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AUMONE

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et l’autre : ^’Oiis a’ez ; et cela non pas seulement dans saint Matthieu, mais aussi dans saint Marc au chapitre XIV et dans saint Jean au chapitre xii, qui tous deux racontent le même épisode.

Par son exemple Jésus-Christ a montré en quelle estime il tenait l’aumône et la pauvreté. Le divin Sauveur a apparu sur cette terre pauvre et besogneux (II Cor., vui, 9), il est né dans une crèche étrangère au milieu d’une extrême pauvreté (Luc, 11, 9), pendant sa vie mortelle il a souvent reçu l’aumône (^latt., viu, 20). — Dès sa naissance l’Eglise s’est empressée de suivre l’exemple et les leçons de son divin fondateur. Les apôtres travaillent à égaliser les besoins et les biens (Act., 11, ! tb), instituent les agapes fraternelles (I Cor., XI, 21), ordonnent des collectes parmi les fidèles (I Cor., xvi, i ; Rom., xv, 26 ; II Cor., vui et IX ; Act., xi, 29), contient les pauvres aux soins des diacres (Act., vi, 3).

Les témoignages des Pères de l’Eglise concernant le devoir de l’aumône sont nombreux et décisifs. Parfois même certaines expresssions énergiques semblent dépasser la mesure, et l’on ne saurait les prendre au pied de la lelti-e sans faire tomber ces écrivains ecclésiastiques dans des contradictions manifestes. Parlant moins en juristes qu’en moralistes, ils voulaient par ces expressions à l’emporte-pièce flétrir la conduite indigne des mauvais riches et inculquer fortement la nécessité de l’aumône. Le superflu du riche est le nécessaire du pauvre, aussi posséder le superflu, c’est retenir le bien d’autrui (S. AuG., in Psalm. cxlvii, 12). — Les riches tuent autant de pauvres, lorsqu’ils gardent par devers eux les moyens de soustraire ceux-ci à la mort (Grég. Magn., De past. cura, 111, 22). — Tu ne donnes pas au pauvre ce qui est à toi, mais tu lui rends ce qui lui appartient ; car tu t’es arrogé ce qui a été destiné à l’usage commun de tous. La terre appartient à tous, et pas seulement aux riches (Ambr., De Nahuth. Jesraelita, 1, n. 2). — C’est une grave faute pour toi de laisser ton prochain dans la misère ; tu sais qu’il est privé du nécessaire, qu’il souff"re de la faim, qu’il est dans le besoin, tu sais qu’il a honte d’avouer sa détresse et tu ne le secours pas, c’est une grande faute (Ambr., De Offic, 1, 30). — Lorsque tu possèdes plus qu’il n’est nécessaire pour la nourriture et le A’êtement, donne le superflu au pauvre, et sache bien qu’en cela tu n’es que débiteur (Hiero.v., Epist. ad Iledibiam). — Le pain qui te reste en superflu appartient au pauvre, le vêtement que tu gardes inutile dans ta chambre appartient à ceux qui sont nus, ces cliaussures que tu laisses moisir appartiennent aux malheureux qui sont pieds nus, l’argent qui ne te sert pas appartient aux besogneux, tu fais donc tort aux pauvres que tu pourrais aider (Basil., Serm. in Lucam., xii, 13).

A ces enseignements, l’Eglise est toujours restée fidèle. Elle a réliabilité le pauvre à ses propres yeux et aux yeux même du monde étonné, au point que saint François d’Assise, le grand réformateur du xiii « siècle, ne voulait d’autre épouse que dame Pauvreté, et que, au milieu du rayonnement de gloire du règne de Louis XIV, Bossuet ne craignait pas de parler de l’éminente dignité des pauvres et alïirmait énergiquement que les riches n’entreraient après leur mort dans le royaume de Dieu, que si durant leur vie ils avaient fait la cour aux pauvres.

L’histoire nous fournit les types les plus variés et pour ainsi dire les plus opposés de sainteté. Mais un trait cependant leur est commun, tous les saints ont aimé les pauvres. Les grands chrétiens, même ceux que leurs goîits, leur tempérament, leur vocation propre oaraissent devoir attirer ailleurs, ont toujours eu >our les membres soufl"rants de Jésus-Christ une

tendresse privilégiée qui est comme le parfum do toutes les vertus chrétiennes. Pascal, le mathématicien, le philosoj^he dont le génie semblait comme dégagé d’un corps inûrme, suppliait, quelques semaines avant sa mort, qu’on le portât à l’hôpital ; et comme on refusait sa demande, il obtint cependant qu’on lui donnât la compagnie d’un pauvre malade que les siens acceptèrent de soigner avec les mêmes égards que lui-même.

L’assistance du prochain est donc une des lois fondamentales du christianisme ; mais la droite raison nous en montre aussi le devoir.

La pente de notre nature nous porte à aimer notre prochain, à cause de la communauté de race qui nous unit. Le premier effet de cette prescription natvu’elle, c’est de subvenir aux besoins de l’indigent, lorsque cela est en notre pouvoir (S. Thom., 2. 2", q. 32, a. 5). Par conséquent c’est à tort que l’on reproche aux catholiques de fonder l’obligation de l’aumône exclusivement sur l’unité d’origine de l’espèce humaine, sur le dogme de la création, ou sur la paternité divine. Quoi qu’il en soit de l’origine des choses, tous les hommes, par cela même qu’ils sont hommes, font partie du même tout organique qu’est le genre humain et donc doivent s’entr’aider. C’est un devoir d’humanité.

En outre, la bienfaisance est le correctif nécessaire du droit de propriété individuelle.

Suivant l’ordre naturel, établi par Dieu, tout homme qui naît ici-bas a le droit de vivre des fruits de la terre. Mais pour que cet ordre produise ses effets, il n’est pas nécessaire que la terre reste en commun. Cette communauté, au lieu de la richesse pour tous, amènerait la misère universelle : la production abondante étant impossible sans le stimulant de l’intérêt privé. Ce qu’il faut, c’est que nul ne soit exclu de la jouissance de ce que la terre produit, et ce but est atteint par la bienfaisance, en vertu de laquelle le riche distribue aux pauvres son superflu. Telle est rhai’inonie du plan divin. Si la propriété privait une partie du genre humain de ses moyens de subsistance, ce serait certainement un désordre ; mais il n’en est pas ainsi, puisqu’elle est étroitement unie au devoir de l’aumône qui impose à celui qui est dans l’abondance l’obligation de venir en aide, au moyen de son superflu, à celui qui est dans l’indigence. Tel est sur ce point l’enseignement de saint Thomas. « Ce qui est de droit humain, dit-il, ne saurait déroger à ce qui est de droit naturel ou de droit divin. Or, suivant l’ordre naturel établi par la divine Providence, les choses matérielles inférieures sont destinées à subvenir aux nécessités de l’homme. Et de la sorte, la division des biens et leur appropriation d’après le droit humain ne peuvent faire obstacle à ce que l’on s’en serve pour subvenir aux besoins de l’homme. Aussi le superflu des uns revient de droit naturel^ ex naturali jurel au soutien des pauvres » (S. Thom., 2. 2, q. 66, a. 7). Enfin dans l’Encyclique Rcrum novarum, Lkox XIII expose admirablement cette doctrine catholique.

<i Si l’on demande en quoi il faut faire consister l’usage des biens, l’Eglise répond sans hésitation : Sous ce rapport l’homme ne doit pas tenir les choses extérieures comme prii^ées, mais bien comme communes, de telle sorte qu’il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités. C’est pourquoi V Apôtre a dit : Dii’itibus hujus saeculi praecipe… facile tribuere, communicare fordonne aux riches de ce siècle de donner facilement, de communiquer leurs richesses). Nul assurément n’est tenu de soulager le prochain en prenant sur son nécessaire ou sur celui de sa famille, ni même de rien retrancher de ce que la bienséance ou les convenances imposent à sa

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