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BAPTEME DES HERETIQUES

qui maintiennent ferme tnent la différence des deux baptêmes {Ep. Lxxiii, 21 ; Lxxv, 8).

A défaut dune tliéologie déjà formée, le pape Etienne avait le sens de la tradition catholique sur le baptême. Le sacrement de l’initiation chrétienne, à raison même de sa nécessité poui’le salut, devait être plus que tout autre indépendant des contingences humaines. Ainsi l’entendait le pape avec l’Eglise. A cet égard, nos documents lui rendent pleine justice, et Cyprien n a trouvé à lui opposer que de mauvaises raisons. Pour prouver que les Apôtres n’avaient pu sanctionner cette prostitution du baptême, il argumentait ainsi (Ep. lxxiv, a : de même Firmilien, Ep. LXXV, 5) : les Apôtres sont morts avant l’apparition des hérétiques modernes, Apelle, Valentin, Marcion, Cerdon même ; donc ils n’ont pu approuver le baptême conféré par ces hérétiques. Le vice de ce raisonnement saute aux yeux : il ne s’agit pas en eftet de savoir si les Apôtres ont connu tel et tel hérétique, mais s’ils ont posé le principe d’où découle la validité du baptême par lui conféré. Sur ce point de fait, le témoignage de l’Eglise romaine et de bien d’autres était formel ; les arguments des anabaptistes ne 1 ont pas infirmé ; Cyprien lui-même s’avoue vaincu sur le terrain de la tradition, quand il se replie siu’celui de la raison théologique : Non est autem de consuetudine præscribendum, aed ratione vincendiun (Ep. Lxxi, 3 ; cf. Sent, episcop., 28, So, 63, ’^j ; Firmilien, ^"/ ?. LXXV, 19 : AdversusStephanumvosdicere Afripotestis cognila Aeritate errorem vos consuetudinis reliquisse). Le reproche qu’il adressait à Etienne, de préférer une tradition humaine à la règle posée par Dieu, retombe donc sur lui de tout son poids, et l’auteur du De rebaptisniute, qui en appelle à l’autorité de toutes les Eglises (De rebaptismate, i : Venerabili ecclesiarum omnium auctoritate. — Cf. Eusèbe, //. E.,

VII, III : Ila/atsO /£ 7Ct /.îxpc/~r, >’.6T01 éÔS’j ; i~i zôiv TOtoÙTwv /iovr, xpf, ^60Li Tf, oicf. /^l’-p’^ sntôinui’"/f ?)) peut se prévaloir des multiples aveux échappés à ses adversaires.

Mais parmi les griefs que Cyprien opposait à la doctrine romaine, il en est un qui trouve souvent crédit : Etienne aurait montré à l’égard du rite baptismal une extrême insouciance. On croit lire chez Cyprien qu’Etienne faisait bon marché de 1 invocation de la Trinité, qu’il se contentait d’un baptême quelconque au nom du Christ, abandonnant ainsi le rite essentiel du baptême chrétien. Telle est l’opinion mise en avant au xvi= siècle par des protestants ; au XVII* siècle par des théologiens gallicans ; de nos jours, tel auteur catholique interprète dans le même sens le De rebaptismate. (Ainsi Schwane, Bogmengeschichte, I", 534 ; Fechtrup, Ber heilige Cyprian, p. 221 et seq.) Les raisons nous semblent peu convaincantes, et M. Eknst, après bien d’autres, y a largement répondu {Zeitschrift ꝟ. kath. Théologie, 1896, p. 199 et seq. ; Papst Stephan I and der Ketzertaufstreit, p. 93 et seq.) Il montre par des textes fort clairs que le baptême au nom du Christ n’était sous la plume de Cyprien et de Firmilien, comme sous la plume de leurs adversaires, qu une formule abrégée pour désigner le baptême chrétien, le seul qui fût en cause, c’est-à-dire le baptême conféré au nom de la Trinité.

Yoici qnelques-uns des textes que l’on allègue pour prouver que 1 invocation de la Trinité n’était pas considérée, à Rome, comme rigoureusement nécessaire. Cyprien, Ep. LXXIV, 5 : Aut si efl’ectum baptismi maieslati nominis tribuuut, ut qui in nomine Jesu ubicumque et quomodocumque baptizantur innovati et sanclificati iudicentur… Firmilien, Ep. lxxv, 9 : Dicunt eum qui quomodocumque foris baptizatur, mente et fide sua baptismi gratiam consequi posse. De rebaptismate, 6, tin : Multum inlerest utrum in totum quis non sit baptizatus in nomine Domini Nostri

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lesu Christi. — Mais aucun de ces textes n’exclut, dans la pensée de l’auteur, l’invocation de la Tr, ’nitt’. Voir Cyprien Ep. i.xix, 7 (au sujet des Novatiens) ; lxxiii, 5, 18 (au sujet des Marcionites) ; Firmilien, Ep. lxxv, 11 (au sujet du baptême de certaine proi)héte^se) : Nisi si et dæmonem in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti gratiam baptismi dédisse contendunt, qui hæreticorum baptismata adserunt ; De retapt., 7, début.

Il s’est trouvé sans doute des hérétiques poiu* altérer la formule essentielle du baptême : ceux-là étaient hors de cause, et l’on ne saurait prouver qu’Etienne se soit constitué leur défenseur. Toute la controverse portait sur le baptême conféré, selon le rite chrétien, au nom de la Trinité ; Cyprien requérait, pour sa validité, l’orthodoxie du ministre, le pape repoussait cette nécessité : tel était le point précis du débat, et c’est là-dessus qu’éclata la tempête.

Le principe rappelé par Etienne restait d’un maniement délicat, et il fallut des siècles pour en régler l’application. De son vivant même, ses conseillers ordinaires, les prêtres Denys et Philémon, paraissent avoir été impressionnés par les représentations de l’évêque d Alexandrie (voir Denys, ap. Eusèbe, //. E., Vil, v). Le même infatigable négociateur renouvela ses instances près du successeur d Etienne (Denys, ibid.), le pape Sixte, qui cessa d’urger lexécution du rescrit baptismal. Sous ce pontificat, les relations se renouèrent spontanément entre Rome et les Eglises d’Afrique et d’Asie (voir la lettre où Cyprien annonce à son peuple le martyre de Sixte, Ep. lxxx, i ; Pontius, Vita Cypriani, 14)- Après le martyre de Sixte et de Cyprien (2 août et 14 septembre 258), les préoccupations des pasteurs et des fidèles ayant pris un autre cours, le souvenir des anciennes dissensions se trouvait bien affaibli. Si 1 on en croit saint Jérôme (Adv. LuciferiaTios, 23, P. L., XXIII, 178), les évêques africains seraient dès lors revenus, par un décret conciliaire, sur leurs précédentes décisions. Cette assertion, que nul indice ne corrobore, n a peut-être que la valeur d’une conjecture ; quoi qu’il en soit, la doctrine romaine gagnait du terrain. Elle fut aflirmée solennellement en 314 au concile d’Arles’, où l’épiscopat d’Afrique était fortement représenté. Dès lors on songeait à se prémunir contre les interprétations abusives, et le concile prescrivait d’interroger les hérétiques convertis, pour s’assurer ([u iJs avaient bien reçu le baptême au nom de la Trinité. Le concile de Nicée renouvela cette recommandation, et tandis qu’il admettait les clercs novatiens dans les rangs de la hiérarchie catholique après réconciliation par la simple imposition des mains 2, ordonna de rebaptiser les Paulianistes, qui avaient faussé, sinon la formule du baptême, du moins la foi dans la Trinité. {Concilium Nicænum, can. 19 ; Mansi, t. II, p. 696 ; Denzinger, 56 (19). — Cf. saint Athanase, Or. II c. Arianos, 43, P. G., XXVI, 237 ; saint Augustin, Hær., 44, P- L., X.A, 34.) La thèse de Cyprien venait d’être reprise en Afrique par le schisme donatiste : contre ces sectaires, qui exploitaient la mémoire de l’illustre martyr, saint Augustin produisit des arguments décifs {De baptismo contra Donatistas libri VII ; Contra Cresconium. Voir P. L., XLIII). La querelle anabaptiste eut un épilogue plus complexe en Orient. Saint Athanase (Or. II, 43), rejette le baptême des Manichéens, des Cataphryges et des Samosatéens comme vicié par une intention hérétique, malgré la correction de la formule ; saint Cyrille de Jérusalem (Præfatio in Catéchèses) rejette en bloc tous les baptêmes

1. Concilium Arelatense I, can. 8 ; Denzinger, 53 (16), Mansi, t. II, p. 472.

2. Concilium jXicænum, can. 8 ; Mansi, t. 11, p. 672 ; Denzinger, 55 (19).