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CIRCONCISION

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que les Juifs la tiendraient des Egyptiens ; ou que des Egyptiens elle aurait passé à quelques populations africaines et asiatiques. En réalité, la circoncision, qu’on a retrouvée dans toutes les parties du monde, en Asie, en Afrique, en Amérique, en Océanie, et chez des tribus de cultiu-e tout-à-fait inférieure, comme les Noirs du centre africain, les Indiens de l’Amazonie, les Australiens, les Néo-Calédoniens, etc., a toutes les apparences d’un rite extrêmement ancien, qui remonterait aux origines mêmes de l’humanité.

D’abord — et c’est une remarque essentielle à faire, — la circoncision, chez les pojmlations primitives qui l’ont gardée, n’est pas un acte isolé, consistant uniquement en une simple et rapide opération pratiquée sur des enfants : c’est l’un des nombreux rites qui font partie de l’initiation de l’adolescence, initiation dont l’importance, en ces sociétés rudimentaires, est capitale. C’est, à proprement parler, le passage de l’enfance à la virilité par une seconde naissance : cette fois, l’adolescent entre dans la tribu avec la conscience de lui-même, la connaissance qui lui a été donnée de ce qu’il est, et, avec l’aptitude qui lui est reconnue de prendre place parmi les soutiens et les défenseurs du village, celle de transmettre à son tour la vie qu’il a reçue et de fonder une nouvelle famille. Aussi, cette initiation, qui s’applique aux deux sexes, comporte généralement une retraite, faite sous la conduite d’un directeiu-, avec exercices multipliés, discipline sévère, chants, danses, nourriture, logement et costumes spéciaux, sans compter les coups pour toute infraction qui survient. Le moment venu, les initiés reparaissent, après renouvellement, par le sacrifice, de l’alliance avec le totem allié de la tribu, en union avec les ancêtres ; un nom nouveau leur est imposé, un bain symbolique leur est donné ; ils reçoivent sur leurs corps les marques tribales ; leurs tabous ou interdits infantiles sont levés ; puis viennent, avec la procession solennelle de clôture, les cadeaux, les chants, les danses, les réjouissances générales : des hommes nouveaux sont nés au village !

C’est au cours de cette initiation que, généralement, la circoncision prend place. Pour en spécilier le caractère, il est même des tribus, — au Kikoyou, par exemple (Afrique Orientale), — où les parents simulent l’acte générateur, puis la mère prend l’enfant dans son giron et lui rend ensuite la liberté, comme si elle le mettait au monde une seconde fois.

Ainsi, l’enfant doit renaître homme, pour être reconnu digne de prendre place parmi les hommes et apte à transmettre la vie. Mais, ici, double dilliculté. D’abord, dans la pensée des Primitifs, le domaine mystérieux où s’élabore la vie humaine est éminemment sacré et interdit, autrement dit réservé, autrement dit tabou. malheur à qui l’envahit sans être passé par les rites qui lui donnent libre accès !

De plus, une souillure spéciale, transmissible des parents aux enfants, est censée s’attacher aux organes de la génération : il faut enlever cette souillure. Eh ! bien, c’est à quoi sert la circoncision : la circoncision est à la fois une levée d’interdit et une purification rituelle, comportant une effusion de sang, avec section circulaii-e ou tout au moins longitudinale — comme chez les Massai — de la membrane préputiale, sans compter les paroles ou les chants qui précisent le caractère de l’opération.

Sans doute, l’ensemble de ce cérémonial n’a pas été également bien conservé dans toutes les tribus de civilisation inférieure ; il en est qui n’en oui plus que certaines parties ; il en est même — et beaucoup

— qui ont tout abandonné. C’est ce qui, de mémoire d’homme, est arrivé, par exemple, pour les Zoulous

et les Ba-ronga, que les embarras de la circoncision gênaient dans les guerres perpétuelles où ils étaient engagés au milieu du siècle dernier.

Sans doute, aussi, le Primitif n’est généralement pas en état de fournir l’explication du sj’mbolisme des rites qu’il pratique — et, s’il l’était, il se refuserait probablement à le faire pour le plaisir d’un pro fane ; mais ce symbolisme ressort de toutes les idées qui hantent son esprit, comme de tous les actes dont il entoure cette pratique, étrange pour nous peut-être, mais qui, à ses yeux, n’a rien que de très naturel et <[ui, au surplus, est jugée indispensable.

Chose curieuse ! Un autre rite, signalé à la fois en Afrique et en Océanie, souligne de façon intéressante le sens du cérémonial que nous venons d’exposer. En même temps que l’enfant est circoncis, dans plusieurs tribus on lui enlève une dent. Pourquoi ? C’est qu’il faut, par ce sacrifice, lever l’autre interdit qui pèse sur l’usage de la nature et se munir de l’autorisation de se nourrir sans offenser le maître mystérieux du monde. Autrement dit, à sa seconde naissance, l’homme est mis dans l’état rituel ou religieux requis pour pouvoir, sans contrainte, entretenir la vie en lui et la propager au dehors…

II. — Sans insister davantage, il nous sera donc permis d’affirmer dès maintenant que Renan fait doublement erreur, quand il voit dans la circoncision une pratique d’origine sémitique, et qu’il ajoute : Dans le principe, « cet usage n’eut ni la généralité ni la signification religieuse qu’on lui donna plus tard. C’était une opération que beaucoup de tribus pratiquaient et qui avait sa raison physiologique. Sans cette opération, certaines races de l’Orient seraient condamnées à une demi-impuissance et à de fâcheuses impuretés » (IJisf. du peuple d’Israël, I, p. 123). — Non seulement les Sémites de la vallée de l’Euphrate ou de celle du Nil ne sont pas les inventeurs de la circoncision, mais, à l’époque où Hérodote, le premier, l’observait chez les Egyptiens (Hist., ii, 36, 3 ; , loli), il est probable que ceux-ci en avaient déjà perdu la signilication initiale et que cette institution couïmençaità tomber, puisque, d’après M. Mas-PKKO, elle n’était pas générale (hxGRxyGK, Etudes sur les religions sémitiques, p. 2^5).

Au reste, le caractère symbolique, religieux et social de la circoncision, tel que nous l’avons exposé, n’exclut en aucune façon ses avantages immédiats et pratiques, au point de vue de l’hygiène, que nous signale Hérodote et que Renan admet. — Avec Zabo-ROAVSKi, on peut aussi dire que cette institution rentre dans les épreuves imposées à l’adolescent avant son entrée dans la Airilité ; seulement, l’assertion gagnerait à être précisée et ne présente d’ailleurs qu’un des aspects de la question. — Si, dans le Manuel de r Histoire des Religions de Chaiitepie de la Saussaye, Valeton écrit de son côté « qu’à l’origine, la circon cision a été comme la sanctification des organes de la génération » (p. 201), on peut encore lui donner raison ; mais l’aflirination est trop générale, et l’on aimerait à savoir sur <juoi repose cette idée. Dans le même ouvrage, le D Jkuemias, à propos des Phéniciens, émet de son côté l’hypothèse que la circoncision aurait été < inspirée i)ar le besoin de i-acheter par un sacrifice ])articl le sacrifice complet de la’c, » (Manuel de l’Hist. des Helig., p. 184). Mais, s’il est exact qu’il y ait là un sacrifice, il ne l’est plus du tout que ce sacrifice soit fait en vue de racheter la vie de l’enfant : à ce compte, en effet, tous les enfants devaient être indistinctement sacrifiés, ce qui est invraisemblable. — Le P. Laghange entrevoit beaucoup mieux la vérité, quand il écrit : « Le lieu où se fait la circoncision marque assez que c’est comme