Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/207

Cette page n’a pas encore été corrigée

397

BAPTEME DES HÉRÉTIQUES

398

si leur nom lui causait quelque gêne, doivent sans cloute être cherchés hors d’Afrique, et d’abord à Rome. Puis cette allusion à Pierre (Ib., 3), s’inclinant devant les raisons victorieuses de Paul au sujet des ritesjudaïques, n’est-elle pas un moyen discret d’insinuer que le successeur de Pierre iieut avoir quelque chose à apprendre de ses collègues dans l'épiscopat ? Enfin d’où vient que Cj-prien décline cet argument d’autorité, qui, dans un débat de telle nature, se présentait comme la voie la plus prompte d’arriver à une solution universellement acceptée ? Rome n'était-elle plus lEglise maîtresse, à qui Carthage recourait en toute conjoncture déHcate ?(Tertullien. De praescriplio/ie^ 36 : Habes Romam, unde nobis quoque auctoritas praesto est.) Dans l’affaire des lapsi, obligé de tenir tête à un clergé divisé, Cyprien s'était empressé de chercher un appui à Rome. Si, dans le cas présent, il évite de le faire, c’est assurément qu’il sait à quoi s’en tenir sur la pensée de Rome ; s’il avait pu l’ignorer jusque là, Quintus venait de l’en instruire. Les considérations par lesquelles on s’efforce d'éhuler cette conclusion prouvent tout au plus qu'à la date de sa lettre à Quintus, Cyprien n’avait encore reçu de Rome aucune communication directe et officielle sur la question baptismale ; elles ne sauraient prouver que les évéques de Maurétanie n’en eussent pas reçu et que l'écho n’en fût pas parvenu aux évéques de Numidie et d’Afrique proconsulaire.

Il importait de faire cette constatation, pour saisir foute la portée de la lettre suivante, adressée directement au pape par les évéques réunis à Carthageau printemps de l’année 266. Une première fois, à l’automne précédent, on avait délibéré sur le baptême des hérétiques, et trente et un évéques de la Proconsulaire en avaient écrit à dix-huit évéques de Xuniidie. Aujourd’hui ce ne sont plus seulement les quarante-neuf évècpies signataires ou destinataires de la lettre lxx'. mais bien soixante et onze évéques de l’une et de l’aulre province, qui renouvellent plus solennellement la déclaration du dernier synode, ef jugent à propos de la notifier au pape : il est clair qu’un fait nouveau s'était pi*oduit.qui motivait cette notiûcation. Car ou n’avait pas contume d’entretenir le pape de toutes les affaires d’intérêt local qu’on avait pu traiter en synode : cette fois, la lettre spécifie (^p. Lxxii, 1) que d’autres questions encore viennent d'être agitées, cependant la question baptismale est la seule dont on écrive à Rome. On avait donc, pour le faire, une raison spéciale ; cette raison, où la chercher, sinon daus les nouvelles venues de Maurétanie, où des Eglises attachées à la tradition primitive avaient interrogé Rome et obtenu son approbation ? Nier cette approbation et dire que, si elle s'était produite sous une forme otUcielle, Cyprien n’avait plus qu'à s’incliner devant un acte du Saint-Siège, ef (ju’il se serait incliné cerfainenient ainsi (jue fout l’c'itiscopal africain, c’est oublier l’indépendance d’esprit dont Cyprien devait faire preuve au cours de cette controverse, in(l('pendance d’esprit rjui, loin de céder à la première summation, devait s’allirmer avec plus d'éclat après le rescrit pontifical, et finalement jeter tout l'épiscopat africain dans une inq)asse.

La lettre lxxii a manifestement pour but de revendi<iuer, contre certaines négations, la légitimité, disons mieux, la nécessité d’un usage dont on entend bien ne se point départir. Elle commence par poser {Ep. LXXII, i) le principe classique de l'école an.ibaptiste. L’ne Eglise, un baptême dans cette Eglise ; hors de là, point de sanctification plénière, point d’enfants de Dieu. On voit dans les Actes des Apôtres que, le Saint-Esi)rit étant descendu sur la maison du centurion Corneille et avant allumé dans les

âmes des gentils qui étaient présents la ferveur de la foi, l’apôtre saint Pierre exigea néanmoins que tous fussent baptisés, pour devenir chrétiens : telle est la nécessité de ce sacrement, que nulle investitiu-e de l’Esprit ne peut suppléer. Or, on ne saurait le trouver chez les hérétiques, chez les ennemis du Christ. Incidemment, le concile traite une question connexe à la précédente (2), celle de la réconciliation de clercs passés au schisme ou à l’hérésie, et de ceux qui ont exercé dans les sectes les fonctions cléricales : le même respect de l’Eglise, qui défend d’y recevoir des hérétiques, défend d’appeler des indignes à l’honneur du sacerdoce ; si de tels pénitents demandent à être réconciliés, on se gardera bien de leur rendre les prérogatives des clercs, il suffira de les admettre à la communion laïque. Les dernières lignes renferment, avec des paroles de paix et de charité, une leçon à peine déguisée à l’adresse du pape (3). Le synode espère qu’Etienne, dans sa religion et la vérité de sa foi, approuvera le langage de la religion et de la vérité. Il n’ignore pas que certains esprits ne veulent pas se défaire de leurs idées préconçues, qu’ils ne sauraient, sans une peine extrême, revenir sur une résolution, et, sans porter atteinte au lien de la paix et de la concorde entre collègues, demeurent inébranlablement attachés à leurs usages propres. Le synode ne veut faire violence ni donner de lois à personne, car dans l’administration de l’Eglise chaque évêque demeure maître de ses résolutions, sauf le compte qu’il doit à Dieu.

Il était difficile de marquer plus expressément que l’on entendait bien n'être pas inquiété dans la possession d’un usage légitime, et que, si l’on ne voulait pas répondre à une ingérence indiscrète par une semblable ingérence, on n’en avait pas moins ses idées faites sur le fond des choses. La notification dut paraître hautaine. C'était la troisième fois, en moins de deux ans, que le pape trouvait en face de lui le primat d’Afrique, fort de son zèle et de la droiture de ses intentions, mais beaucoup plus disposé à lui donner des leçons qu'à en recevoir : attitude imprévue, qui menaçait d’intervertir les rapports traditionnels entre Rome et Carthage. Cyprien était le premier personnage de l’Afrique romaine ; il devait à une culture supérieure et à la dignité reconnue de son caractère un ascendant exceptionnel sur l'épiscopat d’outre-mer : n’allait-il en user que poiu- détendre les liens qui rattachaient cet épiscopat à l’obédience romaine ? Le rôle glorieux joué dans la question des lapsi par les conciles de Carthage, sous la présidence de Cyprien, était pour aggraver ces craintes. Rome avait accepté de Carthage un mot d’ordre lors delà crise novafienne ; l’accepterait-elle toujours ? Les Xovatiens étaient, eux aussi, des anabaptistes décidés ; si, une fois de plus, on baissait pavillon devant les exigences de l’Afrique, et cela en présence du schisme, qui observait la même attitude dans la question baptismale, le centre de gravité de l’Eglise latine ne serait plus à Rome, mais à Carthage. Les considérations de prudence s’ajoutaient donc aux raisons doctrinales pour engager le pape à ne pas transiger, mais à repousser les accommodements qui, sur le terrain de la discipline, eussent été possibles en d’autres circonstances. Il faut envisager cette situation d’ensemble pour comprendre la réponse qui fut faite de Rome à la lettre synodale, et les autres événements que nous allons voir se dérouler.

L'été 206 se passa probablement dans l’attente du rescrit pontifical. Cependant les attaques et les ripostes se croisaient. A c « 4tte époque appartient probablement, comme nous l’avons dit, le traité anonyme De rehaptisinate, qui défend la doctrine romaine, mais Itai des arguments que Rome n’eût pas tous avoués.