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APOLOGETIQUE. APOLOGIE


toute apologétique construite par un théologien. Le théologien n’argumente pas pour trouver, mais pour prouver la vérité de la foi à ceux qui n’y croient pas. Tout se passe, en réalité, sous le rapport de la linalité et de la coordination des preuves, comme s’il y avait science distincte ; car tout converge vers le but spécKîque de l’apologétique, établir la crédibilité rationnelle de la religion chrétienne et catholique.

Pour être théologique dans son principe et dans sa tendance, une apologétique de ce genre ne perd rien, mais gagne plutôt en étendue et en fermeté. Dans ce domaine d’adoption, comme dans son domaine propre, le théologien peut utiliser, en les reliant par l’unité logique de l’objet formel et du but linal, non seulement les arguments démonstratifs du fait de la révélation, mais beaucoup d’autres arguments dont on ne peut dire qu’ils aient une valeur probante absolue, c’est-à-dire propre à convaincre toiite sorte d’esprits. Xon que la théologie apologéticiue puisse, comme instrument ou fonction de la théologie dogmatique, conférer à ces arguments une valeur qu’ils n’auraient pas objectivement, mais parce que le théologien connaît d’avance la réalité du terme qu’il poursuit et l’aptitude effective qu’ont ces arguments secondaires pour amener tels ou tels sujets à la certitude relatn’e du fait de la révélation ; certitude relative ou respective, qui repose siu' des motifs intellectuels proportionnés seulement aux esprits peu développés, mais qui suffit encore, de l’avis du plus grand nombre, pour étajer le jugement pratique de crédibilité, étant données surtout les suppléances d’ordre subjectif qui, la grâce de Dieu aidant, peuvent concourir au même résultat. Voir, sur ce sujet, les récentes réflexions de deux éminents théologiens : S. Harent, art. « Croyance >, dans le iJict. de théol. caili., t. III, col, 2880 ss. ; J. Y. Baixvel, dans la Revue prat. d’apolog., i'"' mai 1908, p. 168 ss. Aussi, dans le traité de la foi où la question de la crédibilité de la doctrine chrétienne se présentait à eux, les théologiens scolastiques avaient-ils coutume de proposer des séries d’arguments apologétiques, positifs ou défensifs, conti-e des classes déterminées d’adversaires, juifs, païens, musulmans, plus tard protestants ; sortes de lieux apologétiques, où se groupaient des matériaux d’inégale valeur. De tout cela, le théologien ou l’apologète dialecticien devait s’ingénier à tirer le meilleur parti possible ad hominem : et il pouvait utiliser ces matériaux avec d’autant plus de conliance, que l’expérience était là pour lui apprendre que, dans certaines conditions de disposition intellectuelle ou morale, les arguments qui enlèvent la conviction ne sont pas toujours ceux dont la valeur objective semble prépondérante. Sous ce rapport, le présent est bien la répétition dupasse ; l’apologète théologien pourra donc user des mêmes procédés, en s’aidant, comme jadis, d’une forte dialectique et en ajoutant l’appoint d’une méthodologie pratique mieux raisonnée et plus stricte.

Si de la conception ancienne de l’apologétique, nous passons à la moderne, qui s’est formée après que les traités De Beligione et De Ecclesia eurent été séparés du traité théologique de la foi ; si nous considérons l’apologétique comme une série de thèses ou de conclusions organisées en vue d'établir la crédibilité de la religion chrétienne, alors le problème du caractère scientitîque de l’apologétique se pose, et il se pose plus facilement qu’il ne se résout. La dilTiculté vient moins encore de l’objet que de la diversité des délînitions qui se donnent de la science. Divergence, sous ce rapport, entre les anciens et les modernes ; entre les modernes eux-mêmes, divergence non moins grande. En appelant science, d’une façon générale, un ensemble de propositions ou de vérités I

formant une doctrine coordonnée logiquement et solidement prouvée, il semble qu’on peut soutenir ou qu’on doit abandonner le caractère scientifique de la démonstration chrétienne, suivant qu’on entend plus ou moins rigoureusement la notion de preuve scientifique.

Si, avec les modernes, on pose comme condition nécessaire l’absolue liaison entre les pensées ou les propositions ; si l’on veut une démonstration quasi métaphysique, excluant tout doute possible, comment trouver dans les preuves utilisées en apologétique une telle Aaleur ? Le prophète ou l’apùtre qui reçoit immédiatement la révélation, peut avoir l'évidence immédiate du fait ; mais quand il s’agit des autres qui la reçoivent par lintermédiaire d’organes divers, avec transmission de témoignages appuyés sur des signes qui n’ont en eux-mêmes rien d’irrésistible, la condition est manifestement dift'érente. Reste la conception ancienne : si l’on se contente d’une cohésion interne, suffisante et relativement nécessaire ; si l’on se contente de déductions, fondées sur de bonnes raisons, qui donnent à l’esprit une assurance reposée, excluant le doute raisonnable et pratique, poui’quoi l’apologétique ne donnerait-elle pas une démonstration scientifique, ne fût-ce qu’en un sens large et relatif ? Car, à coté de 1 évidence immédiate et nécessitante, il y a place pour la certitude simple. Si la volonté doit alors intervenir, ce n’est pas pour suppléer à la valeur objective des raisons ; son influence ne se rapporte qu'à l’adhésion intellectuelle, considérée d’abord dans ses antécédents psychologiques, préparation du sujet, considération de l’objet, etc., puis dans l’exercice même de l’acte, lequel, en l’absence d évidence immédiate et nécessitante, reste contingent. Une adhésion de ce genre n’est pas un acte de foi ; c’est un acte rationnel, et un acte en parfaite harmonie avec l’ordre de vérités dont il s’agit et la nature de lassentiment de foi.

Deux points sin-tout pourraient faire difficulté : le manque de coordination logique et le manque d’eflicacité démonstrative des preuves utilisées en apologétique. La première difficulté semble grande, à première vue, à cause de l’hétérogénéité manifeste des éléments que l’apologiste doit emplojer : principes rationnels, faits d’expérience, témoignages et documents, etc. ; ou des sciences dont le concours lui est nécessaire : philosophie, exégèse, histoire, sciences physiques, etc. De ce chef, assurément, il faut conclure à l’impossibilité d’une apologétique intégrale qui serait purement philosophique, ou purement historique, ou purement scientifique, en opposant ce terme aux deux autres. L’apologétique intégrale est nécessairement une science complexe ; mais elle n’en est pas moins uniflée par son objet formel, la crédibilité du dogme catholique ; par là toutes les preuves et toutes les données se coordonnent logiquement et tendent à un même but.

L’autre difficulté soulève d’abord une question préalable : n’y aurait-il pas obstacle, du côté de l’acte de foi, à l’hypothèse d’une démonstration scientiflque ? La foi a pour objet le concret et le singulier, tandis que la science a pour objet l’universel et l’abstrait. La liberté même de l’acte de foi ne serait-elle pas compromise par l’efficacité démonstrative des preuves ? La réponse se trouve dans la doctrine donnée plus haut touchant le vrai rôle de l’apologétique ; elle n’a pas pour objet propre et immédiat l’acte de foi, qui relève effectivement et directement du libre arbitre, mais la crédibilité, cette propriété inhérente logiquement et comnuxne aux objets proposés à l’assentiment de foi, et qui leur vient du fait dûment constaté de la révélation divine. Ainsi entendue, l’apologétique a pour objet l’universel et