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AGNOSTICISME

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style kantien, c’est autre chose : « notre connaissance j est bornée aux phénomènes » signilie que le seul être qu’atteig^ne notre intcllig : ence est l'être que nous présentent nos sens : « cet être est le phénomène ». C’est, remarque M' Cosh, un terthuii quid qui s’interpose oflicieusement entre l’esprit qui connaît, et ce que l’esprit connaît de la réalité ; M' Cosn, The method of’the dU’ine government, 4° éd., Edinburgh, 1855, p. 536. Que nous ne connaissions immédiatement que nos états subjectifs, c’est le premier postulat de toutes les variétés du relativisme du xix' siècle ; cette hypothèse est d’ailleurs ancienne (voir S. Thomas, 'à de anima, lect. 8 sub linem ; 2 contr. gent., 7-5, ad 3 ; Suntma. I, q. '56, art. 2, ad 4 ; q. 85, art. 2, elc.Cf. Kleutgex, /^AjVosophie scolastiqiie, n. 158 sqq.). Mais le progrès des sciences n’en dépend nullement, parce que Dieu a ainsi rangé les choses, que nos actes directs et les résultats naturels de notre activité intellectuelle sont en grande partie indépendants des théories que nous nous en faisons dans nos heures de loisir. La remarque est de S. Thomas, qui observe que les arts et les sciences ne s’occupent pas des « espèces représentatives », mais seulement les psychologues et les métapliysiciens. Inutile à la Science qui est née avant elle et s’est développée sans elle, la doctrine kantienne ruine la métaphysique et la théologie objectives ; l’agnosticisme pur lui doit ses meilleiu’es recrues, mais non pas toutes. Car on aboutit à la même attitude par l’empirisme de Hume ou même par une estime exagérée et exclusive de la méthode scientifique moderne. Tout relativisme mis de côté, si l’on réduit le savoir humain aux faits scientifiques, aux phénomènes de l’ordre physique et chimique, aux sciences dites exactes, on est bien près d'être positiviste. C’est donc très à propos C[u’en décrivant l’agnosticisme pur, rEncj’clique/'asce/ic ? « s’est servie de termes tels qu’ils comprennent aussi bien l’agnosticisme dont le relativisme est le fondement, que celui dont le simple nominalisme ou le positivisme sont le prétexte.

h) Rcijclle à toutes les subtilités des philosophies modernes, le grand public est sensible à cette objection courante : le silence de la science est un appoint considérable en faveur de l’agnosticisme. J’emprunte la réponse à cette dilTiculté populaire à un professeur de Cambrige, Gwatkix, The Knowledge of God (Gifford lectures), Edinburgh, 1906, t. I, p. 11. Chaque science, à bon droit, ijrend pour objet certains faits ou certains aspects des faits et néglige le reste ; et bien que souvent une science prenne pour objet les facteurs négligés par une autre science, nous n’avons aucune assurance que la Science — j’entends par là l’ensemble des sciences particulières — envisage sous tous leiu-s aspects tous les facteurs. Par conséquent, la méthode scientifique, qui ne considère jamais les choses que d’une manière fragmentaire, ne peut pas décemment prétendre à aboutir à une description ou à une explication complète des faits. Si le physicien ne trouve point de Dieu, la raison peut en être, non pas que Dieu n’existe pas, mais bien, que cette découverte n’est pas plus rol)jet propre du travail du physicien qu’elle n’est celui des efforts nmsculaii’es du débardeiu'. En fait, la question de savoir si la science peut avoir quekfue chose à dire sur « l’hypothèse Dieu » est une question de définition de mots. Le dix-huitième siècle a nettenu’ut distingué les problèmes de causes et d’origines de l'élude des phénomènes et de leurs lois, assignant ces problèmes à la philosophie et à la religion, réservant cette étude à la science. Si donc on limite la science — connue on le fait habituellement de nos joiu’s — aux phénomènes etàleurs lois, il est évident que la science ne peut rien avoir à dire sur les questions de causes et d’origines ;

si l’on étendait la science à ces questions, il faudrait avoir recours à d’autres méthodes, puisqu’il faudrait tenir compte de beaucoup de points de vue, négligés de parti pris quand on n’assigne pour objet aux recherches scientifiques que les phénomènes et leurs lois. Le risque de la confusion ne commence que si | l’on fait l’hjpothèse, ou bien qu’il n’y a ni causes ni ' origines, ou Ijien que causes et origines sont pour nous inconnaissables. En ce cas, il est clair qu’il «  n’existe rien pour nous en dehors de la série des phénomènes. Mais cette hypothèse n’a rien de scieii- tifîque ; c’est une théorie philosophique. Si en effet la science n’a pour objet que la série des faits, elle se renie elle-même et perd de vue son objet, du moment qu’elle affirme une doctrine quelconque sur les causes et siu" les origines, ne serait-ce que leur incognoscibilité. Cette réponse n’est pas seulement une défaite ad honiinem, nous la retrouverons bientôt sous la plume de S. Thomas.

VII. — Agnosticisme dogmatique. — L’agnosticisme dogmatique, tout en croyant à l’existence de Dieu — en quoi il diffère de l’agnosticisme pur, agnosticism of unbelief, — nie que nous puissions porter aucun jugement sur sa nature, agnosticism of belief. Ce dernier est de deux espèces : ou bien il accepte la révélation (Hamilton, Mansel), ou bien il la rejette (Kant, Spencer). Dans le premier cas, il accorde aux formules religieuses traditionnelles une valeur pragmatique ou régulative ; ce dernier mot, d’origine kantienne, est familier à Mansel, qui dit :

« Dieu veut que je croie qu’il est le Père tout-puissant, etc., et que je pense ainsi. » On voit, comme

le fait remarquer Hodge, que le système de Mansel ne peut pas s'énoncer sans se contredire ; si, en elTet, vous donnez un sens à il veut, aous affirmez la ^evsonnalité, dont aous déclarez ne rien savoir. Il en Aa de même de l’interprétation pragmatique de M. Le Roy : il admet que la réalité sous-jacente exprimée par les formules religieuses a de quoi légitimer la conduite prescrite. Mais prescrire, c’est faire acte d’intelligence et dcvolonté? M. Le Roy ncvcut cependant concéder aucune représentation théorique sur Dieu. Kant et Spencer rejettent la réAélation, mais avcc une différence : Spencer ne s’occupe guère des formules traditionnelles ; Kant en donne une interprétation purement morale, sans accepter jamais qu’on puisse donner une Aaleur objectivcà nos jugements sur Dieu. Cf. La religion dans les limites, etc. Toutes ces excentricités ne sont pas nouvclles, Le juif Maïmonide, après d autres, les a déjà nettement proposées et S. Thomas l’a réfuté. Comme les agnostiques modernes n’ont presque rien ajouté à Maïmonide, nous allons rattacher la discussion du fond de ces obscures doctrines, à la réfutation qu’en a faite S. Thomas. Le lecteur comprendra par là le sens du rappel aux anciennes doctrines de l’Ecole qui termine l’Encj’clique Pascendi. La netteté de l’argumentation de S. Thomas aidera aussi l’apologiste à résoudre les difficultés que l’on a répandues dans le public. Nous tâcherons d'être clair ; mais on ne peut pas traiter des questions aussi ardues sans quelque aridité, si l’on cherche aA’ant tout à être exact.

a) Le juif Maïmonide est partisan de « l’unité » de Dieu : unité équivalant ici à unicité et à simplicité. Il Aoit que les formules trinitaires n’ont un sens intelligible pour nous et ne peuvent nous être réAélées que si notre pouvoir de connaître Dieu s'étend, non seulement à distinguer Dieu du reste des êtres, mais encore à connaître et à distinguer les attributs essentiels de sa natui-e. Son but est donc d’arriver à une unité telle que la Trinité soit incon-