Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/155

Cette page n’a pas encore été corrigée
293
294
ASCETISME



ASCÉTISME. — Définition. — Diverses sortes d ascétismes. — Ascétisme chrétien. — Raison d’être de l’ascétisme chrétien. — Degrés de l’ascétisme chrétien. — Pratiques de l ascétisme chrétien. — Ecoles d’ascétisme chrétien. L’Imitation de Jésus-Christ ; Les Exercices spirituels de saint Ignace ; L’Introduction à la vie dévote. — Objections contre l’ascétisme chrétien.

Le mot ascétisme vient d’une racine qui exprime l’idée d’exercer ; on la trouve dans le verbe xyy.iw, s’occuper de, s’exercer à, et ses dérivés « jz/iTt ;, exercice, K7/ir, rY, i, celui qui s’exerce. Le verbe KTzèw s’emploie également pour tout genre d’exercice : « îzstv sofiv.v y.y.’i v.^f-f : j (Platon), v.z/.ù-j rà liy.y.w. (Sophocle), à^y-ûj zh-j l-mrixriv (Xénophon) ; il semble pourtant que tout d’abord il s’appliqua surtout aux exercices du corps ; avec le temps il en vint à désigner toutes sortes d’efforts. Très Aite et tout naturellement, à cette idée d’exercice se joignit l’idée d’endurance, de vigueur entretenue, l’athlète qui s’exerce se fortifie, et on trouve cette phrase dans Euripide : yuixû-Ji à.7/.-x-j iTijuia, endurcir par l’exercice son corps contre le froid.

L’ascétisme, c’est donc, au premier sens du mot, l’ensemble des exercices qui entretiennent la vigueur physique, intellectuelle ou morale : l’athlète fait de l’ascétisme pour garder sa force, le stoïcien fait de l’ascétisme pour dominer les impressions sensibles, le néoplatonicien fait de l’ascétisme pour atteindi-e Dieu.

Quand les premiers auteurs chrétiens composèrent leurs ouvrages, ils employèrent les termes dont leurs contemporains se servaient, modifiant légèrement le sens. Tliéodorel comme Platon parlent de r « 7/î/ ; Tizsç Cte ;, mais ces deux mêmes mots ne désignent pas évidemment, chez les deux auteurs, la même vie ascétique, le même genre d’exercices. Saint Paul, dans une célèbre comparaison de sa I" Epître aux Corinthiens marque nettement la différence : « Ne le savez-vous pas ? Dans les courses du stade, tous courent ; mais un seul emporte le prix. Courez de même, afin de le remporter. Quiconque veut lutter, s’abstient de tout : eux poiu-une couronne périssable, nous, pour une impérissable. Pour moi, je coiu’s de même, non comme à l’aventure ; je frappe, non pas comme battant l’air. Mais je traite durement mon corps et je le tiens en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé. » (ICor., ix, 24-27.) L’athlète chrétien fait de l’ascétisme pour gagner une couronne immortelle, pour jouir de la félicité du ciel. (Matt., xi, 12.)

Dans toutes les espèces d’ascétismes, il y a donc une partie commune : des exercices ; les divers ascétismes se distinguent par leur but.

Diverses sortes d’ascétismes. — L’Ecriture nous (lit que la vie est un combat (Jol>., vii, 1). Cela est exact, non seulement pour tous les chrétiens, mais pour tous les hommes. Poiu" atteindre un but, quel qu’il soit, nous avons à lutter contre des obstacles ; la lutte devient surtout pénible s’il s’agit de notre perfection morale, but général de tous les ascétismes. Chrétiens ou infidèles, déistes ou athées, tous ont reconnu la nécessité de cette lutte. Il y a dans la nature humaine des forces opposées : on peut ne pas s’entendre, on ne s’entend pas sur la nature, sur les causes de celle opposition ; le fait est indéniable. Il faut toujours en revenir à la pénible constatation de Louis XIV, que saint Paul avait déjà faite en s’en plaignant : Je sens deux honmies en moi. Lequel l’emportera ? Voilà tout l’ascétisme. M. Gabriel Séailles a écrit : « La manie de se persé cuter soi-même est la plus vaine des manies. » (Les affirmations de la conscience moderne, Paris, Colin, 2° édition, p. 82.) Il peut sans doute ne pas être très agréable de se persécuter soi-même, mais cette persécution qui s’appelle de son vi-ai nom mortification, est une nécessité à lacpielle nous ne pouvons nous soustraire : la simple politesse, notre intérêt, notre perfectionnement moral nous y obligent, et quelquefois le besoin de faire un acte de volonté.

Nos contemporains et nous-mêmes avons l’horreur de la douleur physique. Nos ancêtres la considéraient comme un élément indispensable de l’ordre du monde, elle nous effraye, et même parmi les catholiques beaucoup pensent qu’il y aurait quelque extravagance à faire revivre les « disciplines » héroïques d’autrefois. Le moment n’est pas venu de dire si elles sont aussi mortes qu’on le suppose, je voudrais seulement remarquer que, malgré la poussée de notre siècle vers la jouissance, il nous faut à tous, même aujourd’hui, savoir faire effort, et il en est parmi nous qui recherchent encore l’austérité, le combat et la souffrance. Pourquoi ? Parce qu’ils estiment la douleur nécessaire à leur perfectionnement moral. Pour bien comprendre leur ascétisme et tout autre ascétisme, il importe donc, d’abord, de déterminer en quoi consiste le perfectionnement moral de l’homme. La question n’est pas simple. Chaque école philosophique, chaque religion a eu sa doctrine et son idéal, et par là même nous pourrons dire qu’elle a eu son ascétisme.

Pour les Pythagoriciens, les âmes, dans une série de migrations et d’épreuves, s’élèvent graduellement par la vertu ou s’abaissent par le vice ; cette doctrine de la métempsj’chose détermine en partie leur ascétisme : ils s’abstiennent de chair, et même des végétaux dont la forme rappelle le plus à l’imagination les êtres vivants. Leui-morale piu’e et élevée tend à faire dominer l’intelligence sur les appétits et les passions : on connaît les sacrifices et les mortifications qu’ils s’imposaient, et le dur silence des écoles pythagoriciennes.

Les Cyniques se font gloire de mépriser toutes les lois : nature humaine, cité, famille, ils refusent d’admettre n’importe quel joug ; leur ascétisme consistera donc à fouler aux pieds tout respect humain, à mépriser fortune et pauvreté, à braver tous les caprices des hommes, à secouer les préjugés, les usages même les plus légitimes, à froisser toute pudeur, en un mot à choquer les habitudes établies, même dans les choses les plus indiiférentes.

Les Stoïciens ont poiu" grand principe de morale : ’A-Ay/yj xv.’i v.-réyo-j, supporte et abstiens-toi : le bien et la vertu seuls méritent nos efforts, le sage ne dépend ni du monde ni de ses semblables, il ne relève que de lui-même. On voit d’abord les grandeurs et les défauts de leur ascétisme. Ils montrent ou du moins ils doivent montrer une insensibilité absolue pour les biens et les maux ; tout entiers à leur perfection propre, ils ne s’occupent pas des autres, et dédaignent la société ; le dévouement leur manque.

Les Alexandrins s’inspirent des stoïciens et les dépassent par leur élan mystique vers le monde de la pensée pure. « O mon âme, s’écrie Philon, si tu désires hériter des biens divins, abandonne non seulement la terre, le corps, les sens et la maison paternelle, abandonne non seulement la science et la raison, mais fuis-toi toi-même, ravie hors de toi, animée d’une fureur surnaturelle et ne rougissant pas d’avoiu’r quc lu es agitée et possédée de Dieu. Heureuse l’àme ainsi transportée hors d’elle-même, inspirée d’un délire divin, échauffée d’un céleste désir, entraînée par la vérité qui écarte devant elle tous le s obstacles et qui lui fraie la route. Dieu même est