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BABYLONE ET LA BIBLE

Pendant cette campagne, d’après II Reg. xviii, 14, 17 ; Is. xxxvi, 2, Sennachérib a campé un certain temps à Lachis. Si l’on s’en tenait au prisme de Taylor où Lachis n’est pas nommée, on chicanerait peut-être sur cette donnée biblique. Heureusement nous avons un magnifique bas-relief qui représente Sennachérib assis sur un trône près de Lachis, au milieu des vignes et des figuiers, sur une colline. Debout devant le roi, les officiers rendent compte du siège et de la prise de la ville. Derrière les officiers, les prisonniers s’avancent, les mains jointes, et se prosternent à genoux. Juste au-dessus de la tête des officiers, une inscription porte : « Sennachérib, roi du monde, roi d’Assour, est assis sur son trône et passe en revue le butin de Lachis. »

Le récit de Sennachérib nous apprend un détail typique omis dans la Bible : l’extradition de Padî, roi d’Accaron ; Ezéchias, à qui les Philistins l’avaient envoyé et qui le tenait enfermé dans Jérusalem, est obligé de le livrer à Sennachérib. Les omissions de ce genre montrent que l’historien inspiré ne veut pas composer ex professo l’histoire complète d’Israël : il choisit, selon son but, les événements principaux.

« Alors Sennachérib, roi d’Assyrie, leva le camp et s’en retourna ; et il resta à Ninive. Et pendant qu’il priait dans le temple de Nesrok (?) son dieu, Adrammélek et Šaréṣer, ses fils, le frappèrent avec l’épée ; et ils s’enfuirent au pays d’Ararat. Et son fils, Asarhaddon, lui succéda » (Is. xxxvii, 37-38 ; = II Reg. xix, 36-87). H. Winckler objecte : dans la Chronique babylonienne « il n’est question que d’un seul fils, contre la teneur actuelle du texte biblique qui en nomme deux, Šaréṣer et Adrammélek » (KAT3, p. 84). — Mais le document babylonien a fort bien pu mentionner seulement le chef principal de la conjuration. Scheil remarque justement : « Le nom du principal meurtrier se retrouve seul dans Abydenus sous la forme de Adramelus » ; le savant assyriologue a découvert dans un texte cunéiforme inédit le même nom sous une forme un peu différente (ZA, XI, p. 425-428 ; RB, 1897, p. 207).

Winckler donne pour « tout à fait sûr « que Sennachérib a été assassiné à Babylone (KAT3, p. 85). A. Jeremias suit fidèlement cette manière de voir, et en conclut qu’il y a une lacune, dans le texte biblique, entre les deux versets (ATAO2, p. 53 1). Fr. Martin préfère également l’opinion de Winckler (Bulletin critique, 5 juin 1905, p. 306). Winckler s’appuie sur un texte obscur des Annales d’Assourbanipal (col. IV, l. 70-78), que la plupart des assyriologues expliquent dans un sens tout différent (Jensen, KB, II, p. 193 ; Tiele, Bab.-assyr. Gesch., p. 382 ; Meissner, ZA, X, 80, 81 ; C.H. W. Johns, Encyclopaedia biblica, 1331 ; Muss-Arnolt, Dict. aux mois kispu et sapanu). Lors même que l’on traduirait ce texte comme Winckler, il ne s’ensuivrait nullement que Sennachérib a été tué à Babylone (C. F. Lehmann, ZA, XIV, 1899, p. 76). Aussi, avec C. F. Lehmann, Maspero (Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, t. III, p. 346), Rogers (Hist. of Bab. a. Assyr., t. II, p. 214-217), G. S. Goodspeed (Hist. of the Bab. a. Assyr., p. 286), etc., j’admets plutôt que Sennachérib a été tué à Ninive ; et cela, non seulement à cause du texte biblique, qui pourrait à la rigueur s’interpréter autrement, mais à cause de la Chronique babylonienne, col. III, 1. 84-87 : « 31 Le 20

George Smith, W. Roberison Smith, Delitzsch, Schrader, Tiele, Duncker, Sayce, Mac Curdy, Maspero, Kent, Goodspeed, Œttli, ne l’ont pas acceptée. L’explication de Winckler est expressément rejetée par Meinhold, Skinner, Marti, Rogers, Kittel, H. Preserved Smith, Paton, Nagel, St. Langdon, Jensen, Wilke, Flinders, Petrie, Breme.

du mois de Ṭebet Sennachérib, roi d’Assyrie, 35 fut tué par son fils dans une insurrection (si-ḫi). [?] ans Sennachérib 36 régna en Assyrie. Depuis le 20 Ṭebet jusqu’au 372 Adar l’insurrection (si-ḫi) en Assyrie triompha (ou fut organisée) » (KB, II, 280-282). Il est extrêmement probable, pour ne pas dire sûr, que « l’insurrection » qui commence le 20 Ṭebet « en Assyrie » (I. 86-87) est la même que l’insurrection » mentionnée deux lignes plus haut, où Sennachérib fut tué, le 20 Ṭebet. Donc le meurtre eut lieu en Assyrie et, selon toute probabilité, à Ninive.

A propos du roi impie Manassé, emmené captif à Babylone par les Assyriens, puis ramené dans son royaume (II Par. xxxiii, 11 —18), il est excessif de dire : « Les inscriptions d’Assurbanipal confirment, autant qu’il est souhaitable, le récit des Paralipomènes » (DBV, iv, col. 642). Les inscriptions ne tranchent pas la question de savoir si les Paralipomènes rapportent là un fait strictement historique. Comme le remarque avec raison Driver (dans Authority and Archaeology, ouvrage publié sous la direction de M. Hogarth, 1899, p. 114-116), elles nous apprennent : 1° que Manassé paya un tribut aux rois Asarhaddon et Assourbanipal ; 2° que Šamaššoumoukîn entraîna dans sa révolte contre Assourbanipal les rois de l’Ouest parmi lesquels Manassé se trouvait probablement. Nous ne savons pas si Assourbanipal les châtia. D’autre part, les inscriptions d’Assourbanipal offrent un exemple de clémence tout à fait parallèle à celui dont parlent les Paralipomènes. Néchao, roi de Memphis et de Saïs, vaincu et conduit à Ninive, les fers aux mains et aux pieds, fut renvoyé en Egypte, revêtu des insignes de la royauté, et rétabli sur son trône. Pareille chose put arriver au roi de Juda ; cela paraît maintenant très vraisemblable, à ne considérer que le caractère d’Assourbanipal ; mais les monuments n’en disent rien. Et il reste la difficulté signalée par les critiques, à savoir le fait étrange que la captivité et le repentir de Manassé soient complètement passés sous silence par le Livre des Rois (IV Reg. xxi, 1-18 ; xxiii, 26 ; XXIV, 3, 4), qui énumère les crimes de ce roi et leur attribue le châtiment du peuple, l’exil de Babylone ; et par Jérémie, qui parle dans le même sens (xv, 4). Peut-être sommes-nous en présence d’un fait historique, grossi un peu par la tradition populaire en ce qui concerne le repentir du roi. En tous cas, dire qu’il n’y a point de passage biblique « que l’assjriologie venge et justifie d’une manière plus éclatante, quoique indirecte » (BDM6, t. IV, p. 89), ou simplement parler de « justification éclatante » (Pelt, Hist. de l’A. T.4 p. 262), c’est, semble-t-il, exagérer la note apologétique.

Une des principales difficultés du livre de Judith, est le nom de Nabuchodonosor qui se présente vingt fois, « toujours avec la qualification de roi des Assyriens. Dans ces conditions, en bonne critique, il faudrait faire remonter la leçon à l’auteur lui-même, car on ne s’explique pas comment les copistes auraient opéré partout une substitution si singulière. D’un autre côté, on ne comprend pas davantage comment un écrivain, qui paraît versé dans l’histoire et la géographie assyrienne, a pu dater son récit d’un Nabuchodonosor, roi de Ninive et vainqueur des Mèdes » (Ferd. Prat, dans DBV, t. III, col. 1829). Aucune solution « de tous points satisfaisante ».

Sur le Nabuchodonosor du livre de Daniel, et, dans le même livre, sur Darius le Mède, Astjage, etc., voir dans Dict. Théol., Bigot, art. Daniel. Ezéchiel (xxix, 18-20) annonce que l’Egypte sera livrée à Nabuchodonosor en récompense des services qu’il a rendus contre Tyr. Or sur un petit fragment d’inscription cunéiforme on lit que, la 37e année de son règne.