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ASCETISME

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Dilatez-moi dans l’amour, afin que j’apprenne à goûter avec toute l’affection de mon cœur combien il est doux d’aimer, de se liquéûer, de nager dans votre amour… Que je vous aime plus que moi, que je ne m’aime que pour vous, que j’aime en vous tous ceux qui vraiment vous aiment, comme le Aeut la loi de l’amour sortie de vous-même… » III, 5).

Tout l’enseignement ascétique de l’Imitation de Jésus-Christ est imprégné de cette charité affective toute brûlante ; c’est elle qui l’illumine et ne lui permet pas d’être « un livre douloureux et découragé, dédaigneux de l’action et froid dans sa muette résignation aux volontés du Père qui est aux cieux » (Gebhart). Il est juste toutefois d’ajouter que, dans la pensée de son auteur destiné d’abord aux moines, il s’occupe surtout du salut individuel et fort peu d’apostolat. Mais l’amour passionné qu’il crée dans l’àme est prêt à toutes les souffrances, comme aussi à tous les élans, quand il s’agit d’obéir à celui qu’il aime. Qui non est paratus omnia pati et ad voluntatem stare dilecti, non est dignus amatov appellari III, 5, 8). Un mot, un signe de Jésus, et le disciple formé par l’Imitation devient apôtre.

Sous une forme qui n’a rien de didactique, et en négligeant un peu les vertus apostoliques, le chefd’œuvre ascétique qui sera la gloire du moj-en âge a donc su combiner harmonieusement les deux tendances de la charité ; il est action par la lutte qu’il prêche contre les passions, il est amour par son fond le plus intime et par des élans tout mystiques : certains chapitres pourraient être signés de sainte Thérèse.

Les Exercices spirituels de saint Ignace. — Les

saints, les Souverains Pontifes, l’Eglise universelle ont loué ce livre, il est inutile de l’exalter après eux. La Compagnie de Jésus en est sortie comme le chêne du gland, et il est impossible de savoir et d’écrire tout le bien qu’il a fait et continue de faire aux âmes. Son plan d’une netteté toute géométrique, ses méthodes variées et si rationnelles sont trop connues i^our y insister : un mot seulement sur son but et siu* la direction générale de sa spiritualité.

Dès la première ligne nous sommes prévenus : les Exercices spirituels doivent nous aider à nous vaincre, à ordonner notre vie, à en exclure tout acte dont le motif ne serait pas entièrement louable : Exercitia spiritualia ut homo s-incat seipsum et ordinet vitam suam quin se determinet oh ullam affectionem cjuae inordinata sit. C’est là une belle foi’mule de l’abnégation, une puissante mainmise sur la volonté humaine qui toujours devra s’incliner devant la volonté divine. L’ascétisme de saint Ignace s’y révèle, tout entier, ascétisme de lutte, de volonté, de charité effective. Mais comment ai’river à cette parfaite abnégagation, à cette héro’ique pureté d intention ? Il faut rejeter toute volonté propre, tout amour-propre, tout amour du monde et de ses faux attraits. « La mesure de notre progrès dans la vie spirituelle sera précisément la niesiu"e dans laquelle nous nous dépouillerons de notre amour-propre, de notre volonté propre, de nos propres intérêts. » Nous avons trouvé la même formule dans l’Imitation, I, 25, ii. Cette maxime si nette, mais en outre si pressante, saint Ignace la rappelle toujours quand il s’agit de prendre une décision : Regulae octo ad se ordinandum in ^’ictu, de poenitentiarum usu, de Electione, de Vitae reformaiione, de Eleemosynarum distributione : nous la retrouvons dans les méditations qui sont comme la charpente des Exercices : le Règne, les deux Etendards, les trois Classes, les trois degrés d’Humilité. Le saint la complète d’ailleurs : plus nous nous éloignons de nous-mêmes, dit-il, plus nous nous rapprochons de Dieu

et lîlus notre cœur est vide de nous-mêmes, plus il se remplit de l’esprit de Dieu. L’abnégation n’est pas le tout de la perfection, mais elle doit nous aider dans l’acquisition des vertus chrétiennes et nous conduire à l’union divine.

Elle nous aide d’abord à mieux connaître, à pleurer nos fautes et les désordres de notre vie ; elle nous aide ensuite à suivre et à imiter Notre-Seigneur. Quand nous n avons plus à ménager notre amour-propre, il est facile d étudier le divin Maître, d admirer ses vertus et de nous essayer à les pratiquer : son humilité, sa pauvreté, sa douceur, son obéissance, sa mortification, sa charité ; il est facile alors de prendre, en toutes choses, les intérêts de Dieu, même aux dépens de nos intérêts terrestres. Au contact de son amour qui éclate dans les souffrances de la Passion, dans les délicatesses de la vie glorieuse, et que nous avions déjà senti brûler son cœur dans les mystères de l’enfance et de la vie publique, nous voulons, à notre tour, aimer Notre-Seigneur et ne plus vivre que pour lui, nous dépenser à son service et lui gagner des fidèles. Cette conformité de vie créée dans nos âmes, c’est bien la véritable union entre le divin Maître et nous, c est bien, selon l’énergique parole de saint Paul, se revêtir de Jésus-Christ, comme il conA’ient à des baptisés (Rom., xiii, 14 ; Galat., ni, 27).

On le voit assez, l’union que saint Ignace veut établir entre le chrétien et Jésus-Christ, est une union de charité avant tout agissante, aj)ostolique, effective. L’action, l’apostolat, c’est encore le signe particulier de l’amour pour Dieu qu il essaie d’exciter en nous par sa contemplatio ad ohtinendum amorem. D’une élévation de pensées admirable, ce dernier cri de son cœur pousse plutôt à l’amour effectif qu’à l’amour affectif, à l’action qu’à la contemplation : saint Ignace veut que nous offrions, dans un holocauste parfait, à la gloire du Dieu qui nous a tout donné, et nous-mêmes et tous les bienfaits que nous avons reçus : Ad majorem Dei gloriam : Tout à la plus grande gloire de Dieu.

Sans doute le grand contemplatif de Manrèse et de Rome, le glorieux élu des faveurs divines que son himiilité n’a pu cacher entièrement, connaissait les ardeurs et les joies de lamour affectif ; celui qui sait lire les Exercices, les Règles du discernement des esprits en particulier, ne peut s’y tromper, mais il reste vrai pourtant que le livre est avant tout un livre de combat et de lutte apostolique.

Impossible, faute d espace, d’insister sur les moyens dont saint Ignace sesertpour atteindre son but, l’examen particulier et l’une ou l’autre de ses méthodes d’oraison si viriles et si sûres. On l’a accusé de minutie, de rapetisser et de matérialiser la piété, d autres ont dit que les vertus d’obéissance et d’humilité qu’il enseigne, ou bien ne sont plus de notre époque, ou bien n’ont plus l’importance qu’il leur donne. Un seul mot de réponse : Pai-mi les saints et les apôtres de l’Eglise, pourrait-on en citer un seul qui n’ait pas été humble et obéissant, à l’exemple de celui qui fut doux et humble de cœur, et qui a dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul, mais s il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Joan., xii, 2^, 25.)

L’Introduction à la vie dévote. — Saint Ignace est un soldat ; son ascétisme, une bataille poui’la gloire et pour l’amour de Dieu ; s’ilressent toutes les douceurs et toutes les suavités de cet amour, il faut le deviner, il n’a guère songé à nous le dire. Saint François de Sales se montre sans doute moins géométrique, moins pressant, ou plutôt il nous fait moins sentir sa douce pression. Son style naïf et charmant donne un air gracieux à toute sa doctrine ; l’ex-