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AUMONE

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différentes institutions de bienfaisance fondées par l’initiative privée, par l’Eglise ou par l’Etat, elle répartira les ressources de manière à éviter le gaspillage et le double emploi, enfin elle compensera la pénurie de certains établissements avec le superflu des autres, de manière à donner à la charité son maximum d’effet.

Or"-anisée, l’aumône doit être universelle. D’après la conception moderne, tout malheureux a droit d’être secouru, parce qu’il est homme, et non seulement parce qu’il appartient à tel parti, à telle confession religieuse, ou parce qu’il est le citoyen d’une commune ou d’un Etat déterminés. Telle est aussi la doctrine catholique, d’après laquelle le précepte de l’aumône, comme celui de la charité, n’exclut personne, ni les ennemis, ni les pécheurs, ni les infldèles (Rom., xii, 20 ; Luc, vi, 30 ; Matt., a-. 40). On voit donc combien est injuste le reproche d’exclusivisme lancé contre la charité catholique.

Ajoutons cependant que l’Eglise, tout en n’excluant personne, a le droit, comme tout autre, d’avoir ses préférences, de suivre un ordre dans ses chcirités.

C’est à la famille qu’il appai-tient d’abord d’aider ses membres dans le besoin ; c’est à la fois un devoir moral et une exigence de l’ordre social. Le bienfaiteur devra donc, avant de secourir un malheureux, s’adresser aux proches parents pour leur rappeler leur devoir de piété filiale et c’est seulement à défaut de ceux-ci qu’il fera appel à la bienfaisance privée ou publique. Il y a des crèches pour secourir les enfants des ouvrières de fabrique, des asiles pour hospitaliser les vieillards incapables de gagner leur vie, mais on peut affirmer sans hésitation que c’est là un mal nécessaire. Dans un ordre social normal, les enfants et les vieux parents doivent être soignés au fojer familial.

Tout en étant individuelle, l’aumône n’en a pas moins un rôle social, parce qu’elle contribue à adoucir les contrastes et les conflits qui existent dans la société par l’inégale distribution des biens de la terre. La bienfaisance doit donc s’efforcer de combattre les causes de la misère, de réparer, de guérir et de préserver. Cette idée féconde a donné naissance à de multiples formes modernes de la charité : l’assistance par le travail, les jardins ouvriers, les « gouttes de lait », les œuvres innombrables de mutualité et d’assurance. Pai’ce que l’aumône doit être pour le malheureux un principe de relèvement, l’aide spirituelle est non moins nécessaire, et, dans un sens très vrai, plus nécessaire que le secours matériel. Aussi bien la charité chrétienne a ce grand avantage sur l’assistance publique, qu’elle agit sur les sentiments du pauvre et du malade, qu’elle anime le courage, fortifie l’espérance, console la tristesse, provoque et dirige l’effort personnel.

V. — Contre l’aumône, des attaques de nature diverse se sont élevées ; plusieurs d’entre elles portent contre la charité inintelligente et défectueuse dont nous avons signalé les abus ; nous ne nous y arrêterons pas.

Les disciples d’Herbert Spencer blâment l’aumône, sous prétexte (juellc détruit la misère, résultat nécessaire de la lutte pour l’existence. « La pauvreté des incapables, écrit II. Spencer, la détresse des imprudents, le dénuement des paresseux, cet écrasenu-nt des faibles contre les forts qii laisse un si grand nombre dans les bas-fonds de la misère, sont les décrets d’une l » ienveillance immense et prévoyante. » Cette hideuse conception lualérialiste de la société ne repose sur aucun l’ondemenl sérieux ; mais la lutte pour l’existence parmi les iiomuies reste subordonnée aux lois de la morale et de la justice, et conditionnée par le libre arbitredcscréatures raisonnables.

D’après certains économistes de l’école libérale

— MM. DE MoLiNARi et Yves Guyot — : « Le défaut le plus grave de la charité soit publique, soit privée, c’est d’affaiblir le ressort de la responsabilité individuelle et d’encourager l’imprévoyance. » Assurément, lorsque l’aumône s’adresse à des pauvres capables de gagner leur vie et qui ne veulent pas travailler, ou encore lorsqu’elle s’exerce sans discernement, d’une manière automatique, ce reproche peut être fondé. Mais il ne s’applique pas à la charité chrétienne qui agit avec prudence et intelligence.

« La charité, dit-on encore, n’est qu’un déplacement d’égoïsme, sans que celui-ci baisse dans l’ensemble. » La charité mondaine, celle qui est fille de l’amour-proiire, recherche le faste et l’ostentation… soit ! Mais, encore une fois, telle n’est pas l’aumône chrétienne. Le chrétien donne par amour du prochain et de Dieu, et cet acte, bien loin d’être de l’égoïsme, n’est que la floraison de l’altruisme, s’il est permis de donner cette appellation moderne à l’antique charité.

Enfin les socialistes de toute nuance déclarent que l’aumône est un outrage à la dignité de l’homme : « Quand bien même la bienfaisance privée pourrait suffire à l’endiguement du paupérisme, nous protesterions encore au nom de la dignité humaine. » L’aumône chrétienne, celle que nous avons décrite plus haut, ne saurait blesser la dignité humaine, parce que précisément elle est un effet de l’amour du prochain. Au point de vue chrétien, le pauvre est l’égal et le frère du riche et sa dignité est relevée d’autant qu’il est l’image vivante du Christ pauvre et souffrant.

Le socialisme — collectivisme ou socialisme d’Etal

— proclame le droit à l’assistance, et il regarde comme une injure pour le pauvre le fait de recevoir à titre de libéralité privée le secours auquel il a un droit strict. Absolu et universel, le droit à rassistance. dans la conception socialiste, répond à la formule classique « à chacun selon ses besoins ». Mais ne voit-on pas que le rôle de l’Etat, unique pourvoyeur des nécessités de chacun, aurait infailliblement pour résultat « d’affaiblir le ressort delà prévoyance individuelle et d’encourager l’imprévoyance » ?

Une théorie diamétralement opposée au programme socialiste confère à la charité privée le monopole de l’assistance. Suivant les principes du libéralisme économique, l’introduction dans notre droit public du droit à l’assistance (conditionnel et limité) et le rôle conféré à l’Etat ou à ses organes administratifs, départements et communes, dans l’application de la loi, constitue en réalité un monstrueux abus de pouvoir.

Certains sociologues ou hommes politiques combattent également le droit de l’assistance au nom de l’Eglise, qui a, selon eux, le droit primordial d’assurer les plus grosses charges de la bienfaisance, cl condamnent au nom du droit chrétien la prétention de l’Etat à « imposer d la charité, soit « directement » soit sous forme de’< taxes « .

Ainsi la grande objection moderne contre l’aumône prend sa source dans le droit à l’assistance et la solidarité sociale. Si en effet lindigent a un droit strict au secours, si à ce droit correspond une dette de la part de la société, il est é^ident que l’aumône n’a plus de raison d’être. Voilà pourcpioi nous devons rechercher avec soin si ce droit existe, quels en sont les fondements et les limites, s’il est universel au point d’exclure l’aumône. Pour réfuter l’objection, il importe de définir exactement la question.

Il ne s’agit pas de méconnaître le rôle magnificpie joué par l’Eglise dans le domaine de l’assistance, dont elle fut même chargée à peu près exclusivement durant tout le moyeu âge.