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AGNOSTICISME

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J ciiOTT({u"elle pense intellectuellement rinfini, l'éternel, rinmuuihle. le nécessaire. « Ce n’est pas leur connaissance qui est impossible » , dit-elle comme Stuart Mill ; et, pour d’autres raisons que Stuart Mill, elle conclut comme lui que Dieu n’existe pas. L’athéisme n’est donc pas identique à l’aiinosticisme. h) La même conclusion s’impose, quand on réllécLit que les fondateurs de l’agnosticisme nmderne, Locke, Kant, Hamilton, Mansel, croyaient, chacun à leur manière, à l’existence de Dieu. Tous s’accordaient à ilire ({ue l’Iniini ou l’Absolu n’est pas un objet de science, mais ils s’accordaient aussi dans la croyance à son existence. Plusieurs d’entre eux niaient toute révélation positive, d’autres l’admettaient : de là des diltérences notables dans leur manière de concevoir et de délinir la croyance et la foi ; ils sont cependant unanimes à dire que foi ou croyance n’emportent aucune représentation intellectuelle de Dieu, puisqu’une telle représentation est impossible. Si donc ces théoriciens de l’agnosticisme rejettent l’athéisme, tout en restant lidèles à leurs principes, il faut avouer que le champ des deux doctrines ne coïncide pas. D’ailleurs, qui oserait déclarer athées, en bloc, tous les pseudomystiques dont ^^^ James a, sans beaucoup de critique ni de psychologie, décrit les expériences du divin, de la présence de l’Inconnu ? (W. James, The varieties of religions expérience, London, 1902, lect. 16 et l’j.) Ces voyants ne sont pas tous des malades, ni des athées. Plusieurs sont des croyants qui, par une illusion assez facile, prennent pour un contact l'émotion que cause en eux l’idée confuse de Dieu. (Cf. Moisant, Dieu, l’expérience en métaphysique, Paris, ic)0'j, ꝟ. 29/1.)De même personne, à ma connaissance, n’a traité les modernistes comme de vulgaires athées ; et l’Encyclique Pflsce/K/i se contente de leur montrer fiue leurs doctrines conduisent au latitudinarisme, au panthéisme, à l’athéisme. Il semble bien cependant que, malgré leurs protestations, l’accord est fait (cf. AN’ehuli' : , dans Revue biblique, juillet 1906) dans la presse, même non catholique, pour les classer, sauf cquelques rares exceptions, parmi les agnostiques. C’est que tout le monde saisit une nuance entre l’agnosticisme et l’athéisme pur. Si étrange que cela puisse paraître au premier abord, on peut admettre l’existence de Dieu et être complètement agnostique.

c) Si, des teuqjs modernes, on remonte aux siècles passés, les anciens théologiens n’en ont pas jugé autrement. Molixos, ce pseudo-mystique libidineux, dont W. James prend à tâche de réhabiliter la mémoire, avait enseigné les deux propositions suivantes : « XVllI. Celui qui dans l’oraison se sert d’images, de ligvires, de représentations et de conceptions propres, n’adore pas Dieu en esprit et en vérité. XIX. Celui qui aime Dieu, sui"ant que la raison argumente, ou que l’espiil coMq)rend, n’aime pas le vrai Dieu. » (Dknz., 1238 (iioo), s(j.) En d’autres termes, les représentations inlcllectuelles quc nous pouvons avoir de Dieu par les formules religieuses et par le discours, sont sans valeur objective : ce qui est bien une position agnosti(pu>. Or les théologiens, à propos de ces propositions, ne reprochent pas à Molinos l’athéisme. Ils se contentent de prouver que la connaissance abstractive que nous avons de Dieu et des mystères, est vraie : si vraie, donc de valeur objective, suivant l’axiome : ab eo quocl res est aul non est, oratio dicitur yera uut falsa. (Cf. Calatavid, /)i, 'us Thomas etc., Valentiæ 1752, t. IV, p. io5 s(jq. ; Bossikt, Mystici in tnto, . I, a. 3, cap. li, éd. Lâchât, t. 19, j). G31 ; Annlecta Juris Pontificii, Ilome, 1803, p. i"J99 ; Card. CiENNAiu, Del falso misticlsnio, Ilonui. 1907, p. /|/j s(i(j.) lîossuct ajoute qu’on « ne peut pas nier sans iuq)iété que tons les lidèles ne soient obligés à concevoir, chacun

selon leur mesTire, les divines perfections, renfermées si clairement dans le symbole, sans lesquelles Dieu n’est pas Dieu et son culte anéanti » (Instruction sur les états d’oraison, tr. i, liv. 2, n. 18, éd. Lâchât, t. 18, p. /|iG). L’agnosticisme, en d’autres termes, est jugé inconciliable avec la foi chrétienne, mais on ne dit pas que c’est l’athéisme.

d) Les anciens théologiens ont eu à s’occuper d’un cas d’agnosticisme beaucoup plus singulier et plus rare que celui des pseudo-mystiques, celui du juif Maïmonide. Maimonide n’est pas en tout subjectiviste ; comme tous les scolastiques, il est, en philosophie, intellectualiste, objectivisteet dogmaticjue. Son réalisme, son amour pour les entités distinctes, va même jusqu'à tenir cette distinction de l’essence et de l’existence, de l essence et de 1 unité, empruntée par Avicenne aux néoplatoniciens et réfutée par S. Thomas (MAiMoxii)E, Le guide des égarés, trad. Munk, Paris, 1856, aux frais de James Uothschild, t. L p. 23 1. Cf. S. Thomas, in Metaph., lib. l^, lect. 2, text. 3 ; lib. 10, lect. 3, text. 8 ; Aoir Cajetax, iJe ente et essentia, quæst. 5 et qiuiest. 10. Cf. Spinoza, Cogitata Metaphysica, cap. 2, reprenant l’argunu’nî et la conclusion d' Avicenne, et inférant de là le panthéisme, Eth., lib. I, prop. ig, 11 et 20). Péripatéticien, Maïmonide démontre l’existence de Dieu (2 part., t. II, p. i-51) et conclut « à l’existence d’un Dieu unique et incorporel, moteur premier de l’uni^ers » . Les arguments de Maïmonide sont si orthodoxes que S. Thomas s’en est inspiré dans le détail et souvent n’a fait que les résumer : ils sont d’ailleurs d' Aristote. Cejjendant Maïmonide est, en exégèse et en religion, un agnostique forcené. Il reprend la doctrine néoplatonicienne de la connaissance purement négative de Dieu, et consacre dix longs chapitres de la première partie du 6r' » i(/e à prouver f{u’elle est la seule philosophique ; t. I, p. 179-267. Voici sa conclusion : « Puisqu’il nous est démontré qu’il existe nécessairement quelque chose en dehors de ces essences perçues par les sens, et dont nous embi’assons la connaissance au moyen de l’intelligence, nous disons de ce quelque chose qu’il existe, ce qui veut dire que sa non existence est inadmissible » : t. I, ch. 58, p. 242 ; « car, selon nous, dit-il ailleurs, ce n’est que par homonymie que (le nu)t) exister se dit en même temps de Dieu et de ce qui est en dehors de lui)). S. Thomas a réfuté longuement — nous le Aerrons — Maïmonide ; cependant il ne reproche pas l’athéisme au rabbin ; à plusieurs reprises, il indique avec soin comment on pourrait lui donner un sens orthodoxe. SuAUKz ne parle pas autrement que S. Thomas, de Deo, lib. I, cap. ix, n. 9. Cf. Joannes BachoNus, in I, dist. 2 ; quest. i, éd. 1626, fol. 22 ; Duns ScoTis, in I, dist. 8, q. /|, 2.

V. — Psychologie de l’attitude agnostique, au point de vue catholique. — Nous avons vu plus haut que le réalisme naturel à l’esprit humain Iriomphe souvent de l’esprit de systèuu- : la pression de la nature, l'évidence objective enq)èchent le relativistc de suivre ses principes jus<prau phénoménisnu"..u prix d’une contradiction — (pumascjne mal la distinction entre la science et la croyance — il revient par rpiehpie détour à quelque sorte de réalisme : tous les lecteurs de Stuart Mill ont remarcpié qu’il lui arrive souvent d’oid)lier <|ue ses « possibilités de sensation » sont par définition purement subjectives. Il se passe quchpuciiose de seud)labie par rai)port à l’idée de Dieu ; et comme il y a plusieurs manières de connaître Dieu, ou peut nier la possibilité de l’une (le ces manières, tout eu retenant l’une des autres : la théologie pei-nu-t ici de se rendre compte des faits.

1° L’Eglise rejette toute intuition naturelle de Dieu.