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CLERGÉ (CHIMIXALITE DU)

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de la justice. On venait de voter les lois sur la laïcisation des écoles et on commençait à les appliquer. Les amis de l’enseignement libre, cherchant des armes contre l’enseignement laïque, dont lEtat prenait ardemment le patronage, tirent bientôt remarquer qu’entre les maîtres de l’un et de l’autre, il fallait bien reconnaître, au profit des instituteurs congréganistes. une supériorité morale incontestable, dont les statistiques officielles elles-mêmes apportaient chaque année le témoignage.

Considérez seulement, disaient-ils, les résultats de cette année même (1884) : ’2Î> des vôtres viennent d’être condamnés aux travaux forcés ou à d’autres peines infamantes, et on n’a pu frapper, en même temps, que 3 congréganistes !

C’est alors, c’est dans cet instant critique, que se produisit le changement instantané, la révolution soudaine de chiffres, qui combla les désirs de l’administration, déconcerta à demi ses adversaires, et lui rendit la lutte plus facile en ruinant à moitié un argument importun.

Dès l’année suivante, en 1885. le nombre des condamnations tomba à 9, pour les maîtres laïques, ce qui n’était encore jamais arrivé depuis l’existence des statistiques, et il monta à 8 pour leurs adversaires, total qu’ils n’ont jamais atteint depuis. Et ce qui achève de caractériser le miracle, c’est qu’une fois cette modification accomplie en faveur des membres laïques de l’enseignement, elle fut constante : ils ne revirent jamais les résultats des années malheureuses, qui avaient précédé pour eux l’intervention de la Fortune.

Que dis-je ? A mesure que la lutte contre Dieu et ceux qui le représentent augmenta de violence, les instituteurs laïques augmentèrent de vertu. C’est un fait admirable et qui fait beaucoup penser ! De 1894 à 189’j, ils avaient encouru encore 44 condamnations, et leur moyenne criminelle annuelle par 100.000 personnes s’était élevée à près de 10, ce qui était déjà miraculeusement loin de la moyenne des années antérieures à 1885.

Dans la période quadriennale qui a suivi, pendant le même espace de temps, de 1898 à 1 901, les condamnations pour crimes, du personnel enseignant laïque, ne sont plus que de 28 et la moyenne annuelle, pour 100.000 personnes, n’est plus que d’un peu plus de 6, au lieu de 9 à 10 pendant les neuf années précédentes, de 30 dans la période de 1876 à iS84, et de 28 dans celle de 1864 à 18’j4 Que l’Etat apporte encore un peu plus d’ardeur dans la bataille, en faveur du groupe qui lui est cher, et, le mouvement continuant toujours, on verra peut-être la moyenne criminelle annuelle de ce groupe tomber à trois, à deux, puis enfin à zéro.

Car il ne faut pas oublier que le gouvernement est tout-puissant sur ces chiffres. C’est lui seul qui accuse et il n’accuse que s’il le veut, c’est lui qui choisit et forme les jurjs qui doivent juger, c’est lui enfin qui fait figurer ou non la condamnation prononcée dans les statistiques qu’il publie, et sous la rubrique qui lui plaît. Un instituteur laïque est-il condamné, ses agents peuvent le placer hors de sa colonne naturelle, soit parmi les propriétaires, s’il est en même temps propriétaire, soit avec les gens sans profession, si l’on a pris soin de le révocjuer à temps, soit enfin dans les « services de l’Etat, des départements et des communes », auxcpiels il appartient, en réalité, et où la polémique adverse sera incapable de le découvrir. S’il fallait une preuve nouvelle, on n’aurait qu’à méditer ce qui est arrivé pour les fonctionnaires de l’Etat en même temps que pour ses instituteurs.

3° Conversion simultanée des fonctionnaires. — Les

fonctionnaires n’occupaient pas jadis une place choisie sur l’échelle de la moralité publique. Considéronspour nous en convaincre, une période triennale anté, rieure à l’époque où le Gouvernement, devenant laïcisateur passionné, s’est jeté violemment dans la bataille des partis, par exemple la période de 18jb à 1877. Ces trois années donnent pour les fonctionnaires un total de 162 condamnations criminelles. Comme le groupe conqjtait alors 66.900 membres, la moyenne annuelle de ses condamnations était de 80 pour 100.000 individus : chiffre très élevé, supérieur à celui de presque toutes les professions libérales.

Afin d’établir la comparaison, prenons une série d’égale étendue, dans les années qui ont suivi cette fameuse date de 1885, où ont commencé, pour le personnel laïque de l’enseignement, les moyennes nouvelles si nettement opposées aux lois de la nature. Soit par exemple la série 1888-1890 : l’ensemble des condamnations criminelles qu’elle présente, chez les fonctionnaires, est de 63. — 63 contre 162 !

Voici du reste ces deux séries avec tous leurs résultats :

CONDAMNATIONS CRIMINELLES CHEZ LES FONCTIONNAIRES

1" série (avant 1885) 2* série (après 1885)

1875…. 43 1888 27

18’j6. … 65 1889. … 21

18’j7…, 54 1890…. 15

total 162 total 63

La moyenne annuelle par 100.000 individus, dans la deuxième période, serait inférieure à celle de la première, d’une manière invraisemblable, si nous acceptions les chiffres que le recensement le plus voisin de cette période, celui de 1891, a donnés officiellement pour la population des fonctionnaires ; car il en compte 350.ooo. Avec un tel nombre, la moyenne annuelle, par 100.000 personnes, tomberait à 6, au lieu de 80 !

On a beau supposer que des hommes nouveaux étant arrivés à la direction des affaires, et y faisant régner avec eux toutes les passions de leur parti, ont cru devoir désormais dérober autant que possible leurs fonctionnaires aux sévérités de la justice, l’écart est si grave qu’ils ne peuvent vraiment l’avoir provoqué par le seul effet de leurs manœuvres : ce ne serait plus de la partialité mensongère, ce serait de la folie é’idente. Il y a certainement une autre explication : c’est que le dénombrement de 1891 a classé, parmi les fonctionnaires publics, des personnes qu’on avait placées jusque-là dans une autre catégorie, où, d’îiilleiu’s, le Ministère de la Justice et, par conséquent les statistiques criminelles, les ont encore maintenues.

Mais, d’autre part, il est indiscutable que l’effectif de ce groupe s’est beaucoup accru depuis 1880 : le doute n’existe que sur l’importance précise de cet accroissement.

On a vu donc apparaître, pour les fonctionnaires de l’Etat, le même phénomène que pour les instituteurs laïques : le nombre des crimes a diminué chez eux, et de beaucoup, alors que la population du groupe augmentait considerablement.il était de 162, en trois ans, quand le groupe comptait 66.900 membres. II n’est plus que de 63 en trois ans aussi, alors que le groupe est devenu, sinon quintuple comme le prétend le recensement de 1891, du moins un certain nombre de fois plus nombreux.

Et ce phénomène extraordinaire s’est manifesté justement à l’époque même qui le vit se produire chez les instituteurs !