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préjugés iconoclastes. Ne sait-on pas que les Iconoclastes de théoi’ie, au viii’siècle, n’eurent pas de plus constants ennemis que les papes ?

Enfin, les personnes même les plus vénérables doivent être laissées responsables de ce que leur humeur privée, leurs tendances ont pu ajouter ou retrancher aux influences authentiquement chrétiennes. Si S. Bernard a paru dédaigner tel aspect de la vie qui ne méritait pourtant ni dédain ni blâme, on sait que des protestations autorisées se firent entendre dans la bouche de Pierre le Vénérable et de Suger contre les exagérations passionnées de cette grande âme.

Quant à la technique imparfaite de tel ou tel, qui passe pour représenter l’art religieux, elle tient également aux conditions de personnes, de temps et de circonstances. Les « primitils » firent ce qu’ils purent. A mesure qu’il avance dans sa carrière, on voit Angelico faire effort, lui, l’élève des missels et de leur inspiration candide, pour se mettre à la hauteiu-des progrès réalisés par Masaccio, Ghiberti et Bartolomméo, ses contemporains.

Qu’on s’en souvienne donc, une doctrine universelle comme la religion chrétienne a le temps et l’espace devant elle ; elle participe aux progrès humains et aux vicissitudes humaines. On ne peut pas lui demander de manifester partout, toujours, chez tous, les conséquences de ses principes. C’est assez que ceux-ci soient nettement formulés ; que dans l’ensemble de sa Aie leur influence éclate. Or c’est ce qu’on vient de faire voir quant à la première partie de ce programme. La seconde, en ce qui concerne les époques antérieures, ne peut même pas se discuter. Seul ce temps-ci potu-rait donner lieu à une objection troublante.

lY. — Tout le monde proclame la décadence de l’art religieux. En peinture, en sculpture, l’envahissement de l’art dit Saint- : Siilpice ; en musique, l’absence de chants religieux autres que ceux du passé : d’où l’appel à ce qu’il y a de plus profane par le style ; en architecture, le règne du pastiche et de l’éternelle copie sans àme ; en poésie, l’oubli de la grande inspiration au profit de quelques élucubrations maladives ; en litiu’gie même, la décadence Aisible, nos rapides messes de onze heures et nos saluts prenant la place des grandes solennités au prestige autrefois immense : voilà ce qu’on relève, et l’on en conclut selon la loi de nous-mêmes admise : Si l’art chrétien est mort, c’est que la religion est morte ; c’est que sa sève est épuisée et cpi’elle est destinée à disparaître.

Répondons par ces brèves remarques. D’abord, l’art religieux existe, et ce n’est pas à nous d’organiser autour de lui soit la conspiration du silence, soit l’entrepinse du dénigrement. Les médiocrités dont on parle ne sont pas spécialité chrétienne. Toujours, partout, il y eut de la camelote. Il y en avait chez les Grecs ; le moyen âge, époque d’art religieux par excellence, la connut plus que nous. A côté d’elle, même rue Saint-Sulpice, a fortiori dans nos églises, dans nos musées modernes, à nos salons de peinture, les œuvres de valeur inspirées par le christianisme ne manquent pas. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le courant général n’est pas là. Or, ce dernier fait s’explique par la grande crise religieuse qui sévit, du fait des conditions sociales renouvelées et du tournant que prend la civilisation générale. La société enfante ; elle s’est déprise de l’ancienne vie ; elle a déplacé son idéal, et les bouleversements survenus ajant leiu-contre-coup religieux, ont aussi lem-contre-coup en art chrétien. Celui-ci aurait besoin de se réadapter ; il ne le fait pas toujours.’D’un autre côté, la désaffection actuelle des masses à l’égard de ce qui pourrait le faire vivre doit amener sa baisse. Tout le grand art risque de subir le même sort. Seul l’art industriel peut se promettre un avenir immédiat. Mais on voit bien que cela ne fait pas le procès de la religion en elle-même ; que cela ne prouve pas sa mort, mais seulement l’enfantement douloureux d’un nouvel état. Nous aurons à revenir à Dieu après être revenus du reste. Tout grand mouvement humain ne peut se faire qu’au prix d’une chute partielle. L’avenir n’est pas pour autant compromis. La religion est éternelle ; le christianisme catholique, qui en est l’expression authentique, est loin d’avoir donné, en art comme en quoi que ce soit, tout ce qu’il peut donner. Notre religion vécue à la moderne, mise en contact avec de nouveaux besoins, de nouvelles façons de sentir et de penser, saura se créer elle-même son miroir. Aux débuts de l’art chrétien, plusieurs siècles s’y épuisèi-ent ; les étapes de l’avenir reproduiront celles du passé, seulement à un niveau supérieur sans doute, et d’une allure plus vive.

On pourrait se demander en cpioi consistera poiu^ notre art religieux le renouveau que nous croyons pouvoir escompter en d’autres domaines. Les prophéties sont toujours hasardeuses, mais peut-être l’art chrétien de l’avenir aura-t-il pour caractéristique principale ce que certains appellent d’un mot barbai’e Vintrijisécisme. Dieu et le divin y seront représentés moins par des caractères extérieurs que par leurs effets dans l’honnne. L’homme lui-même sera étudié moins dans ses gestes que dans les ressorts secrets qui le font agir. La nature sera moins Aue comme un décor ; on s’aj^ercevra que selon le mot profond d’Aristote, elle est « pleine d’àme » et l’artiste chrétien nous dévoilera son àme dernière, où habite Dieu. Travail en profondeur, et par suite perfectionnement de l’art, qui est avant tout un appel à l’intériorité des choses : voilà ce que tous les arts peuvent se promettre, quand les conditions du milieu renouvelé auront pu exercer à plein leur influence et que l’agitation actuelle sera apaisée.

Qu’on ne s’j' trompe donc pas, un nomel Edit de 3///an est possible ; il est sur, avec cette différence fjue le nouveavi Constantin ne sera pas un empereiu- : ce sera la collectivité humaine devenue plus consciente, détrompée d’aberrations religieuses dont beaucoup déjà se fatiguent, ayant achevé par ailleiu-s ses essais en Aue de se rendre de nouveau Sauveui*, en art comme en tout le reste. Celui qui est éternellement la voie, la vérité et la Aie.

Bibliographie. — E. Miintz, Etudes sur l’histoire de Ja peinture et de l’iconographie chrétienne (1886) ; A. Pératé, L’Archéologie chrétienne (1892) ; G. Clausse, Basiliques et Mosaïques chrétiennes (1898) ; Raoul Rosières, L’Evolution de l’Architecture en France (189/4) ; Bayet, L’art byzantin ; VioUet-le-Duc, Dictionnaire de l’Architecture française du xi’au xvie siècle ; Alb. Lenoir, L’art gothique, 1891 ; Du Sommerard, Les arts au moyen âge ; Emeric David, Histoire de la peinture au moyen âge ; E. Maie, L^ari religieux du xui’siècle en France ; Rio, L’art chrétien : E. Cartier, L’art chrétien ; jj Antliyme Saint-Paul, Architecture et catholicisme ; f| Renucci, L’influence de la religion dans l’art ; A. Germain, Lart chrétien en France des Origines au XVIe siècle ; A. Germain, Comment rénoyer l’art chrétien.

A. D. Sertillanges.