séparant ou en faisant abstraction de la divinité, tandis qu’ils l’adorent comme le cœur de Jésus, c’est-à-dire le cœur de la personne du Verbe, à laquelle il est inséparablement uni… » (Denzinger-Baxxwart, Enchir. <<’, n. 1563.)

Dans le même ordre d’idées les Jansénistes, en vue d’une application au culte du sacré Cœur, avaient aussi tenté de glisser une équivoque tendancieuse au sujet du mot « directement », tâchant de le faire passer pour synonyme de « séparément, isolément, à part », ce qui eût fait du culte irréprochable adressé directement à riiumanité (ou au cœur) de Jésus-Christ, un culte nestorieu de l’hunianité (ou du cœur) considérée ou adorée séparément, à part, isolément. Dans la même Bulle, Pie VI démasque cette fourberie dont avait usé le synode de Pistoie dans la rédaction de sa 61^ proposition ; il déclare x fausse, captieuse, dommageable et injurieuse au culte pieux et mérité que les fidèles rendent et doivent rendre à l’humanité du Christ » la proposition qui prétend que « adorer directement l’humanité du Christ et plus encore une partie de celle-ci, sera toujours un honneur divin accordé à la créature ; en tant que par le mot directement cette proposition entend réprouver le culte d’adoration que les lldèles dirigent vers Ihumanité du Christ, comme si une telle adoration, par laquelle l’humanité et spécialement la chair viviliante du Christ est adorée, non assiu’ément à cause d’elle-même et en tant que chair seulement, mais en tant qu’unie à la divinité, était un honneur divin accordé à la créature et non pas, bien au contraire, cette seule et même adoration par laquelle le Verbe incarné est adoré avec sa propre chair (selon le second concile de Constantinople, 5’œcuménique, canon 9) » (Enchir. <", n. 1561). Cf. Gerdil, Animady. ad notas Feller ; de prop. Lxi, § II.

Pour les raisons mêmes qui viennent d’être données, le culte du sacré Cœur ne présente pas la moindre base à l’analogie compromettante que les mêmes adversaires s’ingénièrent à supposer entre lui et l’opinion, un moment fameuse, du P. Berruyer sur la tiliation divine (Histoire du peuple de Dieu, 2= part. Ispécialement t. VIII], la Haye, i^SS ; 3= part., Amsterdam, 1769). Suivant un système théologique de son cru, ou hérité plutôt du P. Hardouin, le P. Berruyer comprenait la iiliation divine comme effet de l’union non éternelle de la nature humaine avec le Verbe, en sorte que c’est en son humanité que Jésus-Christ eût été constitué « Fils de Dieu », du fait de l’union hypostatique de cette humanité avec une personne divine, — ce qui ne laissait pas, cpioi qu’en eût l’auteur, d’entraîner une certaine dualité de personne et sentait le nestorianisme. Pur de toute tache nestorienne, le culte du sacré Cœur n’a rien de commun tant avec les conséquences qu’avec les principes d’une telle doctrine. Il est à remarquer, par ailleurs, que ni le P. Berruyer, ni aucun de ses rares adeptes n’avait eu la malencontreuse pensée de faire application de cette théorie singulière pour expliquer les fondements théologiques du culte du sacré Cœur.

Ainsi donc entre le système et le culte, pas de lien doctrinal, pas même de lien accidentel qui autorisât un rapprochement quelconque. Celui que prétendirent trouver les Jansénistes fut tout artificiel et de leur invention.

IV. Si le culte du sacré Cœur est matérialiste.

— Le culte du sacré Cœur a été taxé de matéria lisme. Au xviii* siècle, les Jansénistes, italiens, français ou allemands, étaient prodigues de cette accusation. Elle a été maintes fois rééditée au xix’siècle, soit par des spiritualistes déistes, soit, chose plaisante, par des matérialistes avérés peu conséquents avec eux-mêmes. Elle repose sur vine méconnaissance de la nature humaine ou, plus souvent, sur une méconnaissance de l’objet véritable du culte en cause.

La vraie religion est religion d’esprit et de vérité, mais « s’imaginer que des objets sensibles ne sont pas nécessaires pour monter vers Dieu pai" la connaissance et l’amour, c’est oublier qu’on est homme. » (S. Thomas, Cont. Gentil., 1. III, c. 119.) Telle fut la doctrine constante de l’Eglise, toujours mise en pratique dans sa liturgie, tel fut l’enseignement de tous ses docteurs : elle a condamné les iconoclastes, les Béguards, la fausse mystique qui se détourne de l’humanité du Christ. C’est que nous ne sommes, selon le mot de Pascal, ni anges, ni bêtes, mais hommes, composés de corps et d’àme, et que nous portons jusque dans nos rapports avec notre Créateur les conditions de l’humaine nature. L’image et le mot matérialisent l’idée ; dans le regard d’un ami nous cherchons l’expression matérielle de son invisible affection, que nous retrouvons encore dans les gages et les souvenirs qu’il nous en laisse : autant de conséquences — et combien d’autres à citer — de notre propre matérialité. De même, dans l’ordre religieux, nous devons recourir aux symboles sensibles, et lorsque le culte du sacré Cœur présente à nos adorations un élément physique et corporel, il a le mérite de s’harmoniser avec les tendances et les besoins fonciers de notre humanité.

L’accusation de matérialisme a été portée la plupart du temps par des esprits prévenus, qui se figuraient bonnement, ou feignaient de croire que le culte était l’cndu au cœur de Jésus pris à part, comme une sorte de relique matérielle, rendu isolé par un travail mal défini de division et d’abstraction, séparé de l’ensemble de l’humanité du Christ, cessant de participer et à sa vie humaine et même à l’union avec la divinité. Et alors viennent naturellement les appellations outrageantes d’idolâtrie, de fétichisme, de paganisme, etc. On a vu plus haut combien est inexacte cette conception incohérente. Le cœur de Jésus est adoré sans division ni séparation d’aucune sorte, comme le cœur vivant du Verbe incarné. Il est viscère corporel, assurément, mais chair vivifiée par l’àme, éprouvant le contre-coup vital des sentiments et des émotions, mais chair hypostatiquement unie à une personne divine. Voilà qui rehausse et ennoblit singulièrement la matière, et qui, tout en laissant intact son caractère propre, lui confère une valeur et une dignité inestimables, associée qu’elle est, d’une alliance intime et indissoluble, aux réalités les plus sublimes. Ces réalités suprêmes, le culte rendu au cœur corporel les atteint : ce sont elles qui l’inspirent et le motivent, et elles font ainsi de lui un culte de nature hautement spirituelle.

Et encore ce cœur adorable ne compte-t-il dans l’économie du culte du sacré Cœur, que comme un des éléments combinés, comme l’élément secondaire, subordonné, auxiliaire, sei’vant à exprimer par son symbolisme l’élément spirituel, qui, lui, fait l’objet principal du culte : l’amour de Jésus-Christ pour les lionunes, son humaine et divine charité, et, par extension, son amour pour Dieu, ses sentiments, ses vertus, sa vie intime entière. Qui peut parler ici de matérialisme ?

Ces explications concordent pleinement avec la déclaration qu’énonce, en termes plus succincts, une phrase souvent citée de la lettre de blâme et de réfu-