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CANOSSA


i’empereur à s’approcher de l’autel. Puis, tenant à sa main le corps de Notre-Seigneur, il dit : J’ai reçu depuis longtemps des lettres de vous, où vous m’accusez d’avoir usurpé le Saint-Siège par simonie et d’avoir commis, tant avant mon épiscopatque depuis, des crimes qui, suivant les canons, me fermaient l’entrée aux ordres sacrés ; quoique je pusse me justifier par le témoignage de ceux qui savent comment j’ai vécu depuis mon enfance, et de ceux qui ont été les auteurs de ma promotion à l’épiscopat, toutefois, pour ôter toute ombre de scandale, je veux que le corps de Notre-Seigneur que je vais prendre soit aujourd’hui une preuve de mon innocence, et que Dieu me fasse mourir subitement si je suis coupable. Après ce discours, Grégoire YIl aurait communié et invité Henri à consommer 1 autre partie de l’hostie, en preuve de la fausseté des accusations dont il était l’objet, ce que celui-ci aurait refusé. Mais cette parlie du récit de Lambert a paru suspecte à de graves auteurs (voir Ll’dex, Hist. des peuples allemands, t. IX, p. 580 ; — DoELLiNGER, K. G., p. 145). Après cette cérémonie, Grégoire invita l’empereur à sa table et le traita avec honneur. Ainsi se termina la scène de Ganossa.

Si l’on veut apprécier la part de sincérité apportée par les deux rivaux dans cette entrevue, il n’y a qu’à examiner leurs déclarations et leurs actes aussitôt après la séparation.

Grégoire Vil crut nécessaire d’expliquer sa conduite devant les seigneurs allemands. Il le fit autant pour s’excuser d’avoir, par la levée de l’excommunication, paru prévenir le jugement de la diète d’Augsbourg, que pour appeler l’intérêt sur l’empereur repentant. « Suivant la résolution prise avec vos députés, leur écrivit-il, nous sommes venu en Lombardie, environ vingt jours avant le terme auquel quelqu’un des ducs devait venir au-devant de nous au passage des montagnes. Mais, après ce terme expiré, on nous manda qu’on ne pouvait nous envoyer d escorte : ce qui nous mit en grande peine, parce que nous n’avions pas d’autre moyen de passer chez vous. Cependant nous apprîmes avec certitude que le roi venait, et avant que d’entrer en Italie, il nous offrit par des envoyés de satisfaire en tout à Dieu et à saint Pierre, et nous promit toute obéissance pour la correction de ses mœurs, pourvu qu’il obtînt son absolution. Nous consultâmes et différâmes longtemps, le reprenant fortement de ses excès, par des envoyés appartenant aux deux parties ; et enfin, il vint, sans marques d’hostilité et peu accompagne, dans la ville de Canossa où nous demeurions. Il fut trois jours à la porle, sans marques de dignité, déchaux et vêtu de laine, demandant miséricorde avec beaucoup de larmes ; en sorte que tous les assistants ne pouvaient l’tenir les leurs, et nous priaient instamment pour lui, étonnés de notre dureté. Quelques-uns criaient ipic ce n’était pas une sévérité apostolique, mais une I I naulé tyrannique. Enfin, nous laissant vaincre, l’iiis lui donnâmes rabsolution et le reçûmes dans 1’sein de l’Eglise, après avoir pris de lui les sûretés iiMMscrites ci-dessous, qui furent aussi confirmées , ’1 H-l’abbé de Cluny, par les comtesses Mathilde et’l<laide, et par pbisieurs autres seigneurs, évêqTies’t laïques. Ce qui s’est ainsi passé. »

Les bonnes résolutions de Henri survécurent envi-I "M quinze jours à son départ de Canossa. Peu souieiix de sotunetlre sa conduite à une enquête, honl nx de son action, en butte au blâme des Lombards |||" lui pronieltaient secours contre le pape, il rapl’ila autour de lui les excommuniés, et se reprit à Méclamer contre Grégoire, essayant par tous moyens lie le brouiller avec les seigneurs allemands.

Grégoire VII cependant usait encore de ménage ments vis-à-vis de Henri. Les Allemands ayant élu llodolj)]ie de Souabe, il ne pouvait se résoudre à prononcer la déchéance de l’empereur détrôné. La fidélité du pape à ce dernier semblait un outrage aux pai-tisans de Rodolphe. « Nous vous avons obéi avec un grand péril, écrivaient-ils, et ce prince a exercé une telle cruauté, que plusieurs d’entre nous y ont perdu leurs biens et leur vie, et laissé leurs enfants réduits à la pauvreté. Le fruit que nous en avons retiré est que celui qui a été contraint de se jeter à vos pieds a été absous, sans notre conseil, et a reçu la liberté de nous nuire. Dans vos lettres, le nom du prévaricateur est toujours le premier, et vous lui demandez un sauf-conduit comme s’il lui restait de la puissance. » Grégoire VII n’avait point approuvé cette élection de Rodolphe de Souabe. Il le déclara solennellement dans le concile de Rome (1080). S’il le reconnut enfin, ce fut par amour du bien public et de la paix, lorsque de nouvelles fautes de Henri IV eurent montré jusqu’à l’évidence son incorrigible perversité.

Le côté extérieur de la scène de Canossa a exercé une influence plus grande dans les sévérités de certains historiens contre Grégoire VII, que ne le comportait l’intelligence bien nette de la scène en elle-même et de l’époque. On s’est ému plus que de raison de l’avilissement de l’empereur, campé trois jours durant, pendant la froide saison, devant la porte du Pontife. Le fait est qu’Henri accomplissait un acte très ordinaire, si Ion se reporte à la discipline du temps. Il était excommunié et, en cette qualité, tout empereur qu’il fût, tenu de solliciter sa réconciliation dans la posture d’un pénitent, aussi bien qu’un simple fidèle. Il avait été précédé à Canossa par des évêques, par des laies allemands qui, comme lui, avaient à implorer le pardon de l’Eglise. « Ils venaient, écrit Lambert, pieds nus et vêtus de laine sur la chair, pour demander au pape l’absolution. Le pape répondit qu’il ne fallait pas refuser le pardon â ceux qui reconnaîtraient sincèrement avoir péché, mais qu’une si longue désobéissance demandait une longue pénitence. Comme ils se déclarèrent prêts à tout, il fit assigner aux évêques des cellules à part, avec défense de parler à personne et de prendre d’autre nourriture qu’un repas le soir ; il imposa aussi aux laïques des pénitences convenables, selon l’âge et les forces de chacun. »

Quant à cette rigueur qui ne se laissa pas même fléchir par le spectacle de la grandeur déchue, on peut remarquer avec Ludex (Histoire de l’Allemagne, L. XIX, c. 6) qu’il y avait trois choses ipu’Grégoire VII ne pouvait pas perdre de vue. En premier lieu, il devait appliquer les principes de l’Eglise et les formalités d’usage envers les excommuniés ; en second lieu, il devait, pour lui et pour le roi. faire en sorte de donner à celui-ci une leçon inoubliable ; et enfin il devait compter avec le ressentiment des Ijrinces allemands dont il déjouait les projets ambitieux. Grégoire régla sa conduite sur cette triple considération.

BiBLioGRAPHiK. — Voir Lambert de Hersfcld, Annales, ad ann. 1076-1077, dans Migne, /^ L. CXLVI, ou dans Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, V ; Jaffé, Monumenta Gregoriana ; autres travaux indiqués dans l’abbé O. Delarc, Saint Grégoire VII et la Réforme de l’Eglise an XI’siècle, t. III, Paris, 1889 ; Ulysse CheyaUiiv, Répertoire des sources liisioriques du M. A.

[P. GUILLHUX.]