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ASCETISME

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avec Dieu, se pratique surtout par la pauvreté, la chasteté et les austérités de la pénitence. Telle austérité, telle pratique de pauvreté ou de continence importe peu en elle-même ; bien plus, il peut s’en trouver de blâmables. Personne n est tenu de se traiter comme se traitait le bienheureux Henri Suso. « Frère Henri était dans la fleur de sa jeunesse d’une nature vive, ardente et fortement portée aux plaisirs ; il ressentait sans cesse les attaques et les combats de la chair, et pour la soumettre à l’esprit il inventa des pénitences si rigoureuses, si impossibles à imiter, qu’elles feront frémir le lecteur. D’aljord il se revêtit d’un cilice et se ceignit d une chaîne de fer qui lui déchirait le corps. Il la garda jusqu’à ce que la quantité de sang qu’il perdait l’obligeât à la quitter ; mais pour la remplacer il se fit une espèce d’habit tissu de cordes dans lesquelles étaient cent cinquante pointes de fer si aiguës et si terribles, qu’ai)pliquées sur la chair elles la perçaient et faisaient autant de douloureuses blessures. Ce vêtement avec lequel il dormait la nuit, lui couvrait et lui serrait les côtés et une partie des reins et du corps… Pour se priver de tous les adoucissements qu’il aurait pu se donner en touchant aux endroits malades, il se lit une espèce de collier d’où pendaient deux courroies ou plutôt deux anneaux de cuir où il plaçait ses mains et ses bras pendant la nuit et qu’il fermait et serrait ensuite avec un cadenas. » {Œuvres du B. Henri Suso… Paris, 1856, p. 65, 66, 67.) Ce n’est là qu’une partie, et la moindre, des mortifications que s’imposait le B. Henri Suso, et cela pendant seize ou dix-sept ans.

Tous les sens du corps : la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher, parce qu’ils peuvent nuire à l’élan de l’àme vers Dieu, ont été mortifiés par les ascètes, et la vie des saints offre de nombreux exemples des supplices parfois effrayants qu’ils s’infligeaient. « La mortification a un baume et des saveurs dont on ne peut plus se passer quand on les a une fois connus. Il n’y a qu’une manière de se donner à Dieu, c’est de se donner tout entier sans rien garder pour soi. Le peu qu’on garde n’est bon qu’à embarrasser et à faire souffrir. Il s’imposait donc de ne pas sentir une fleur, de ne pas boire quand il brûlait de soif, de ne pas chasser une mouche, de ne jamais se plaindre de quoi que ce soit qui intéressât son bien-être, de ne jamais s’asseoir, de ne jamais s’accouder quand il était à genoux. » {Le curé d’Ars, 17e édition, 1904, t. II, p. 475.) L’insomnie est une des plus rudes mortifications, celle qui, au début, coûta le plus à saint Pierre d’Alcantara ; pendant quarante ans, il ne donna au repos qu’une heure et demie en vingt-quatre heures. « Pour y parvenir, il se tenait toujours ou à genoux ou debout. Lorsqu’il dormait, c’était assis, et la tête appuyée contre un morceau de bois fixé à la muraille. » {Œm-res complètes de sainte Tkrèse, Paris, Retaux, 1907, t. I, p. 8^7, 348.) Il est inutile d’ailleurs d’insister sur toutes ces mortifications corporelles ; les manuels d’ascétisme et les biographies des saints sont dans toutes les mains.

Avec le corps et plus que lui, il faut dompter l’àme. Non seulement ses facultés sensibles, l’imagination et la sensibilité, mais ses facultés spirituelles elles-mêmes ; l’intelligence et la volonté, dans leur activité mal réglée, peuvent être un obstacle à notre union avec Dieu, il faut donc veiller avec soin sur elles, et s’opposer à leurs élans désordonnés. On lutte contre les facultés sensibles, comme contre les sens ; on lutte contre l’orgueil de l’esprit par l’humilité et contre les révoltes de la volonté par l’obéissance.

Humilité, obéissance, véritables vertus de race et distinctives de l’ascète chrétien, celles que nos contemporains, les protestants en pai-ticulier et parmi

les protestants, les Américains, ont le plus de peine à comprendre. « On ne peut pas dire qu’à notre époque l’obéissance soit tenue en grand honneur. Au moins dans nos pays protestants, on estime que l’individu a le devoir de régler lui-même sa conduite, en subissant les conséquences heureuses ou malheureuses de son indépendance. Cette idée fait tellement partie de notre pensée que nous avons quelque peine à nous représenter des êtres raisonnables qui regarderaient comme un bien de soumettre leur Aolonté à la Aolonté d’un autre homme. J’avoue que pour moi cela tient du mystère.)> (William James, L’expérience religieuse, p. 268.) Nous retrouverons plus loin cette objection, pour le moment il suffit de constater que ce sont là les deux vertus réservées de l’ascétisme chrétien, ses deux joyaux. Tous les auteurs ascétiques, le jésuite Rodriguez en particulier dans la Pratique de la perfection chrétienne. leur consacrent de longs développements, je me contente d’y renvoyer.

Ces pratiques de l’ascétisme chrétien ne conviennent pas également à tous. Cela est évident : les vocations diffèrent, et dans les vocations les voies par où doivent cheminer les âmes. Une Carmélite ne conçoit pas l’ascétisme comme une religieuse de la Visitation, un Chartreux comme un Jésuite, un homme du monde comme un prêtre ; l’idée de perfection est sans doute la même chez tous, les moyens diffèrent pour l’atteindre. Les pratiques de l’ascétisme diffèrent encore dans une même vocation avec les âmes. Elles diffèrent d’abord à cause des âmes elles-mêmes : les unes ont besoin de s’appliquer à une vertu, les autres à une autre, selon leurs divers caractères, et dès lors ce besoin particulier donne à leur ascétisme sa forme spéciale ; un tempérament bilieux n’a pas à réagir comme un tempérament sanguin, un apathique comme un orgueilleux. Elles diffèrent ensuite selon le degré d’obligation des vertus chrétiennes que les pratiques de l’ascétisme doivent sauvegarder ; les unes sont prescrites sub gravi, les autres sub le’i, les unes nous détournent complètement de notre liii, les autres nous en éloignent seulement. L’ascétisme sans doute nous pousse à éviter les fautes graves et les fautes légères, mais, on le conçoit d’abord, ses exigences n’ont pas la même rigueur dans les deux cas. Comme nous sommes assez souvent de mauvais juges dans notre propre cause, il conviendra de demander conseil, et de nous faire aider, quand il s’agira de déterminer les pratiques qui conviennent à notre ascétisme. Cum viro sancto assiduus esto, quemcumque cognoveris observantem timorem Dei, cujus anima est secundum animant tuam : et qui, cum titubaveris in tenebris, condolebit tibi (Eccli., xii).

Ecoles d’ascétisme chrétien. — « C’est une chose pleine de danger, écrivait saint Ignace, de a’ouloir pousser tous les honunes à marcher vers la perfection par le même sentier ; le directeur qui agit ainsi ne comprend rien à la nuiltiple variété des dons du Saint-Esprit. » (Selectae S. Ignatii Sententiae. ) Rien de plus vrai. A considérer le but de l’ascétisme, — unir l’àme à Dieu par la charité, — à considérer les Jiommes qui doivent le pratiquer, il paraît évident qu’il y aura divers ascétismes chrétiens.

L’objet de la charité est Dieu, mais cet objet unique, elle le saisit de plusieurs façons. Elle atteint d’abord évidemment l’infinie bonté de Dieu, mais elle atteint aussi ses autres perfections : sagesse, puissance, miséricorde, justice ; elle atteint encore non seulement la divinité en général mais en particulier les trois personnes divines : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. En outre les anges, les saints du ciel.