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AGNOSTICISME

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de son activit*?, puisque nous démontrons qu’il est libre, c’est-à-dire pViysiquement indifférent à ces termes ; nous savons de même qu’il est immuable. Nous pouvons donc corriger ce qu’il y a de défectueux dans notre mode de concevoir l’Absolu : et quiconque attaque cette position, prouve par le fait qvi’il l’entend et qu’il nous comprend. La question du changement est par là résolue. Reste la difticulté plus grave de la dépendance, de la relation, de l’Absolu. Du changement, Mansel conclut à la relation réelle de dépendance. S. Thomas répond avec une grande profondeur. De Pot., q. 7, a. 10, ad 2 : Que le moteur soit mù dans tous les objets de notre expérience, ce n’est pas la raison de la relation réelle de la cause à son terme, ce n’en est que le signe, signum quoddam ; car c’est par là que nous voyons que les moteurs et les mobiles que nous observons, appartiennent tous à la catégorie des êtres changeants ; et aussi que les causes linies sost ordonnées à leurs effets : car elles ne les peuvent produire qu’en se complétant pour ainsi dire elles-mêmes, pour passer à l’acte ; et comme toute cause n’est pas naturellement capable de tout effet, nous concevons un lien plus ovi moins rigide, mais un lien, entre la nature de ces causes et leurs effets. Mais tout cela, changement, détermination, limitation à une classe ou série d’effets, ce n’est pas la causalité : ce sont les modes de notre activité causale finie, non pas l’eflicience causale. Celle-ci peut donc se trouver en Dieu sans relation réelle de dépendance ; ainsi l’Absolu est cause sans relation. Donc, conclut encore S. Thomas contre Maïmonide — et la réponse satisfera, je l’espère, le lecteur, — si affirmer les relations spatiales et temporelles serait mettre une imperfection en Dieu, il n’en est pas de même de l’activité causale. De l’incorporéité divine il suit bien que les relations locales et temporelles qui suivent le quantum ne doivent pas être affirmées de Dieu, et donc que l'éternité et l’immensité sont des attributs négatifs ; mais de ce que ces relations ne sont pas en Dieu, il ne suit pas : a) qu’aucune relation ne puisse être en Dieu (Trinité) ; h) que l’activité causale de Dieu n’emporte pas une relation réelle ; cette conclusion est vraie, mais non pour la raison qu’en donne Maïmonide. Aussi c) fautil nier la conséquence du Rabbin lorsqu’il conclut à l’agnosticisme en assimilant les attributs relatifs aux attrilnits négatifs ; car Ifien que nous ne puissions pas penser les attributs d’action sans penser une relation en Dieu, nous concevons que cette relation n’y est pas i-éelle et notre pensée n’est point vide alors de contenu défini, puisque nous formons le concept de la causalité pure : principe d’effet et non d’opération ; De Pot., q. 1, art. i, corp. et ad 10 ; q. 7, art. I, ad 9. Et nous pouvons conclure, à l’usage de nos contemporains : le contenu de la notion de cause appliquée à Dieu est parfaitement déterminé pour le philosophe.

J’ai dit que Kanl avait ici plus compliqué la question et par suite plus erré que Maïmonide. Voici pourquoi. Dans la grande controverse, qui date d’Aristote, sur la question de la création du monde ab aeterno, Maïmonide prend nettement parti contre Aristote, les néoplatoniciens et beaucoup d’Arabes. Un des arguments classiques de ces Arabes était le suivant : « Si Dieu avait produit le monde du néant. Dieu aurait été, avant de créer le monde, agent en puissance et en le créant il serait devenu agent en acte. » Maï.momdk, t. ii, chap. i^, p. 118. Cf. AVorms, Die Lehre %'on der Anfanglosigkeit der Well bei den miitelalterlichen Arabisch. Philosoph. etc., dans le t. III des Beitragede Bæuniker. Cette difficulté deProclus et d’Averroès était connue des scolastiqucs, cf. Albert LE Grand, Summa iheologiae, pars 2, tract, i.

quæst. 4 » part. 3 : de sepieni t’j/s quas collegit rabbi Morses quibus probatur inundi aeternitas. S. Thomas, écrit à ce sujet : Et quia hæc yidetur esse efftcacior ratio qua utuntur ad probandum aeternitatem mundi, diligenter est hujus rationis solutio attendenda ; de Causis, lect. 11, édit. Vives, t. 26, p. 5'|3 ; Cont. gent., 2, 82 sqq. Cf. Urraburu, Cosmologia, Vallisoleti, 1892, qui traite bien la question, p. 252-263, et renvoie à Rened. Pkrerius, De communibus omnium revum naturalium principiis et affectionibus ; voir Raym. Martinus, Pugio fidei, p. 1, cap. 6 sqq. Comme Maïmonide n’admet en Dieu ni relations temporelles, ni relations locales, il résout très bien la difficulté, quant à la question du changement ; et S. Thomas ne fait guère sur ce point que reproduire sa réponse, loc. cit. ; cf. Sumnia, i, quæst. 46, art. i, ad 6. Ce n’est qu’une difficulté d’imagination, qui s'évanouit si l’on se souvient que la première cause n’est pas dans le temps et produit le temps, et que nous pouvons vouloir aujourd’hui pour demain. Et si l’on objecte que notre détermination d’aujourd’hui pour demain supjiose au moins un changement extérieur, à savoir le cours du temps ; Maïmonide et S. Thomas répondent que cela vient de ce que, nous, nous sommes des êtres dont la durée est successive, et que c’est pour cela que notre causalité fait partie du temps et par là même rentre dans l’enscmljle des phénomènes ; mais il n’en est pas ainsi pour Dieu — sinon dans l’imagination — puisqu’il crée le temps en même temps que le monde. Jusque là le théologien juif et S. Thomas sont d’accord. Mais comme Maïmonide pense, nous l’avons vu, qu’il faut ranger la relation causale sur la même ligne que les relations locales et temporelles, il ajoute : Mais « ce n’est que par homonymie (æ quiyoce) qu’on donne à la fois à notre Aolonté et à celle de l'être séparé le nom de volonté, et il n’y a point de similitude entre les deux volontés », t. II, chap. 18, p. 142. Nous dirons plus loin pourquoi il faut rejetter les homonymes du docteur juif ; il suffit de noter ici que S. Thomas enseigne expressément que la volonté est en Dieu propviissime ; de Verit., q. 23, art. i.

Que fait Kant ? Dans la troisième antinomie, il se donne dans l’antithèse comme absolument évident que, si une série commence en vertu d’une spontanéité absolue (cause libre), « devra commencer aussi absolument la détermination de cette spontanéité elle-même, en vue de la production de la série, c’està-dire la causalité ». C’est tout simplement supposer que la cause première est soumise aux relations temporelles et locales ; que la volition divine n’est pas éternelle, De Verit., q. 23, art. i, ad 9 ; et que la toutepuissance divine est un principe perfectible d’opération, ibid., ad 10 ; De Pot., q. 1, art. i : c’est, en iin mot, gratuitement prêter aux défenseurs de la liberté divine un anthropomorphisme grossier qui n’est pas dans leur esprit, on l’a vu. La thèse de cette antinomie prouve qu’il est nécessaire d’admettre une causalité libre pour l’explication des phénomènes. Dans les remarques qu’il fait sur cette thèse, Kant commet le même sophisme : il conclut en effet : « Puisque le pouvoir de commencer dans le temps tout à fait spontanément une série a été ainsi une fois prouvé (quoique non compris), il nous est aussi permis maintenant de faire commencer spontanément, sous le rapport de la causalité, diverses séries au milieu du cours du monde et d’attribuer à leurs substances un pouA’oir d’agir en vertu de la liberté. » Et il entend ce commencement « d’un cominencement absolument premier quant à la causalité ». Mais nous nions, avec Maïmonide et tous les chrétiens, que Dieu commence dans le temps une série. Nous nions avec S. Thomas et tous les chrétiens que le pouvoir extratemporel de com-