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CABALE DES DEVOTS

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1°) Qu’est-ce que la « cabale des dévots » ?

— C’est la Compagnie du Saint-^acretnent, association de laïques et de prêtres séculiers, fondée en 1630 sur l’initiative de Henri de Lévis, duc de Vcntadour. Les réunions de la société ont lieu tous les jeudis, partagées entre les exercices religieux et les délibérations pratiques. Le gouvernement s’exerce par un bureau de neuf membres, renouvelés tous les trimestres : un « supérieur » (président), un < ; directeur » (spirituel), un secrétaire, six conseillers. A chaque confrère sont imposées de nombreuses pratiques de piété, surtout envers l’Eucharistie. Mais l’association est, en outre, militante. Elle veut entreprendre foui le bien possible ; éloigner tout le mal possible ; se consacrer aux œuvres d’apostolat et d’assistance ; faire une guerre sans merci au scandale et à l’impiété ; agir pour la cause catholique <( dans toute l’étendue de la charité « , comme dans tout le zèle de la foi. En vue de la pénétration universelle qui distingue son programme, la Compagnie du Saint-Sacrement adopte une rigoureuse discipline du secret, un caractère occulte qui la rend forcément illégale au point de vue civil, et qui, au point de vue ecclésiastique, l’empêche d’être authentiquement approuvée par le Saint-Siège et même par l’archevêché de Paris. Un luxe inouï de ^irécautions sévères protège le secret de la Compagnie ; un manège délicat de personnes interposées rend possible la gestion iinancière et la conservation des documents. La société demeure invisible, et ses membres n’agissent au dehors qu’en leiu- nom individuel. Peu à peu, la Compagnie du Saint-Sacrement gagne les provinces, où elle compte bientôt plus de cinquante groupes, reliés pai" une correspondance active et mystérieuse avec le centre directeur, toujours à Paris. L’élite de la société française, durant le second tiers du xvii"^ siècle, a figuré dans les cadres de la Compagnie. Nommons parmi les ecclésiastiques : Olier, saint Vincent de Paul. Abelly, Bossuet ; parmi les magistrats ou avocats : Lamoignon, de Mesmes, du Plessis -Montbard, Le Fèvre d’Ormesson ; parmi les seigneurs de la cour : prince de Conli, duc de Nemours, duc de la Meillcraye, maréchal de Schomberg, marquis de Salignac-Fénelon, comte de Brassac, comte de Noailles, comte d’Argenson, baron de Renty. Grâce à de tels concours. la Compagnie du Saint-Sacrement devint le plus puissant organe, en France, de la Contre-Réforme.

« C’est même à la grandeur de ses ambitions et de

son action », dit M. Mariéjol, « que l’on peut le mieux mesurer la force du mouvement catholique ». En 1660, le secret de la Compagnie vient à être pénétré : aussitôt de nombreux envieux s’acharnent contre la Cabale des dévots. L’archevêque de Rouen la dénonce à Mazarin comme redoutable et comme suspecte. Le ministre fait donc rendre, au Parlement, un arrêt (jui prohibe la tenue de semblables associations non autorisées (13 décend)re 1660). Pendant quelques années encore, les confrères se réunirent néanmoins par petits groupes locaux ; en 1 664, notamment, ils travailleront à faire interdire la représentation de Tarfa/fe. Puis la « cabale » disparaîtra, laissant derrière soi les institutions durables qu’elle a naguère su créer : l’Hôpital général, le séminaire des Missions étrangères, ainsi ({ue des œuvres pour la conversion des protestants, l’assistance des pauvres, la visite des malades et des prisonniers. Si catholique et si généreuse qu’ait été l’action de la Compagnie du Saint-Sacrement, il faut néanmoins noter que la |iiérarchie ecclésiastique, à Uome et à Paris, ne l’a jamais approuvée comme société secrète. L’Eglise catholique ne saurait donc être rendue responsable ni de tous ses actes, ni de toutes ses méthodes et de tous ses procédés.

2") Qu’a-t-elle fait contre les protestants ? — Voulant éloigner tout le mal possible, la Compagnie du Saint-Sacrement a lutté, souvent avec un réel succès, pour la répression des irrévérences dans les églises, des scandales de mœurs, des exhibitions foraines inconvenantes, des livres licencieux, des duels et des jeux de hasard. Mais elle a combattu davantage encore le protestantisme, comme ennemi de l’Eglise catholique et du dogme de la présence réelle. D’abord la Compagnie a procuré activement la conversion des huguenots, et fait châtier, soit les outrages à la foi catholique, commis par les protestants, soit les vexations que ceux-ci, quand ils sont les plus forts, infligent aux catholiques. En outre, elle a mené une vraie campagne, non pas pour la révocation de l’Edit de Nantes, mais pour son interprétation à la rigueur, en faisant supprimer toute liberté acquise peu à peu par les protestants et non mentionnée dans la formule primitive de l’édit. En 1638 et 1645, une mystérieuse enquête vise à constituer en ce sens tout un arsenal de jurisprudence, un gros volume de Décisions catlioliques, dont le rédacteur sera un confrère de Poitiers, l’avocat Jean Filleau. En 1654 et 1660, nouvelles enquêtes, également secrètes, sur la vie et la conduite des conununautés protestantes : les documents, accumulés de la sorte, sont transmis par Forbin-Janson, évêque de Digne, à l’Assemblée du Clergé de France, qui en est fort émue et requiert efficacement du gouvernement royal des mesures fermes pour donner à l’édit une interprétation restrictive. Enfin la Compagnie a fait mainte fois agir ses membres pour obtenir la fermeture de temples et de collèges calvinistes ; pour exclure les huguenots des professions manuelles, des carrières libérales, des fonctions publiques : le plus fréquemment d’ailleurs en violation manifeste de l’édit de Nantes lui-même. Cette action occulte et continuelle de la Compagnie du Saint-Sacrement contribue à faire grandir, dans l’opinion catholique et le gouvernement royal, l’esprit d’hostilité agressive contre les huguenots, qui conduira, un peu plus tard, à la Révocation de l’Edit de Nantes. Mauvais service rendu à l’Eglise et à la Monarchie par le zèle religieux et sincère, mais par trop intolérant et inquiet, de la société secrète catholique.

3°) A quelles œuvres s’est-elle consacrée ? — On ferait néanmoins une indigne caricature de la Compagnie du Saint-Sacrement, si on la représentait comme n’ajant eu guère d’autre occupation que de pourchasser les hérétiques et les mécréants. La Compagnie, au contraire, a su réaliser l’un des efforts les plus nobles et les plus féconds qu’aient accomplis la foi et la charité catholiques. L’énumération serait longue de ses œuvres pour la réforme et l’extension de l’Eglise, pour le soulagement de toutes les misères physiques et morales. Parmi ces initiatives généreuses et délicates, mentionnons, par exemple, en 1643, une ébauche de nos modernes secrétariats du peuple, pour prêter assistance et conseil aux pauvres gens qui doivent soutenir des procès contre des adversaires plus fortunés. Chose très notable : au service de la charité chrétienne, la Compagnie sait merveilleusement apporter l’organisation et la méthode. Pendant les années désastreuses de l’une et l’autre Fronde, si le plus illustre membre de la Compagnie, saint Vincent de Paul, réussit à trouver d’inépuisables ressources en houunes et en argent, c’est que, dans chaque ville, ses confrères laïques fournissaient un « noyau » tout formé, une élite active de catholiques militants, qui dirigeaient la croisade contre la misère. A Paris notamment, ils créent, en 1652, une « société paroissiale » par quar-