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BABYLONE ET LA BIBLE

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travail. Pour celles de Muqayyar (= Our, patrie d’Abraham) il suffirait d’un million de francs ou guère plus, et de vingt-cinq ans de fouilles. Voir surtout H. V. Hilprecht, Explorations in Bible Lands during the 19th century, 1903 ; R. W. Rogers, A History of Babylonia and Assyria, 1901, t. Ier ; F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e et dernière édit., 1896, t. Ier

Les découvertes et la critique biblique. — Ce n’est pas sans un dessein providentiel que ces merveilleuses découvertes ont été faites coup sur coup à l’époque actuelle, « Les monuments, remarque M. Mc Curdy, ont revu le jour dans le temps où les connaissances scientifiques nous ont préparés à les comprendre, et où l’esprit historique nous permet de les apprécier. Dans un autre âge ils auraient été perdus, détruits ou endommagés. » (Dans Recent Research in Bible Lands. 1897, p. 27.) Au xixe siècle, grâce à la facilité des moyens de transport, grâce aussi à la photographie, les monuments sont mis sous nos yeux ; grâce aux progrès de la linguistique, ils ont été rapidement interprétés. Aujourd’hui, plus que jamais, il est intéressant d’en comparer les données à celles des traditions bibliques, et de reviser, à la lumière des faits, certains jugements trop hâtifs ou trop subjectifs de la critique indépendante, si active depuis un siècle.

Les exégètes rationalistes ont témoigné en général peu d’empressement, et parfois quelque mauvaise grâce, à accepter les résultats des travaux assyriologiques. En 1869 Renan les attaquait dans le Journal des savants. En Allemagne surtout on s’obstine longtemps à ne pas les admettre. Knobel, commentateur d’Isaïe, ignore encore en 1861 le nom et l’existence de Sargon, dont les inscriptions sont publiées et traduites en partie depuis douze ans. Les ouvrages de Eb. Schrader mettent fin à ce scepticisme à partir de 1870. Kuenen a dû çà et là changer ses conclusions, comme on peut le voir dans son Histoire critique des Livres de l’Ancien Testament, traduite par M. A. Pierson. Nous lisons dans l’avertissement, en tête du second volume (1879) : « Les textes cunéiformes, importants à cause des points de contact nombreux que présente l’histoire d’Assyrie avec celle des Hébreux, ont aussi fourni des révélations inattendues, qui ôtent leur portée à certains arguments de M. Kuenen. Lui-même a été amené, tant la science marche rapidement, à transformer sur quelques points son ancienne manière de voir… » Pour continuer à soutenir (toujours sans succès) ses théories extravagantes sur l’inauthenticité et la pseudépigraphie des écrits prophétiques, M. Maurice Vernes ignore, ou feint d’ignorer et méprise de parti pris, les nombreux et éclatants témoignages des documents cunéiformes. En 1901, Wellhausen parait ne rien savoir des lettres d’El-Amarna découvertes alors depuis treize ans et objet d’innombrables études ; il écrit dans son Histoire Israélite et juive : « Jusqu’alors (vers 760) il y avait en Palestine et en Syrie un certain nombre de petits peuples et de royaumes qui s’attaquaient et s’accordaient entre eux, ne voyaient rien au delà de leur plus proche voisin, et, sans se soucier de ce qui se passait au dehors, tournaient chacun sur son axe propre » (cité par A. Jeremias, ATAO2, p. 262, note).

Les textes historiques, découverts, traduits et publiés les premiers, ont été confrontés aussitôt avec les relations des auteurs profanes et sacrés. Tandis que l’œuvre des historiens grecs, Hérodote, Ctésias et autres, a plutôt souffert de ce contrôle, la Bible y a gagné, de l’aveu unanime des savants. Mc Curdy remarque (1897), après le passage cité ci-dessus, que le temps est passé où l’on cherchait dans les monuments de quoi « confirmer » le récit biblique ; ils servent plutôt maintenant à « l’éclairer ».

Panbabylonisme. — Au fur et à mesure des découvertes, le champ des comparaisons s’est étendu : question des origines, question des idées religieuses, du monothéisme, des pratiques du culte, etc., tout a été discuté. Quelques assyriologues, éblouis par l’opulence de cette antique civilisation orientale, ont fait de Babylone la seule ou la principale institutrice de l’humanité. Suivant ces « panbabylonistes », comme on les a nommés, qui sont à peu près tous, en même temps, rationalistes ou fort peu soucieux de la Révélation, l’influence de Babylone, en particulier sur Israël, a été considérable, et l’on en trouve des traces nombreuses d’un bout à l’autre de l’Ancien Testament et même du Nouveau !

Dans une conférence donnée le 13 janvier 1902 à Berlin, et publiée ensuite sous le titre de Babel und Bibel, Babylone et la Bible, Fried. Delitzsch, pour fournir un nouveau stimulant aux contributions pécuniaires en faveur des fouilles pratiquées par les Allemands, exaltait la grandeur de Babylone dans des exagérations et des comparaisons où la Bible était fort maltraitée. Les affirmations brutales et partiales de l’éminent assyriologue, fourvoyé dans des questions théologiques, suscitèrent une controverse de plusieurs années. Une multitude de brochures, force articles de revues et de journaux furent publiés en Allemagne depuis 1902. L’empereur lui-même se jeta dans la mêlée, et, dans une lettre écrite le 15 février 1908 à l’amiral Hollmann, il exposa ses sentiments sur la révélation, et il déclara que Delitzsch avait eu tort de quitter le terrain de l’assyriologie pour faire une incursion des plus malheureuses sur celui de la théologie. Le professeur Harnack intervint pour apprécier la lettre de l’empereur. Puis, une foule d’exégètes et de critiques donnèrent leur avis : Ed. König, Œttli, Kittel, Budde, Döller, Baentsch, Gunkel, etc., et plusieurs assyriologues : Hommel, Zimmern, C. F. Lehmann, Alf. Jeremias, Winckler, Bezold, Jensen, O. Weber et encore Delitzsch qui répliqua, s’expliqua et continua, dans le même sujet, une exploitation aussi facile que lucrative.

La tendance à subodorer partout des mythes babyloniens est sensible dans la pseudo-réédition par Winckler et Zimmern (1902, 3e édit.) de l’excellent ouvrage de Eb. Schrader, Les inscriptions cunéiformes et l’Ancien Testament (2° édit., 1883). M. Zimmern retrouve en substance dans les textes cunéiformes les dogmes principaux du christianisme : « Naissance du Christ ; le Christ, Rédempteur du monde ; la plénitude des temps, le Christ envoyé par son Père ; la Passion du Christ ; le Serviteur de lahvé ; mort du Christ ; descente aux enfers ; résurrection ; ascension », etc. La préface et les notes nous avertissent que tout cela est douteux (souvent même, en réalité, c’est extravagant) ; mais le texte, en pleine page, le présente comme très plausible.

Dans la première partie du même ouvrage (p. 13, 158, 176-179, etc.), Winckler met en œuvre sa théorie qui fait de la mythologie astrale des anciens Chaldéens la clef de toute science, religion et civilisation. Au dernier Congrès des religions, à Oxford, Morris Jastrow jr a donné un bref et exact résumé de ce système : « A la base de la littérature et des cultes en Babylonie et en Assyrie, sous les légendes et les mythes, derrière le panthéon et les croyances religieuses, et même au fond des écrits qui semblent être purement historiques, il y a [suivant Winckler] une conception astrale de l’univers et de ses phénomènes », qui pénètre partout et domine la pensée