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BONIFACE VIII

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De nouvelles entreprises de Philippe contre les immunités ecclésiastiques amenèrent une nouvelle et plus grave rupture avec Rome. En septembre 1296, Boniface avait séparé du diocèse de Toulouse l’évèclié de Pamiers, et lui avait donné comme premier évêque Bernard de Saisset, connu pour son hostilité à la politique du gouvernement français ; séparation et nomination s’étaient faites sans consulter le roi. Le nouvel évêque de Pamiers ne se privait pas de critiquer en termes violents les procédés de Philippe le Bel envers l’Eglise et envers ses sujets ; il ne semble pas cependant qu’il ait cherché, comme la Cour de France le lui reprocha, à susciter dans son diocèse des émeutes contre les olficiers royaux. En 1 30 i, Philippe fit arrêter et conduire à Paris Bernard de Saisset, accusé de haute trahison ; en même temps il envoyait à Rome un mémoire contre l’évêque, demandant qu’on lui fit son procès en France. Boniface répondit par de violents reproches au sujet de l’emprisonnement de Saisset, et ordonna qu’il fût immédiatement relâché afin de Aenir présenter sa défense en Cour de Rome. En même temps les concessions faites précédemment au roi en matière financière étaient révoquées (Bulle Sah’aior Mundi, l déc. 1301). Le lendemain la Bulle Ausculta Fili donnait, dans les termes les plus absolus, la théorie de la puissance pontificale

« constituée au-dessus des rois et des royaumes

pour édifier, planter, arracher et détruire » ; elle énumérait les griefs de TEglise et du peuple français contre la tyrannie royale, flétrissait « les ministres de l’idole Bel)i, invitait enlin le roi à venir en personne, ou à se faire représenter, au prochain synode de Rome, « afin d’y entendre ce que Dieu prononcera par notre bouche », disait le Pape. Le même jour la Bulle Ante promotionein convoquait à Rome les évêques, délégués des chapitres, docteurs en théologie de France, pour le i <"’" novembre 1302, en vue de procéder avec eux « à la réforme du royaume et à la correction du roi » (Dupuy, Preuves du différeiiJ, pr. 42, 48, 53).

La bulle Ausculta Fili fut jetée au feu, en présence du roi, par le comte d’Artois ; plus tard on prétendit qu’elle était tombée dans le feu par accident. Philippe se garda bien d’en laisser circuler le texte dans le peuple, les griefs énoncés contre le gouvernement royal n’étant que trop réels. A la place on répandit un prétendu résumé de l’acte pontifical, qui commençait par ces mots : « Sachez, nous le voulons, que vous nous êtes soumis au temporel comme au spirituel. » En même temps circulait une grossière réponse qui ne fut pas envoyée à Rome. « Philippe, par la grâce de Dieu roi de France, à Boniface cjui se dit Pape, peu ou point de salut. Que votre insigne fatuité sache que nous ne sommes soumis à personne pour le temporel, etc. » (Dupl’y, Preuves, pr. 44, 47).

Le 10 avril 1302, les trois ordies du royaume furent réunis pour la première fois, à Notre-Dame de Paris, pour donner au roi leur appui contre le Pape. Après un fort habile discours du chancelier Pierre Flotte, deux réponses furent votées par la noblesse et le

« commun » et envoyées aux cardinaux à Rome ; 

elles étaient entièrement favorables aux prétentions royales ; celle du clergé, adressée au Pape, était plus modérée de ton, mais ne différait guère des deux premières pour les conclusions ; Philippe défendit ensuite à tous ses sujets de se rendre à l’étranger et d’y transporter des fonds. Des ambassadeurs du roi et des Etats allèrent porter à Anagni tous ces documents. En leur présence, le Pape prononça, en consistoire, un discours dans lequel Pierre Flotte était traité

« d’Achitophel qui conseilla Absalon contre son père

David, borgne d’un œil et totalement aveugle du 1 cerveau >., Philippe accusé d’avoir « falsifié m les’lettres apostoliques ; le Pape rappelait « que ses }rédécesseurs avaient déposé trois rois de France », et menaçait le roi « de le déposer, s’il ne venait à résipiscence, comme un garnement, sicut unum garcioiiem » (DuruY, Histoire, f » r. 05). Boniface, du reste, faisait cette importante déclaration qu’on ne doit jamais perdre de vue si l’on veut interpréter justement ses affirmations de la puissance pontificale : « Le roi nous a fait dire que nous lui ordonnions de reconnaître qu’il tient de nous son royaume. Or, nous étudions le droit depuis quarante ans, et nous savons qu’il y a deux puissances ordonnées de Dieu… Nous ne A’oulons usurper en rien la juridiction du roi, mais le roi ne peut nier qu’il nous est soumis, comme tout autre fidèle, ratione peccati. » Ordre était, de nouveau, donné aux évêques français, sous peine de déposition, de venir à Rome pour l’époque indiquée (Dl’Puy, Histoire, p. 77).

La défaite de Courtrai (Il juillet 1302), où périt Pierre Flotte, fut regardée en France comme une punilion de Dieu. Philippe, devenu plus traitable, envoya une nouvelle ambassade demander un sursis pour les évêques appelés à Rome, et permit à une quarantaine d’entre eux de se rendre auprès du Pape i)our le 1" novembre. Boniface, usant à son tour de bons ju’océdés, ne critiqua pas au synode romain l’administration du royaume, et se contenta d’y promulguer la fameuse Bulle Unam Sanctam que nous étudierons plus l)as ; un légat, le Cardinal Lemoine, français d’origine, fut envoyé près de Philippe pour [)acifier le conflit. Le roi, près de qui prévalaient en 1e moment des conseils plus modérés, discuta, dans des lîesponsiones respectueuses de forme, les griefs formulés par le Pape (janvier 1303).

Malheureusement, peu après, l’homme qui devait être jusqu’au bout le mauvais génie de Philippe, Guillaume de Nogaret, parvint à s’emparer de la faveur royale, et excita Aàolemment son maître contre la Cour de Rome. Boniface, instruit de ses agissements, invita le légat à obtenir du roi satisfaction plus complète « sous peine de châtiments temporels et spirituels « (13 avril 1303). Il était trop tard. Le 12 mars 1303, dans une assemblée tenue au Louvre en présence du roi, Nogaret demanda que Boniface, usurpateur du siège iiontifical, coupable de crimes manifestes et énormes, fût traduit devant un concile général qui lui ferait son procès. Il s’offrit à partir pour l’Italie et à s’assurer de la personne de l’intrus jusqu’à la réunion du concile. Acte notarié fut dressé de ce réquisitoire, et Nogaret partit pour l’Italie. Le Pape, prévenu de tout, rédigea la Bulle Super Pétri solio, qui devait être fulminée le 8 septembre ; le roi était excommunié, ses sujets déliés du serment de fidélité ; pourtant une sentence de déposition n’était pas formellement prononcée (Dupuy, Preuves, pr. 18a).

Le 7 septembre, Nogaret envahissait Anagni où se trouvait le Pape, à la tête de 600 hommes d’armes et mille sergents à pied, recrutés dans la campagne romaine parmi les pires ennemis de Boniface. Il avait fait déployer, à côté de la bannière fleurdelysée, le gonfalon de saint Pierre, ov marquer que l’intérêt derEgliseinspiraitrexpédition. Boniface, abandonné par les habitants d’Anagni, montra un héroïque courage devant les injures de Sciarra Colonna et de ses autres ennemis italiens, leur offrant « son cou et sa tête ». Il ne semble pas qu’il ait reçu un soufflet de Sciarra. Après l’avoir laissé insulter, Nogaret intervint et arrêta les excès de ses auxiliaires. Froidement, il notifia alors à Boniface les prétendus griefs présentés contre lui par la Cour de France, et le somma de convoquer un concile qui statuerait sur sa culpabilité. Le Pape s’y refusa. Il fut gardé à vue, sans être.