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CŒUR DE JESUS (CULTE DU)

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englobe tout ce qui est en connexion avec l’amour, s’y rattache, l’accompagne ou en procède. La parole de BossuET sur les passions « … posez l’amour, aous les faites naître toutes…) (De la connaissance de Dieu et de soi-même, ch.i, §6) est juste pour l’Homme-Dieu comme pour nous ; la vie sensible et volontaire et la vie morale se tiennent si étroitement que l’une ne va pas sans l’autre ; en outre, en matière d, e culte surtout, le passage du cœur et de l’amour à la personne aimante s’effectue de soi-même : autant de raisons pour lesquelles l’objet, amplilié si l’on veut, mais normal, du culte du sacré Cœur n’est rien de moins que Jésus-Christ, considéré et honoré dans son amour, dans l’ensemble de ses sentiments et de ses émotions, dans ses joies et dans ses douleurs, dans ses déterminations et ses acceptations, dans la pratique des vertus dont il fut le modèle, dans sa vie intime et profonde tout entière, dans ses actions mêmes et ses démarches, accomplies qu’elles sont sous l’influence des motifs intérieurs. — Il résulte aussi de pareille extension que le culte du sacré Cœur ne s’en tient pas à honorer seulement l’amour de Jésus pour les hommes — amour, au reste, déjà tout pénétré de l’amour pour son Père — mais, parce que ce culte arrive à prendre Jésus dans sa vie intime complète et ses vertus, ilen vient à l’iionorer notamment dans son amour pour Dieu.

L’amour de rHomme-Dieu, tout cet amour, pris non seulement en lui-même, mais encore dans ses appartenances, dans ses tenants et aboutissants, voilà le « plus grand >. objet, mais l’objet toujours véritable et justifié, du culte du sacré Cœur.

II. Valeur symbolique du cœur. — Il est certain que, sinon d’une façon universelle et constante, du moins très communément, l’humanité a associé le cœur et l’amour, et employé l’un comme signe de l’autre : les idiomes, les locutions courantes, le langage des gestes, les croyances populaires, les œuvres littéraires, les ligurations graphiques et plastiques, des coutumes et des traits de mœurs l’attestent pour les époques et les régions les plus diverses. (Cf. D^ F. Andry, Beclierches sur le cœitr et le foie considérés au point de vue littéraire, médico-historique, symbolique, etc. Paris, 1858.) Fiit-il dénué de fondement, cet usage général suffirait, à lui seul, à conférer au cœur une valeur symbolique indéiiable encore que simplement conventionnelle, car le symbolisme est un langage, et en inatière de langage l’usage est souverain. Mais cet usage n’est pas seulement établi en fait, il est fondé en droit et sur la nature même des choses. En effet, nous sentons notre cœur intéressé dans nos émotions, nos passions ; nous remarquons par expérience un parallélisme, une corrélation entre le fonctionnement de notre vie affective et le fonctionnement de notre cœur. Il y a là une réalité psychophysiologique que nous constatons de façon expérimentale antérieurement à toute explication. Ce n’est pas sur l’explication à intervenir que pourra reposer, mais bien sur le fait d’expérience que repose d’ores et déjà, à bon droit, le symbolisme du cœur : le cœur est symbole naturel de l’amour, parce que entre lui et l’amoiu* existe et apparaît un rapport naturel.

De quelle nature est ce rapport ? Là-dessus les réponses ont varié selon l’état de la science physiologique. Durant de longs siècles, l’interprétation des philosophes, comme celle des savants, — jusques et y compris Bicuat, — aussi bien que du vulgaire, faisait du cœur le co-principe sensible, l’organe par lequel se produisaient et se ressentaient les sentiments, affections, émotions, en particulier l’amour, le courage, la joie et la peine. Les théories scientifiques

actuelles, tout en ruinant les hypothèses non vérifiées et les assertions trop aisément reçues dans le passé, sont loin d’exténuer pour autant la portée du rapport physiologique entre le cœur et la vie affective : elles l’expliquent autrement, voilà tout. Claude Bernard place dans le système nerveux l’action primitive de toutes les sensations et l’excitation qui en résulte ; comme les autres viscères, le cœur n’est affecté que secondairement, mais il est celui de tous les organes qui ressent le plus et le plus vite l’influence des excitations sensitives déterminées dans les centres nerveux. Non seulement le trouble même de son rythme normal accuse la nature de l’excitation venue du cerveau, mais, en outre, la circulation du sang se trouvant par là modifiée, le cerveau en subit une réaction qui, par le jeu subséquent des nerfs, puis des muscles, s’étend dans l’organisme. « Les sentiments que nous éprouvons sont toujours accompagnés par des actions réflexes du cœur ; et, bien que le cerveau soit le siège exclusif des sentiments, c’est du cœur que viennent les conditions indispensables de leur manifestation au dehors. L’expression de nos sentiments résulte d’un échange continuel d’influence entre le cœur et le cerveau. » (Claude Bernard, Etude sur la physiologie du cœur [1865], publiée notamment dans le volume-recueil La science expérimentale, Paris, 1878, et édit. suiv.) Un physiologiste russe, E. Cyon, après avoir approfondi et précisé la nature des connexions nerveuses entre le cœur et le cerveau, aboutit à des conclusions analogues(/.e cœur et le cerveau, discours à l’Académie de Saint-Pétersbourg [iS^S], traduit dans la Revue scientifique du 22 novembre 18^3) : le cœur serait un organe où ii-aient se répercuter admirablement tous les états passionnels, et la conscience que nous prendrions de ces états passionnels ne serait autre que notre connaissance intime — par le moyen des nerfs et du cerveau — de l’infinie diversité des oscillations et des variétés des battements cardiaques. (Cf. F. Papillon, Les passions d’après les travaux récents de physiologie et d’histoire naturelle, article dans la Revue des Deux Mondes du 15 décembre 18y3.) Selon la remarque de M. Th. Ribot (La psychologie des sentiments^, Paris, igo6, p. 118), « Claude Bernard et, après lui, Cyon ont pris à tâche de justifier les expressions populaires siu" le cœur, de montrer qu’elles ne sont pas de simples métaphores, mais le résultat d’une observation exacte et qu’elles peuvent se traduire dans la langue physiologique ». G. Sergi, dans son livre Doloree Piacere (Milan, 1894), revu et traduit en français sous le titre Les Emotions (Paris, igoi), se montre partisan d’une théorie « périphérique », suivant laquelle les phénomènes affectifs se développent primitivement dans les organes de la vie de nutrition, ce qui l’amène à dire dans sa préface : « Il y a fort longtemps que l’expérience Aulgaire place le siège des sentiments dans la région du cœur… Je tente une démonstration scientifique de l’expérience Aiilgaire… » Dans sa Psychologie des sentijnents*’, M. RiBOT explique comment tout n’est pas préjugé dans l’opinion courante qui fait du cœur l’incarnation de la vie affective : « Pourquoi le cœur, muscle dépourvu de conscience, se trouve-t-il érigé en organe essentiel et central des émotions et des passions ? C’est en raison de cette loi physiologique bien connue qui nous fait transférer nos états psychiques dans l’organe périphérique qui les communique à notre conscience. De tous les chocs qui nous frappent, il subit le contre-coup ; il reflète les impressions les plus fugitives ; dans rf)rdre des sentiments, aucune manifestation n’est hors de lui, rien ne lui échappe ; il vibre incessamment quoique différemment « (p. 118). Il va jusqu’à conclure, plus loin, en ces termes :